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Publié le 03 Mai 2015

Garantie décennale et marchés publics

Avocat Marchés Publics

Garantie décennale et marchés publics

CE 15 avril 2015, commune de Saint-Michel-sur-Orge, Req. n° 376229,

La garantie décennale ne s’applique pas à des désordres qui étaient apparents lors de la réception de l’ouvrage. Cependant, une cour administrative d’appel commet une erreur de droit en écartant cette garantie au motif que le maître de l’ouvrage aurait commis une faute dans le suivi et et le contrôle de l’exécution du marché sans laquelle il aurait pu avoir connaissance du désordre au moment de la réception des travaux.

Règle n°1 :

Le Conseil d’Etat abandonne son fondement traditionnel des « principes dont s’inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil » au profit « des principes régissant la garantie décennale des constructeurs » et en visant expressément le code civil.

Cette adaptation est justifiée par le fait que la prescription de l’action en garantie décennale mentionnée à l’ancien article 2270 du code civil n’y figure plus depuis la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

Il est toutefois peu probable que cette nouvelle sémantique modifie l’approche particulière retenue par le juge administratif en matière de responsabilité décennale des constructeurs. D’ailleurs, le Conseil d’Etat ne manque pas de rappeler que la garantie décennale est susceptible de s’appliquer même si les désordres ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l’expiration du délai de 10 ans, position qui se détache de celle adoptée par la Cour de Cassation.

Règle n°2 :

L’intérêt pratique de cet arrêt tient au fait que la Haute Juridiction considère que les fautes commises par le maître d’ouvrage dans le suivi du chantier et le contrôle de l’exécution du marché, sans lesquelles il aurait pu avoir connaissance des désordres au moment de la réception des travaux, sont sans incidence sur la qualification de désordres apparents.

Après avoir rappelé que la garantie décennale ne s’applique pas aux désordres qui étaient apparents lors de la réception de l’ouvrage, le Conseil d’Etat censure le raisonnement de la cour administrative d’appel de Versailles en ce qu’elle s’est contentée de relever la faute du maître d’ouvrage sans vérifier si les désordres étaient réellement ou non apparents lors de la réception.

Si les fautes commises par la collectivité lors de l’exécution du chantier ne sont pas une condition d’admission de la garantie, elles ont toutefois une importance dans le partage de responsabilité qui sera opéré par la suite entre les constructeurs et le maître d’ouvrage et pourra diminuer d’autant l’indemnisation à laquelle il est en droit de prétendre.

Observations/ astuces :

Durant toute l’exécution du chantier, le maître d’ouvrage doit être vigilant aux éventuels désordres dont il a connaissance et prendre toutes les mesures nécessaires pour y remédier.

Les opérations de réception constituent une étape cruciale pour le maître d’ouvrage. Il lui appartient donc de s’entourer de techniciens compétents pour dénoncer les désordres apparents au risque de se voir fermer la voie de la garantie décennale.

Conseil d’État
N° 376229
ECLI:FR:CESSR:2015:376229.20150415
Publié au recueil Lebon
7ème / 2ème SSR

Mme Natacha Chicot, rapporteur
M. Bertrand Dacosta, rapporteur public

SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS ; SCP ODENT, POULET ; SCP BOULLOCHE ; SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, TEXIDOR, avocat(s)

lecture du mercredi 15 avril 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La commune de Saint-Michel-sur-Orge a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner la société Outarex, la SMABTP, l’atelier d’architecture Malisan et la société Qualiconsult, sur le fondement de la garantie décennale, au titre de la réparation des désordres constatés sur le bâtiment du réfectoire et de la cuisine d’un groupe scolaire et de l’indemnisation du préjudice subi en raison de la privation d’utilisation de ce bâtiment.

Par un jugement n° 0707270 du 4 octobre 2011, le tribunal administratif de Versailles a condamné solidairement la société Outarex, l’atelier d’architecture Malisan et la société Qualiconsult au paiement à la commune de Saint-Michel-sur-Orge de la somme de 636 002,78 euros toutes taxes comprises assortie des intérêts à compter du 11 juillet 2007 et de leur capitalisation à compter du 11 juillet 2008.

Par un arrêt n° 11VE04049 du 30 décembre 2013, la cour administrative d’appel de Versailles a, sur la requête de la société Qualiconsult, d’une part, déchargé cette société, la société Atelier d’architecture Malisan et la société Outarex de ces condamnations et, d’autre part, rejeté les conclusions d’appel incident de la commune.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 mars et 10 juin 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Saint-Michel-sur-Orge demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter les conclusions d’appel des sociétés Qualiconsult, Atelier d’architecture Malisan et Outarex et de faire droit à son appel incident ;

3°) de mettre à la charge des sociétés Qualiconsult, Atelier d’architecture Malisan et Outarex et de la SMABTP le versement de la somme globale de 5 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code civil ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Natacha Chicot, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la commune de Saint-Michel-sur-Orge, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, avocat de la société Qualiconsult, à la SCP Boulloche, avocat de la société Atelier d’architecture Malisan, et à la SCP Odent, Poulet, avocat de la société Outarex et de la société SMABTP ;

1. Considérant qu’il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d’épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s’ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l’expiration du délai de dix ans ;

2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Saint-Michel-sur-Orge a engagé, en 1997, des travaux portant sur le réaménagement d’un groupe scolaire, notamment la construction d’une extension au bâtiment du réfectoire et de l’office ; que la réalisation de ces travaux, qui devaient également permettre de stabiliser les murs porteurs du bâtiment existant, a été confiée à la société Outarex, le contrôle technique à la société Qualiconsult et la maîtrise d’oeuvre à la société Atelier d’architecture Malisan ; que les travaux ont fait l’objet d’une réception avec réserves le 11 décembre 1997, qui ont été levées le 30 avril 1998 ; que, toutefois, des désordres sont apparus dans le bâtiment existant du réfectoire, conduisant la commune de Saint-Michel-sur-Orge à rechercher la responsabilité décennale des constructeurs ; que la commune se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 30 décembre 2013 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a annulé le jugement du 4 octobre 2011 par lequel le tribunal administratif de Versailles avait condamné solidairement la société Outarex, la société Atelier d’architecture Malisan et la société Qualiconsult à réparer les préjudices subis, au titre de leur responsabilité décennale, et réparti les responsabilités respectives des constructeurs et de la commune ;

3. Considérant que, pour juger que les désordres résultant de l’absence de réalisation des travaux de reprise en sous-oeuvre des fondations de bâtiments étaient apparents lors de la réception des travaux et rejeter, par suite, les conclusions indemnitaires de la commune présentées sur le terrain de la garantie décennale, la cour administrative d’appel a relevé que la commune ne s’était pas assurée de la bonne exécution de ces travaux de reprise, alors que ses services étaient en mesure de suivre le chantier et qu’elle avait été pleinement informée du caractère indispensable des travaux litigieux ; qu’en relevant ainsi l’existence d’une faute du maître de l’ouvrage dans le suivi et le contrôle de l’exécution du marché sans laquelle il aurait pu avoir connaissance de l’absence de réalisation des travaux litigieux, alors qu’il lui appartenait, à ce stade, non de se prononcer sur une faute du maître de l’ouvrage mais de déterminer dans quelle mesure les désordres tenant à l’absence de réalisation de ces travaux étaient apparents lors de la réception de l’ouvrage, la cour administrative d’appel de Versailles a commis une erreur de droit ; que, dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé ;

4. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la commune de Saint-Michel-sur-Orge qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu’il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge des sociétés Outarex, SMABTP, Atelier d’architecture Malisan et Qualiconsult le versement à la commune de Saint-Michel-sur-Orge de la somme de 1 000 euros chacune en application des mêmes dispositions ;

D E C I D E :
————–
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles du 30 décembre 2013 est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Versailles.
Article 3 : Les sociétés Outarex, SMABTP, Atelier d’architecture Malisan et Qualiconsult verseront une somme de 1 000 euros chacune à la commune de Saint-Michel-sur-Orge au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par les sociétés Outarex, SMABTP, Atelier d’architecture Malisan et Qualiconsult au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Saint-Michel-sur-Orge, aux sociétés Outarex, Atelier d’architecture Malisan, Qualiconsult et à la SMABTP.

Résumé :

Le Conseil d’Etat, tout en visant le code civil et en se référant aux principes régissant la garantie décennale des constructeurs, ne fait plus expressément référence dans ses motifs aux principes dont s’inspirent les articles 1792 et 2270 de ce code dans la mesure où les dispositions de l’article 2270 relatives au délai décennal, reprises au nouvel article 1792-4-1, n’y figurent plus depuis la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d’épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s’ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l’expiration du délai de dix ans.

La garantie décennale ne s’applique pas à des désordres qui étaient apparents lors de la réception de l’ouvrage. Cependant, une cour administrative d’appel commet une erreur de droit en écartant cette garantie au motif que le maître de l’ouvrage aurait commis une faute dans le suivi et et le contrôle de l’exécution du marché sans laquelle il aurait pu avoir connaissance du désordre au moment de la réception des travaux.

Voir dans le même sens :

CE 31 mai 2010, Communes de Parnes, n° 317006
CE 31 mai 2010, Communes de Parnes, n° 317006
CE 25 octobre 1985, Ville de Toulon c. société Balency-Briard
CE 21 février 1986, OPHLM de la ville d’Avignon, n° 51008, T. p. 617.


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