CE ord. 16 octobre 2015, Conseil National des Barreaux.n°388596
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat rappelle il ne saurait y avoir urgence à suspendre l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics dès lors que ce texte n’est pas encore entré en vigueur.
La directive 2014/24/CE du Parlement européen et du Conseil prévoit de nouvelles règles applicables à la passation et à l’exécution des marchés publics. Cette directive doit être mise en œuvre en droit interne au plus tard le 18 avril 2016 en application de l’article 90 de la directive.
L’article 42 de la loi du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives a habilité le Gouvernement à prendre toute mesure relevant du domaine de la loi « nécessaire à la transposition de la directive 2014/24/UE (…) » par ordonnance. L’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics a été prise en vertu de cette habilitation
L’article 10 d) de directive 2014/24/CE exclut du champ d’application de la directive cinq catégories de prestations de services juridiques :
L’article 14-10 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 exclut du champ d’application de la directive uniquement trois catégories de prestations de services juridiques :
Par requête en date du 18 septembre 2015, le Conseil national des barreaux a décidé de saisir le Conseil d’État en vue d’annuler l’ordonnance °du 23 juillet 2015 en ce qu’elle ne transpose pas dans son intégralité directive 2014/24/CE. Plus précisément, le Conseil National des Barreaux reproche au gouvernement français de ne pas exclure du champ d’application de l’ordonnance les marchés publics de services juridiques relatifs à la représentation devant une juridiction et au conseil lié à une procédure devant une juridiction, et de ne pas prévoir explicitement une procédure allégée de passation des marchés publics de services juridiques telle que définie par la directive 2014/24/UE.
Parallèlement, le Conseil national des barreaux a également décidé de saisir le juge des référés du Conseil d’État en vue de suspendre immédiatement l’exécution de l’ordonnance.
Le rejet du référé suspension par le Conseil d’Etat pour défaut d’urgence à suspendre un texte qui n’est pas encore entrée en vigueur
La procédure du référé-suspension, régie par l’article L. 521-1 du code de justice administrative, permet d’obtenir dans un bref délai la suspension d’un acte administratif en attendant que le juge se prononce définitivement sur sa légalité lorsque deux conditions sont simultanément réunies : il faut qu’il y ait une situation d’urgence justifiant la suspension et qu’il y ait un doute sérieux sur la légalité de l’acte contesté.
En l’espèce le juge des référés constate que l’ordonnance contestée n’est pas encore entrée en vigueur : elle n’est donc pas applicable. Selon les informations données par le Gouvernement, l’entrée en vigueur de l’ordonnance n’interviendra pas avant le 1er avril 2016. En outre, le juge des référés relève que le Conseil d’État sera en mesure de se prononcer définitivement sur la demande d’annulation de l’ordonnance dans les prochains mois.
Le juge des référés du Conseil d’État estime donc qu’il n’y a pas d’urgence justifiant une éventuelle suspension : attendre le jugement définitif de l’affaire ne crée pas de difficulté. Faute qu’il y ait urgence, le juge des référés refuse de suspendre l’ordonnance, sans avoir besoin d’examiner la deuxième condition prévue par l’article L. 521-1 du code de justice administrative (existence ou non d’un doute sérieux sur la légalité).
Quelques observations :
L’appréciation portée par le juge des référés sur l’urgence ne préjuge nullement de l’appréciation que portera le Conseil d’État sur la légalité de l’ordonnance.
Toutefois, les dispositions de l’article10 d) de directive 2014/24/CE ne font pas obstacle à ce que les Etats membres décident de ne pas appliquer ces exclusions dans le cadre du droit national de la commande publique. En effet, rien n’oblige les Etats membres à prévoir de telles exclusions dans leur législation nationale, la seule obligation qui s’impose étant de ne pas prévoir des exclusions autres que celles expressément prévues par les directives. Dans ce contexte, les dispositions envisagées par le gouvernement français pourraient être considérées comme non contraires au droit européen même si le bon sens milite en sens contraire et cela sur certains points.
D’une part, on voit mal ce qui dispenserait les prestations de services juridiques de bénéficier d’une procédure allégée identique à celle actuellement prévue par les dispositions de l’article 30 du code des marchés publics.
D’autre part, il faut l’avouer, l’ordonnance telle que rédigée aujourd’hui est certainement le plus mauvais texte régissant la commande publique que l’on n’ait jamais eu l’occasion de lire : tout y est approximation, incertitude, incomplétude, arbitraire et aberration. A cet égard, on voit mal comment les prestations de représentation en justice ne serait pas « totalement » excluent de la commande publique dès lors que les délais de publicité et de mise en concurrence s’accordent mal voire pas du tout avec les exigences liées à certaines procédures (exemple : on va pas lancer une procédure de publicité et de mise en concurrence pour sélectionner un avocat chargé de défendre sur une procédure d’extrême urgence comme celle du référé précontractuel ou pour assister un élu qui vient tout juste d’être placé en garde à vue ………..).