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Publié le 04 Jan 2016

Obligation de contrôler les capacités techniques et financières des candidats

Avocat Marchés Publics

Obligation de contrôler les capacités techniques et financières des candidatsCE 12 novembre 2015, SAGEM, req.n°386578

Impossibilité de sélectionner un candidat qui n’a pas justifié de ses capacités techniques et financières et interdiction pour un architecte d’intervenir à la fois en qualité de maître d’œuvre de l’acheteur public et de conseil d’un candidat.

Règle n°1 : L’acheteur public est tenu de contrôler les capacités techniques et financières des candidats

Le Conseil d’Etat rappelle la règle selon laquelle le pouvoir adjudicateur « doit contrôler les garanties professionnelles, techniques et financières des candidats à l’attribution d’un marché public » (CE 26 mars 2008, Communauté urbaine de Lyon, req.n°303779). En cas de contentieux, il appartient à l’acheteur public de démontrer qu’il s’est réellement mis en mesure de contrôler les capacités techniques et financières des candidats et de produire les justificatifs de ce contrôle.
Le fait de noter une offre qui n’aurait jamais du être examinée par la Commission d’appel d’offres dès lors que sa candidature aurait du être préalablement écartée est de nature à fausser le jeu de la concurrence et l’égalité de traitement entre les candidats (CAA Versailles 5 février 2009, Sté SEE SIMEONI, req.n°07VE02058). C’est la raison pour laquelle le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de rappeler qu’un candidat évincé est automatiquement lésé par l’admission « irrégulière » d’une candidature quelque soit son classement (CE 11 avril 2012, Syndicat ODY 1218 NEWLINE du LLOYD’S de Londres, req.n°354652).

Règle n°2 : l’acheteur public est tenu de préserver l’égalité entre les candidats

En l’espèce, l’opération d’aménagement consistait dans la réalisation de 240 logements. Les dossiers de demande de permis de construire nécessaires à l’opération et sur la base desquels les offres devaient être élaborées, ont été établis par un cabinet d’architecte, maître d’œuvre de la commune. Or, les pièces du dossier du fond démontrait que ce maître d’œuvre intervenait également comme conseil de la société déclaré attributaire, y compris pendant la phase de négociation des offres. Le Conseil d’Etat considère qu’une telle situation est constitutive d’une rupture d’égalité entre les candidats.

Conseil d’État
N° 386578
7ème / 2ème SSR
Mme Charline Nicolas, rapporteur
M. Olivier Henrard, rapporteur public
SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE ; SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, TEXIDOR ; SCP GASCHIGNARD, avocat(s)
lecture du jeudi 12 novembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société anonyme gardéenne d’économie mixte (SAGEM) a demandé au tribunal administratif de Toulon d’annuler la convention de concession de l’opération d’aménagement Couvent Lices Hôpital du 22 août 2011 attribuée à la société Kaufman et Broad Provence par la commune de Saint-Tropez. Par un jugement n° 1102805 du 17 juillet 2013, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 13MA03008 du 27 octobre 2014, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel formé par la SAGEM contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et des mémoires en réplique, enregistrés les 19 décembre 2014, 17 mars, 6 juillet, 10 septembre et 17 septembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la SAGEM demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d’appel ;

3°) de mettre à la charge de la société Kaufman et Broad Provence le versement de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le code de l’urbanisme ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Charline Nicolas, auditeur,

– les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public ;

1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un avis d’appel à la concurrence publié le 23 décembre 2010, la commune de Saint-Tropez a lancé une procédure de consultation en vue de la passation d’une concession d’aménagement portant sur la restructuration urbaine de trois secteurs situés en centre-ville, le couvent, la dalle des Lices et l’ancien hôpital ; qu’à l’issue de négociations, l’offre de la société Kaufman et Broad Provence a été retenue et le maire de la commune de Saint-Tropez a été autorisé, par une délibération du conseil municipal du 2 août 2011, à signer la convention de concession avec cette société ; que cette signature est intervenue le 22 août 2011 ; que la société anonyme gardéenne d’économie mixte (SAGEM), dont l’offre a été rejetée, a demandé l’annulation de la concession d’aménagement devant le tribunal administratif de Toulon, qui, par un jugement du 17 juillet 2013, a rejeté sa demande ; que saisie en appel par la SAGEM, la cour administrative d’appel de Marseille a, par un arrêt du 27 octobre 2014, confirmé ce jugement ; que la SAGEM se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;

2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 300-4 du code de l’urbanisme, dans sa version applicable au litige : “ L’Etat et les collectivités territoriales, ainsi que leurs établissements publics, peuvent concéder la réalisation des opérations d’aménagement prévues par le présent code à toute personne y ayant vocation. L’attribution des concessions d’aménagement est soumise par le concédant à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes, dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat. (…) “ ; qu’aux termes de l’article R*. 300-8 du même code : “ Le concédant choisit le concessionnaire en prenant notamment en compte les capacités techniques et financières des candidats et leur aptitude à conduire l’opération d’aménagement projetée, après avoir engagé librement toute discussion utile avec une ou plusieurs personnes ayant remis une proposition “ ;

3. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte des dispositions précitées que le concédant doit tenir compte des capacités techniques et financières des candidats à l’opération d’aménagement ; que s’il a la faculté de demander à un candidat, dans le respect du principe d’égalité, de compléter son dossier afin qu’il puisse justifier de ses aptitudes, ainsi d’ailleurs que le prévoyait l’article 5 du règlement de consultation de l’opération litigieuse mis au dossier du juge du fond, il ne peut légalement sélectionner l’offre d’un candidat n’ayant pas justifié de ses capacités ; que par suite, en jugeant que le concédant pouvait sélectionner un candidat qui n’a pas justifié de ses capacités techniques et financières, la cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’objet de l’opération d’aménagement était la réalisation de 240 logements ; que les dossiers de demande de permis de construire nécessaires à l’opération sur le secteur du couvent, et sur la base desquels les offres devaient être élaborées, ont été établis par le cabinet d’architecture Vieillecroze, maître d’oeuvre de la commune de Saint-Tropez ; qu’il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que ce même maître d’oeuvre a été le conseil de la société attributaire, y compris pendant la phase de négociation des offres au cours de laquelle des permis de construire étaient encore en instruction ; que par suite, en écartant la méconnaissance du principe d’égalité entre les candidats au motif que tous les candidats avaient reçu communication des permis de construire, la cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit ;

5. Considérant, en troisième lieu, qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le règlement de consultation indiquait que “ le programme prévisionnel autorise la construction d’environ 240 logements répartis par moitié sur les deux sites, pour deux tiers en logements locatifs à prix maîtrisé et pour un tiers de logements en accession libre “ ; que le document programme du traité de concession d’aménagement précisait, en page 6, que “ l’objectif premier est de créer une offre locative située à environ 20 % en dessous du prix du marché. Il apparait un réel besoin en logements locatifs intermédiaires non réglementés, entre 10 et 13 euros/m2 hors charges. Mais également une demande à la marge pour la mise sur le marché d’une offre comprise entre 8 et 10 euros/m2 hors charges “ ; que contrairement à ces prescriptions, la délibération du conseil municipal de Saint-Tropez du 2 août 2011 par laquelle il a autorisé le maire à signer la concession d’aménagement avec la société Kaufman et Broad Provence, indiquait que l’offre présentée par cette dernière prévoyait la construction de “ 77 logements en PLI (loyer de 11 euros/m2), 102 logements en PLS (déclinaison des loyers en PLAI (20 %), PLUS (60 %) et PLS (20 %), de 5 à 9.5 euros/m2), 85 logements en accession libre, et 10 logements en dation “ ; que si cette offre était ainsi conforme à la répartition entre le nombre de logements locatifs et le nombre de logements en accession indiquée dans le règlement de consultation, elle faisait cependant apparaître la construction de logements sociaux de types “ PLAI “ et “ PLUS “, représentant plus de la moitié des logements locatifs, non prévus dans les documents de la consultation ; que pour de tels logements sociaux non prévus lors de la mise en concurrence, les constructeurs bénéficient d’importantes subventions publiques et de taux d’emprunt privilégiés ; qu’en outre, il ressort également des pièces du dossier soumis à la cour que l’offre retenue prévoyait une densité supplémentaire de 2 000 m2 environ sur le site de l’ancien hôpital par rapport au projet présenté dans le document programme, soit une hausse à ce titre de 10 % de la surface, ainsi que 90 places supplémentaires de parking pour un nombre initialement prévu dans les documents de la consultation de 533 ; que, par suite, en estimant que ces modifications intervenues au stade de la signature de la convention n’avaient pas modifié substantiellement l’économie du projet mis à la concurrence et n’avait pas, ainsi, porté atteinte aux règles de publicité et de mise en concurrence, la cour, sans se prononcer explicitement sur l’argument portant sur la modification, en cours de passation, de l’objet du contrat en raison de l’augmentation de la surface hors oeuvre nette de la concession et de l’addition d’un nouveau niveau de parking, a inexactement qualifié les faits qui lui était soumis ;

6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 27 octobre 2014 doit être annulé ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de renvoyer l’affaire à la cour administrative d’appel de Lyon ;

7. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la SAGEM qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu’en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Kaufman et Broad Provence la somme de 4 000 euros au titre de ces mêmes dispositions ;

D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 27 octobre 2014 est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Lyon.
Article 3 : La société Kaufman et Broad Provence versera à la SAGEM une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Kaufman et Broad Provence et la commune de Saint-Tropez au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme gardéenne d’économie mixte, à la commune de Saint-Tropez, à la société Kaufman et Broad Provence et à la société Kaufman et Broad Promotion 3.


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