Cass.crim 17 février 2016, M.Bastien X et autres. Arrêt n°549
Dans cette affaire, la Chambre criminelle de la Cour de cassation considère que l’article 432-14 du code pénal qui réprime le délit de favoritisme doit également s’appliquer aux contrats régis par les dispositions de l’ordonnance n°2005-649 du 6 juin 2005, alors même que ces dispositions ne fait pas expressément référence à ces contrats, sur le fondement des principes de valeur constitutionnelle de la liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement entre les candidats (Cass.crim.17 février 2016, arrêt n°549, pourvoi n°15-85.363)
Dans une perspective de moralisation de la vie publique, les pouvoirs publics ont créé, par la loi du 3 janvier 1991, le délit de favoritisme visant à réprimer les atteintes à la liberté d’accès des candidats dans les marchés publics en permettant de sanctionner les entorses aux règles de publicité et de mise en concurrence.
Cette loi a ensuite été modifiée à plusieurs reprises par la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques et par la loi du 8 février 1995 relative aux marchés publics et délégations de service public avant d’être codifiée à l’article 432-14 du code pénal qui prévoit que « est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30000 euros d’amende le fait par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d’économie mixte d’intérêt national chargées d’une mission de service public et des sociétés d’économie mixte locales ou par toute personne agissant pour le compte de l’une de celles susmentionnées de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public ».
L’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics qui transpose en droit interne les directives 2014/24 et 2014/25 du 26 février 2014 met un terme aux incertitudes sur l’application du délit de favoritisme aux marchés soumis à l’ordonnance n°2005-649 du 6 juin 2005 puisque son article 102 abroge cette ordonnance et soumet désormais aux mêmes règles de publicité, de mise en concurrence et d’exécution les entités qui relevaient auparavant de son régime ou de celui du Code des marchés publics.
Le délit de favoritisme s’applique désormais à l’ensemble des marchés qu’ils soient passés par des personnes morales de droit public, des personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ou bien des organismes de droit privé dotés de la personnalité juridique constitués par des pouvoirs adjudicateurs en vue de réaliser certaines activités en commun et donc toutes les entités anciennement soumises à l’ordonnance du 6 juin 2005.
Concrètement, il s’agit des pouvoirs adjudicateurs visés à l’article 10 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 à savoir :
Et des entités adjudicatrices visées à l’article 11 de l’ordonnance qui sont :
La circulaire du ministère de la justice du 4 mars 2002 (CRIM 2002-06 G3/04-03-2002) rappelait déjà que les marchés inférieurs aux seuils des procédures formalisées ne sont pas exclus du champ d’application du délit de favoritisme : « Le délit de favoritisme pourra également être constitué à l’occasion de la passation d’un marché sans formalités préalables. En effet, ainsi qu’il a été précisé antérieurement […], l’une des innovations du nouveau code des marchés publics est de définir des règles de portée générale, -applicables à tous les marchés publics, y compris les marchés conclus sans formalités préalables. Ces règles, pour les rappeler, sont notamment les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures (art. 1), la définition précise et préalable des besoins à satisfaire (art. 5), le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse (art. 53). Dès lors, la violation de telle ou telle règle de fond à l’occasion de la passation d’un marché sans formalités préalables pourra, sous réserve de l’interprétation souveraine de la jurisprudence, être poursuivie du chef de favoritisme ».
La circulaire du ministère de la justice du 22 février 2005 confirme cette solution: « Comme cela était indiqué dans la circulaire précitée du 4 mars 2002, le recours injustifié à la procédure du marché passé selon une procédure adaptée par le fractionnement illicite d’une même opération en plusieurs pourra, comme par le passé, être poursuivi pénalement (Cass. crim. 30 juin 1999, Bull. crim. n° 4460). Il en ira de même de la violation des règles relatives à la publicité des procédures de mises en concurrence.
Par ailleurs, si le nouveau code des marchés publics a entendu soumettre les marchés passés selon une procédure adaptée aux principes généraux gouvernant la commande publique (liberté d’accès à la commande publique, égalité de traitement des candidats, transparence), il n’en a pas moins précisé que les obligations découlant de ces principes devaient être mises en œuvre conformément aux règles fixées par le présent code […]. ».
Le pouvoir adjudicateur devra donc être particulièrement vigilant au regard d’une situation qui, tout en l’exonérant des contraintes réglementaires du formalisme, lui impose néanmoins de respecter les principes fondamentaux de la commande publique. Cette exigence implique une responsabilité accrue ainsi que le respect d’une véritable éthique. Dans ce contexte réglementaire relativement abstrait, la traçabilité des opérations ne peut qu’être fortement recommandée afin d’éviter toute mise en cause injustifiée.
Il convient de relever que les relèvements des seuils opérés par les réformes successives du code des marchés publics n’ont pas pour effet de régulariser de manière rétroactive les marchés passés antérieurement (Cass. crim. 28 janvier 2004, pourvoi n°02-86597, Bull. crim. 2004, n° 23 p. 103: « Au motif […] que le prévenu ne saurait se prévaloir de l’application à son cas des dispositions de l’article 28 du décret n° 2001/210 du 7 mars 2001 selon lesquelles les marchés publics peuvent être désormais passés sans formalités préalables lorsque le seuil de 90 000 euros hors taxes (590 361,30 francs) n’a pas été dépassé, s’agissant d’un texte réglementaire n’ayant pas prévu d’effet rétroactif. »). En d’autres termes, en l’absence de stipulation expresse, un texte ne peut rétroagir, et un texte de valeur réglementaire comme le code des marchés publics ne vaut que pour l’avenir (Rép. min. n° 13289, JO Sénat 30 septembre 2004, p. 2233).
Trois conditions sont nécessaires pour constituer le délit de favoritisme : un avantage injustifié est accordé, ou tenté de l’être, à un opérateur économique spécifique (1re condition), par un acte contraire aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur au moment de la passation du conrat(2e condition), ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité entres les candidats (3e condition).
L’article 432-14 du code pénal vise trois catégories de personnes : les agents publics, les personnes chargées d’un mandat électif public et les personnes publics ou privées, agissant pour le compte d’une personne publique dans le cadre d’un marché public. Cette liste n’est pas exhaustive et permet d’inclure toute personne qui intervient à n’importe quel moment de la procédure sous n’importe quelle forme que ce soit et qui exerce une influence sur le choix de l’attributaire du marché.
Ainsi, sont notamment concernés par ce délit :
A noter que la délégation de signature attribue la seule capacité de signer, au nom du déléguant, à une personne nommément désignée, le délégataire. À ce titre, la délégation de signature ne dessaisit pas le délégant de sa compétence : celui-ci aura toujours un pouvoir d’évocation. Le délégataire n’agit alors pas en son nom mais au nom du délégant, maire, président du conseil général, Directeur d’établissement etc….. En outre, il est censé agir sous sa surveillance et sa responsabilité.Cela étant, eu égard aux dispositions de l’article 121-1 du code pénal selon lesquelles « nul n’est responsable que de son propre fait », le juge pénal recherchera avant tout l’auteur immédiat de l’infraction, c’est-à-dire le délégataire qui commet directement et matériellement l’acte incriminé.
Cependant, les poursuites engagées, le cas échéant, contre le délégataire, n’excluent pas celles qui pourraient également être engagées contre le délégant. Dans un arrêt en date du 28 février 1956, la Cour de cassation a en effet posé le principe de la responsabilité du fait d’autrui (Cass. crim. 28 février 1956, JCP 1956, II, 9304: « En principe, nul n’est passible de peines qu’à raison de son fait personnel. […] La responsabilité pénale peut cependant naître du fait d’autrui dans les cas exceptionnels où certaines obligations légales imposent le devoir d’exercer une action directe sur les faits d’un auxiliaire ou d’un subordonné. ».
Par conséquent, si le maire d’une commune n’a pas surveillé l’exercice de la délégation de son adjoint, il pourra alors se rendre coupable d’une négligence fautive en matière de délits non intentionnels et pourra être poursuivi comme auteur médiat, voire complice de l’infraction.
Peut également être poursuivi tout complice d’un tel délit, c’est-à-dire toute personne qui aide ou prête assistance à l’auteur principal du délit par un acte antérieur ou concomitant au délit facilitant sa commission ou consommant l’infraction (cas des bureaux d’études ou de la maîtrise d’œuvre).
Peut être enfin poursuivie toute personne coupable de recel de délit de favoritisme, c’est-à-dire toute personne ayant bénéficié du produit d’un tel délit (l’opérateur économique qui a bénéficié de la situation).
Les risques de manquement peuvent concerner tous les stades de la procédure de passation des marchés publics.
À ce stade de la procédure, les principales difficultés résident dans la définition des besoins et le choix de la procédure à mettre en œuvre.
Comme le rappelle l’article 27 du code des marchés publics, l’acheteur public ne peut pas se soustraire à l’application du code en scindant ses achats ou en utilisant des modalités de calcul de la valeur estimée des marchés ou accords-cadres autres que celles prévues par le code.
En d’autres termes, alors même que l’acheteur est expressément invité à adopter des règles de computation spécifiques en se référant aux caractéristiques de ses activités, il devra toutefois être en mesure de justifier de leur pertinence au regard du type de procédure engagée, et s’assurer qu’elles n’ont pas eu pour effet de contourner une procédure formalisée. Ces nouvelles dispositions constituent en réalité un risque nouveau pour les acheteurs.
Dans une récente réponse ministérielle, le gouvernement rappelle que les acheteurs peuvent choisir de créer leur propre nomenclature en cohérence avec leurs actions, ou bien de se rapporter à la nomenclature issue du décret du 13 décembre 2001 tout en précisant que « cette disparition s’inscrit clairement dans la logique de simplification des règles et de responsabilisation des acheteurs ». Au-delà de cet objectif affiché de simplification, il importe surtout de retenir la notion de « responsabilisation », et de veiller à ce qu’elle ne dérive pas en véritable risque pénal pour les acheteurs qui s’engageraient dans une démarche de nomenclature spécifique. L’essentiel est, qu’en cas de contentieux, l’acheteur puisse justifier son choix (Rép. min. n° 09178, JO Sénat Q 4 décembre 2003, p. 3000 :« Sensible aux difficultés rencontrées par les acheteurs publics dans l’application de l’article 27 du code des marchés publics ou dans celle de la nomenclature qui lui est associée, le gouvernement a souhaité que soit uniformisé et simplifié le régime d’appréciation des seuils des marchés de fournitures et de services. Ainsi, la réforme du code des marchés publics en cours d’élaboration prévoit de simplifier les dispositions de l’article 27 et de supprimer la référence obligatoire à la nomenclature annexée à l’arrêté interministériel du 13 décembre 2001. Les acheteurs publics seront invités à apprécier eux-mêmes le caractère homogène des fournitures dont ils envisagent l’acquisition en se référant aux caractéristiques de leur activité. Ils pourront choisir, le cas échéant, de créer leur propre nomenclature en cohérence avec leur action ou de se reporter à la nomenclature précitée à titre indicatif. Cette disparition s’inscrit clairement dans la logique de simplification des règles et de responsabilisation des acheteurs qui sous-tend ce projet de réforme. »).
La chambre criminelle de la Cour de cassation a également eu l’occasion de sanctionner la rédaction d’un cahier des charges orienté (Cass. crim. 6 avril 2005, pourvoi n° 00-80418) ou la participation du futur titulaire à la définition du besoin (Cass. crim. 20 avril 2005, pourvoi n° 00-83017) de sorte que les acheteurs publics devront être particulièrement vigilant dans le cadre de la mise en œuvre des consultations préalables prévues par l’article 40 de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 qui seront transposées en droit interne afin d’éviter des dérives par négligences ou manipulation de certains opérateurs économiques.
À ce stade de la procédure, d’autres manquements peuvent être constatés : régularisations de candidatures par l’autorité désignée par le pouvoir adjudicateur au-delà des délais impartis, acceptation possible d’offres en dehors des délais officiels, sollicitation directe d’offres complémentaires… De la même façon, le déroulement des négociations doit se faire en toute transparence dans le respect de l’égalité des candidats. La traçabilité des opérations paraît donc une fois de plus recommandée (Cass. crim. 19 octobre 2005, pourvoi n° 00-87312).
Deux hypothèses peuvent se présenter, chacune présentant un risque de qualification de délit de favoritisme :
l’absence de publicité et de mise en concurrence au-delà du seuil de 25 000 euros HT. Le principal risque est lié à la passation de plusieurs marchés à procédure adaptée inférieurs au seuil de 25 000 euros HT avec le même fournisseur sans publicité ni mise en concurrence. Exemple : Le maire de la commune Y passe une commande de 9 000 euros HT pour remplacer plusieurs ordinateurs de la Mairie. Comme le lui permet l’article 28 du code des marchés publics, le montant des besoins étant inférieurs à 25 000 euros HT, le maire s’adresse directement sans mise en concurrence et sans publicité à l’entreprise de son choix. Deux mois plus tard, le maire décide d’acquérir de nouveaux ordinateurs pour équiper l’ensemble des services de la Commune. Il contacte à nouveau l’entreprise qui lui adresse une nouvelle facture de 20.000 euros HT. Le montant total des commandes s’élève alors à la somme de 29 000 euros HT et s’avère supérieur au seuil des 25 000 euros HT qui lui permettait de s’abstenir de toute publicité et de toute mise en concurrence. Dans ce cas, est-il permis de considérer que l’entreprise a été favorisée ? Théoriquement, oui.
le dépassement du seuil de 209 000 euros HT pour les collectivités territoriales ou 135000 euros HT pour l’État. Le montant initial du marché peut aussi être fixé initialement à moins de 209 000 euros HT ou 135 000 euros HT alors que son coût réel est largement supérieur. Le recours à une procédure formalisée s’impose alors dès lors que le seuil est franchi sans qu’un nouveau MAPA puisse régulariser la situation.
L’élément intentionnel est fondamental dans la constatation et la sanction du délit. Dans un arrêt du 14 janvier 2004, la Cour de cassation a rappelé que l’élément intentionnel du délit de favoritisme ne consistait pas à vouloir favoriser un candidat, mais simplement à accomplir “en connaissance de cause”, un acte contraire aux dispositions relatives à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats” (Cass. crim. 14 janvier 2004, pourvoi n° 03-83396).Dans cette affaire, la Cour de cassation considère que l’élément intentionnel est caractérisé par « l’accomplissement en connaissance de cause d’un acte contraire ». Plus précisément, l’intention est sous-entendue dans la commission même d’un « acte contraire » lorsque l’auteur ne pouvait pas ne pas connaître l’existence de l’infraction eu égard à sa profession, sa connaissance de la réglementation ou ses relations.
Cette référence à la notion de « connaissance de cause » sera appréciée au cas par cas (Cass. crim. 29 juin 2005, pourvoi n° 00-846002). Elle permettra notamment, dans le domaine du droit de la passation des contrats publics, de faire valoir une défense pénale au regard de l’imprécision de la réglementation, de l’absence de jurisprudence, ou alors des fonctions ou de la formation des personnes mises en cause. À cet égard, on précisera en effet que le juge apprécie le degré de conscience de bénéficier d’un avantage injustifié et le niveau de connaissance du code des marchés publics pour sanctionner éventuellement les personnes responsables (TGI Paris, 7 janvier 1998 ; TGI Nantes, 19 décembre 1997 ; CA Colmar, 11 septembre 1997).
Ainsi, le juge estime qu’il est des fonctions où l’ignorance n’est pas admissible : un maire ne peut se réfugier derrière la méconnaissance de la procédure d’appel d’offre (Cass. crim. 15 septembre 1999, 98-87588; Cass. crim. 24 octobre 2001, 01-81089; Cass. crim. 8 mars 2006, n°05-85276).
Un même fait peut être constitutif à la fois d’un délit de favoritisme et d’un autre délit, notamment lorsque la personne responsable du marché bénéficie d’un avantage pouvant relever de la prise illégale d’intérêt (article 432-12 du code pénal)ou de la corruption (article 433-1 du code pénal). Dans un arrêt du 29 juin 2011 (Cass. crim. 29 juin 2001,n°10-87498), la chambre criminelle de la Cour de cassation a en effet confirmé la condamnation pour délit de favoritisme et prise illégale d’intérêts d’un maire qui avait signé un avenant à un marché public de dragage d’un port en vue de réaliser des travaux supplémentaires, à la demande d’un autre élu, pour permettre au bateau d’un membre de la famille de ce dernier d’accéder au port. La violation des dispositions du code des marchés publics ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats (signature par le maire d’un avenant sans intervention de la CAO) est à l’origine d’un avantage injustifié et caractérise le délit de favoritisme. Les mêmes faits caractérisent également une prise illégale d’intérêts dans la mesure où ils ne favorisent pas seulement l’opérateur bénéficiaire du marché mais également l’élu.
Selon l’article 7 du Code de procédure pénale, la prescription de l’action publique commence à courir au jour de la commission de l’infraction. Cependant la jurisprudence, pour éviter des impunités de fait a décidé de retarder le point de départ de la prescription de certains délits « au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique ». La jurisprudence considère qu’un délit est occulte lorsqu’il existe des difficultés à découvrir l’infraction, comme la clandestinité de l’opération rendant impossible la connaissance des faits ou l’impossibilité de dénoncer l’infraction (Cass. crim. 30 juin 2004, pourvoi n°03-86287). Tant le délit de favoritisme que les délits annexes que sont le recel et la complicité de favoritisme, sont des délits continus et ne se prescrivent qu’à compter du jour où ils sont apparus lorsque les actes incriminés ont été dissimulés ou accomplis de manière occulte (Cass. crim. 27 octobre 1999, Godard Marcel, Dr. pénal mars 2000, n° 27). Ainsi par exemple, le délit pourra être constaté uniquement lors de la demande de transmission d’un rapport d’analyse des candidatures et des offres par un candidat évincé dès lors que seules les informations fournies dans ce document peuvent dans certains cas permettre de déceler le favoritisme .
Les marchés anciennement soumis à l’ordonnance n°2005-649 du 6 juin 2005 sont donc passibles de délit de favoritisme « avant » et « après » l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2005-649 du 6 juin 2005 et cela sans condition de prescription s’agissant des marchés dont les résultats n’ont pas été rendus publics…………..
Arrêt n° 549 du 17 février 2016 (15-85.363) – Cour de cassation – Chambre criminelle – ECLI:FR:CCASS:2016:CR00549
Favoritisme marchés publics
Rejet
Favoritisme marchés publics
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Demandeur(s) : M. Bastien X… ; et autre
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Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, des articles 114 et 432-14 du code pénal, de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, de la directive n° 2004/18 du 31 mars 2004, des articles préliminaire, 80-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
“en ce que la chambre de l’instruction a rejeté la requête en nullité et a dit n’y avoir lieu à l’annulation d’une pièce de la procédure examinée jusqu’à la cote D 127 ;
“aux motifs que, par sa plainte avec constitution de partie civile, déposée le 10 février 2013, le syndicat SNPCA-CFE-CGC dénonçait les circonstances et conditions de passation de divers contrats de prestations de services, passés entre 2008 et 2011 par France télévisions et différentes sociétés de conseils créées et animées par d’anciens cadres de la direction de cet établissement, qu’il en allait, notamment, ainsi pour la société par actions simplifiées Bygmalion SAS, créée en 2008 et dirigée par M. Y… jusqu’au 1 janvier 2011, ancien membre de la direction de FTV jusqu’en 2008, réalisant des prestations de « veille internet, courrier aux téléspectateurs, préparation de dossiers et d’éléments de langage pour le secrétaire général, accompagnement stratégique du groupe FTV » ; qu’une information judiciaire a été ouverte le 24 mai 2013, des chefs de favoritisme, prise illégale d’intérêt et de complicité de prise illégale d’intérêt ; que plusieurs personnes comme M. Z…, président de France télévisions, de août 2005 à août 2010, et M. A… secrétaire général seront mis en examen, du chef de favoritisme, que M. X… co-dirigeant et actionnaire de la société Bygmalion, et cette société seront mis en examen pour recel du délit de favoritisme, en leur qualité de signataire respectif de ces conventions ou encore comme les ayant initiées en ce qui concerne M. Z… ; que, sur l’éventuel défaut de base légale des poursuites, il appartient à la cour ici saisie de se prononcer sur cette question, dont dépend la suite des investigations et les poursuites engagées ; que la loi n° 200-719 du 1er août 2000, modifiant celle du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication, a créée en son article 44, la société France télévisions, société constituée dans l’intérêt général, qui poursuit, depuis la loi du 3 décembre 1986, des missions de service public (article 43-11) ; qu’en application de l’article 47, l’Etat détient l’intégralité du capital de la société France télévisions et des sociétés de programme, que, selon l’article 47-1, France télévisions et ses filiales sont soumises à la législation sur les sociétés anonymes, sauf dispositions contraires, que son Conseil d’administration comprend douze membres nommées pour cinq ans, que cet organisme est doté d’un président et d’un directeur général ; qu’enfin France télévisions est soumise au contrôle économique et financier de l’Etat ; que, la loi 2009-258 du 5 mars 2009, est venue modifier ou compléter la loi du 1er août 2000, quant à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, que ce texte redéfinit la mission de France télévisions, qui répond à des missions de service public, telles que tracées par l’article 43-11 et indique que la principale source de financement de France télévisions est constituée par le produit de la contribution à l’audiovisuel public, que cette loi reprend le principe que l’Etat détient la totalité du capital des sociétés France télévisions et Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur à la France et que les présidents de ces sociétés sont nommés par décret pour cinq ans, après avis conforme du Conseil supérieur de l’audiovisuel et des commissions parlementaires compétentes (article 13) ; que l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées, non soumises au code des marchés publics (CMP), a transposé plusieurs directives, dont celles n° 2004/18/CE du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, fournitures et services, que son article 1 définit les marchés et les accords cadres soumis à la présente ordonnance ; que son article 3 énumère les pouvoirs adjudicateurs dont les organismes de droit privé ou les organismes de droit public, dotés de la personnalité juridique et qui sont créées pour satisfaire spécialement des besoins d’intérêt général, ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial ; que l’article 6 de cette ordonnance pose le principe pour ces pouvoirs ou entités adjudicateurs, de leur soumission et du respect aux principes de la liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ; que l’ensemble des requérants à l’annulation de la présente procédure pour défaut de base légale, ne contestent pas que France télévisions remplit les caractéristiques légales sus évoquées que l’ordonnance du 6 juin 2005 est applicable à France télévisions et aux marchés qu’elle était amenée à conclure sur la période considérée ; que l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, dans sa version applicable au moment des faits, comme dans celle applicable au 31 décembre 2009, en exergue, aux dispositions qu’elle instaure, vise : vu le code pénal, notamment, ses articles 222-38… et 450-1, que l’adverbe, notamment, indique que cette énumération n’est pas exhaustive ; que vu la loi n° 91-3, du 3 janvier 1991, relative à la transparence et à la régularité des procédures de marchés et soumettant la passation de certains contrats à des règles de publicité et de mise en concurrence ; qu’il doit être déduit des préambules que ce texte n’est pas exclusivement applicable aux marchés publics, comme le rappelle expressément l’article 6 susvisé de ladite ordonnance et comme l’y invite le droit communautaire qui admet une approche plus large du terme de marché public ; que les termes de cet article sont, en effet, comme le soutient la partie civile, à rapprocher de ceux de l’article 1 du CMP : ce sont ces mêmes principes fondamentaux de la commande publique qui sont rappelés dans l’article 6 de l’ordonnance du 6 juin 2005 ; que de fait, aux termes de l’article 1-II du code des marchés publics « Les marchés publics et les accords-cadres soumis au présent code respectent les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces principes permettent d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. Ces obligations sont mises en oeuvre conformément aux règles fixées par le présent code » ; que, par ailleurs, la Cour de cassation invite à sanctionner le non respect des dispositions de l’ordonnance du 6 juin 2005 par l’application du texte d’incrimination de l’article 432-14 du code pénal ; qu’en effet dans son rapport annuel de 2008, la Cour de cassation va dans le sens d’une inclusion de l’ordonnance du 6 juin 2005 dans le champ d’application du délit de favoritisme ; que, dans ce rapport, la Cour de cassation affirme sans aucune ambiguïté : « L’article 432-14 du code pénal incrimine les pratiques discriminatoires caractérisées par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public. Il appartient aux juridictions du fond de caractériser l’existence d’un tel acte, notamment en précisant le cadre juridique du marché concerné et les obligations légales ou réglementaires qui auraient été violées (Crim., 10 mars 2004, Bull. crim., 2004, n° 64, pourvoi n° 02-85.285 ; Crim., 17 janvier 2007, pourvoi n° 06-43.067), peu important à cet égard que la norme violée soit une disposition du code des marchés publics stricto sensu ou une norme légale ou réglementaire complémentaire soumettant des personnes publiques ou privées, non assujetties à un tel code, à des obligations de mise en concurrence imposées par le droit communautaire (Voir en particulier l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics) » ; qu’antérieurement, par sa décision du 14 février 2007, cette même juridiction avait déjà jugé que même dans les cas où le code des marchés publics n’imposerait pas de procédure de publicité ou de mise en concurrence, le délit de favoritisme devait sanctionner le non respect des principes fondamentaux de la commande publique énoncés à l’article 1 du code des marchés publics ; qu’en conséquence, la notion de marchés publics, qui s’entend du principe de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitements des candidats et du principe de transparence des candidats et du principe de transparence des procédures, concernent l’ensemble des marchés passés par des personnes morales investies d’une mission d’intérêt général ou de service public, dont la rémunération sera assurée par l’adjudicateur ou l’entité adjudicatrice au sens de l’ordonnance du 6 juin 2005 ; que les marchés passés entre 2008 et 2011 conclus entre France télévisions, société de droit privé, régie par le droit des personnes privées, certes , mais que cette société est investie d’une mission de service public, que l’Etat détient l’intégralité de son capital, que ses ressources financières essentielles proviennent de la redevance audiovisuelle, que France télévisions est soumise au contrôle économique et financier de l’Etat qu’il est, dès lors, impossible de soutenir que les marchés de prestation de services, notamment, comme en l’espèce, ceux passés par France télévisions avec un partenaire de droit privé, la société Bygmalion, sont des contrats de droit privé, soumis exclusivement au droit privé ; que, si les représentants de France télévisions admettent que ces contrats relèvent de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, ils ne peuvent faire abstraction des exigences de l’article 6 de ce texte, selon lequel les marchés et les accords-cadres soumis à la présente ordonnance respectent les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, et que ces principes permettent d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics ; qu’en conséquence, il doit être logiquement déduit que le non-respect de ce texte, qui fait référence sans équivoque au principe de la commande publique et à ses déclinaisons accessoires ne puisse être sanctionné par l’article 432-14 du code pénal prévoyant l’infraction de favoritisme ; que, dès lors, la violation des dispositions de l’ordonnance du 6 juin 2005 susvisée doit être sanctionné par les dispositions de l’article 432-14 du code pénal, et que dès lors il existe bien un texte de répression de nature pénale constituant un des fondements des poursuites engagées par le réquisitoire du 24 mai 2013 ; que ce réquisitoire, qui répond aux exigences légales de son existence, ce qui n’est pas contesté, n’a pas lieu d’être annulé, mais constitue au contraire le fondement légal des poursuites engagées, le 24 mai 2013 ; qu’enfin, dès lors, reposant sur un texte de répression, soit l’article 432-14 du code pénal et l’ordonnance du 6 juin 2005, les mises en examen de la société Bygmalion et de M. X… prononcées au vu de ces textes n’ont pas lieu d’être annulées, les requérants ne protestant pas contre l’inexistence d’indices graves ou concordants au sens de l’article 80-1 du code de procédure pénale ;
“alors que le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, interdit l’application extensive de la loi pénale, notamment, par analogie ; que le délit de favoritisme prévu par l’article 432-14 du code pénal réprime les actes contraires aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public ; qu’en refusant d’annuler les mises en examen des demandeurs du chef du délit de recel de favoritisme alors qu’en l’absence de toute référence à l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, le principe d’interprétation stricte de la loi pénale interdisait d’étendre l’application des dispositions de l’article 432-14 du code pénal à la répression de contrats qui ne sont ni des marchés publics, ni des délégations de service public, la chambre de l’instruction a violé les textes susvisés” ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt et des pièces de la procédure que le Syndicat national des personnels de la communication et de l’audiovisuel CFE-CGC (SNPCA-CFE-CGC) a porté plainte et s’est constitué partie civile, notamment, du chef d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et de recel de ce délit, contre les dirigeants de la société anonyme France télévisions (FTV), qui auraient conclu, avec plusieurs prestataires, dont la société Bygmalion, dirigée par M. Bastien X…, ancien salarié de FTV, de nombreux marchés de services sans mise en concurrence préalable, en violation des dispositions de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics ; que le juge d’instruction a mis en examen, d’une part, du chef de favoritisme, MM. Patrick Z… et Camille A…, respectivement président et secrétaire général de France télévisions, d’autre part, du chef de recel de ce délit, M. X… et la société Bygmalion ; qu’ultérieurement, ces derniers ont présenté une requête aux fins d’annulation d’actes de la procédure ;
Attendu que, pour écarter le moyen de nullité pris de ce que l’article 432-14 du code pénal ne s’applique qu’aux marchés régis par le code des marchés publics, l’arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, la cour d’appel a fait l’exacte application de l’article 432-14 du code pénal ;
Qu’en effet, il résulte des termes de cet article qu’il s’applique à l’ensemble des marchés publics et non pas seulement aux marchés régis par le code des marchés publics, lequel a été créé postérieurement à la date d’entrée en vigueur dudit article dans sa rédaction actuelle ; que ces dispositions pénales ont pour objet de faire respecter les principes à valeur constitutionnelle de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ; que ces principes, qui constituent également des exigences posées par le droit de l’Union européenne, gouvernent l’ensemble de la commande publique ; qu’il s’en déduit que la méconnaissance des dispositions de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, et, notamment, de son article 6, qui rappelle les mêmes principes, entre dans les prévisions de l’article 432-14 susmentionné ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;