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Publié le 27 Mai 2016

Marchés publics de services juridiques : l’article 15 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 ne peut pas déroger à la loi

Marchés publics de services juridiques : l'article 15 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 ne peut pas déroger à la loiL’article 15 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics autorise une dérogation à la forme écrite des marchés publics qui peut être considérée comme contraire aux dispositions de l’article 10 de la loi n°71-130 du 31 décembre 1971 régissant la profession d’avocat. La présente note a pour objet de s’interroger sur la régularité de cette disposition de valeur réglementaire qui ne peut pas proposer une alternative qu’une loi interdit formellement.

1- A titre liminaire, un bref rappel des dispositions réglementaires relatives aux marchés publics de services juridiques s’impose

(i) Les marchés publics de services juridiques de représentation de l’article 29 du décret du 25 mars 2016

Les services juridiques de représentation légale d’un client par un avocat ainsi que les services de consultation juridique fournis par un avocat en lien avec une procédure contentieuse ne sont pas soumises aux règles du décret à l’exception de celles figurant aux articles 2, 4, 5, 12, 20 à 23, 30, 48 à 55, 60, 107, 108 et du titre IV de la partie I. Il s’agit donc bien de marchés publics mais exemptés d’un certain nombre de règles. Ces deux types de services juridiques doivent malgré tout faire l’objet d’une publicité et d’une mise en concurrence dont les modalités sont librement définies par l’acheteur public en fonction du montant et des caractéristiques du marché public.

(ii) Les autres marchés publics de services juridiques de l’article 28 du décret du 25 mars 2016

Les autres services juridiques peuvent être passés selon une procédure adaptée quel que soit leurs montants dans les conditions prévues par l’article 27 du décret. Il s’agit également de marchés publics qui doivent en outre faire l’objet d’une publicité au niveau européen dès lors que la valeur estimée des besoins est égale ou supérieure à 750.000 € HT dans les conditions prévues par l’article 35 du décret .

(iii) L’absence d’écrit obligatoire pour les marchés de services juridiques inférieurs à 25.000 € HT

L’article 15 du décret du 25 mars 2016 indique que les marchés publics répondant à un besoin dont la valeur estimée est égale ou supérieure à 25.000 € HT sont conclus par écrit. Le principe réglementaire est donc que tous les marchés publics dont le montant est égal ou supérieur à ce montant doivent faire l’objet d’une forme écrite. En revanche, lorsque le seuil de 25.000 € HT n’est pas atteint, l’article 15 du décret autorise une dérogation à la forme écrite des marchés publics .
Les marchés de services juridiques des articles 28 et 29 sont soumis aux dispositions de 30.8 du décret lequel fait référence au seuil de l’article 15 du décret. L’article 15 du décret s’applique donc à tous les marchés de services juridiques quel que soient leurs spécificités.

Un acheteur public et un opérateur économique, y compris un professionnel du droit, peuvent donc se trouver engagés par des accords non rédigés qui peuvent se présenter selon des modalités diverses : notes d’honoraires ou factures transmises après réalisation du service fait, circonstances de fait faisant apparaître un consentement mutuel non exprimé formellement comme par exemple la continuation d’un contrat après son expiration etc….ou accords purement verbaux comme a pu l’admettre le Conseil d’Etat à plusieurs reprises (v.par exemple CE 28 février 1958, Ministre de l’Industrie et du commerce c.Ville de Paris, rec.p.945 à propos de la construction d’un stade ou encore CE 14 juin 1967, Chapuis, rec.p.850 à propos de l’exécution d’une opération de travaux ).

Cela étant, il est intéressant dans le cadre de cette analyse de rappeler que le Conseil d’Etat a toujours posé comme principe que ces conventions verbales ne peuvent lier les parties que pour autant elles ne soient pas intervenues dans des domaines où la forme écrite est imposée (v.par exemple CE 1er octobre 1969, Sté des établissements privés, rec.p.411, également les conclusions du Rapporteur public Emmanuel Glaser sous CE 28 décembre 2009, Commune de Béziers, req.n°304802).

C’est la raison pour laquelle il aurait été utile que, dans un souci de clarté et de sécurisation juridique, la rédaction de l’article 15 du décret soit accompagnée de la mention « sauf disposition législative contraire » ou « sous réserve de disposition législative particulière » ou « sans préjudice de disposition législative particulière ».

Or rien de tel, ce qui permet de s’interroger sur la régularité de cette disposition de nature réglementaire qui ne peut pas prévoir une dérogation ou une alternative interdite par la loi, sauf à créer une situation de conflit « vertical » entre normes de valeur différente qui impacterait non seulement la disposition réglementaire en question mais également sur la validité de la convention conclue en méconnaissance de la loi ……Or, tel semble bien être le cas pour les prestations de services juridiques.

2- L’obligation de conclure une convention « écrite » pour toutes les prestations de services juridiques quel que soit leur montant

(i) L’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 impose une forme écrite pour toutes les prestations de services juridiques quel que leur montant

La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques dite « Macron », examinée et validée par le Conseil constitutionnel ( Décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015), qui est entrée en vigueur le 8 août 2015 contient des dispositions qui concernent directement la profession d’avocat.

C’est ainsi que l’article 51 de la loi modifie l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 relatif aux honoraires pose l’obligation pour les avocats de conclure une convention d’honoraire « écrite » avec leurs clients. Le nouvel article 10 al.1 de la loi du 31 décembre 1971 indique en effet que : « les honoraires de postulation, de consultation, d’assistance, de conseil, de rédaction d’actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client. […] Sauf en cas d’urgence ou de force majeure ou lorsqu’il intervient au titre de l’aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, l’avocat conclut par écrit avec son client une convention d’honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés ».

(ii) Une obligation qui a valeur législative et qui limite les dérogations possibles

Désormais depuis le 8 août 2015, conformément à l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, une convention d’honoraires doit obligatoirement être conclue « par écrit » entre l’avocat et son client. Cette obligation concerne tous les domaines d’intervention de l’avocat et les prestations de services juridiques (postulation, consultation, assistance, conseil, rédaction d’actes juridiques sous seing privé et plaidoirie).

Il ne peut être dérogé à cette obligation qu’à titre exceptionnel : en cas d’urgence, de force majeure ou lorsque l’avocat intervient au titre de l’aide juridictionnelle totale ou de l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles.

L’article 10 de la loi de 1971 pose donc une obligation générale : celle d’une convention sous forme écrite sans distinction selon la nature publique ou privé des clients et trois dérogation possibles énumérées par la loi elle-même : l’urgence, la force majeure et l’aide juridictionnelle.

(iii) Une obligation qui est soumise au contrôle des agentes de la DGCCRF

Il est à noter que les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sont autorisés à rechercher et constater les manquements au titre de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971, c’est-à-dire les manquements à l’obligation pour l’avocat de conclure par écrit avec son client une convention d’honoraires. Ce contrôle porte sur le seul constat de l’existence matérielle de la convention.

Les recherches et constatations s’effectuent dans les conditions fixées par les articles L. 450-1, L. 450-3, L. 450-3-1, L. 450-3-2, L. 450-7 et L. 450-8 du code de commerce. Ces dispositions permettent notamment aux agents de la DGCCRF d’accéder à des locaux utilisés à des fins professionnelles par un avocat ou d’exiger la communication par celui-ci de ses livres, factures et autres documents professionnels et obtenir ou prendre copie de ces documents.

3- L’article 15 du décret du 25 mars 2016 ne peut pas déroger aux dispositions de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971

(i) Une dérogation illégale d’une norme réglementaire à une norme législative

Au terme de l’analyse, il apparaît que la rédaction de l’article 15 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics n’est absolument pas satisfaisante tant d’un point de vue de la sécurité juridique qu’au regard du principe de légalité. Sur le plan de la sécurité juridique, comment admettre qu’un texte de nature réglementaire puisse placer un avocat dans une situation irrégulière au regard des règles régissant sa profession ? Plus généralement, au regard du principe de légalité, peut-on admettre qu’une disposition de valeur réglementaire autorise une alternative qui est interdite par la loi ?

De toute évidence, l’article 15 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 offre une alternative à la forme écrite des marchés publics qui paraît contraire aux dispositions de l’article 10 de la loi n°71-130 du 31 décembre 1971 régissant la profession d’avocat.

Et l’on peut d’autant plus s’interroger sur la légalité de cette dérogation que, par principe, un texte de valeur réglementaire ne peut jamais déroger, explicitement ou implicitement, à un texte de valeur législative. Or, tel est bien le cas de l’article 15 du décret du 25 mars 2016 s’agissant des modalités de passation des marchés publics de services juridiques.

(ii) Une abrogation partielle ou totale des dispositions réglementaires litigieuses

Il serait donc tout à fait possible de solliciter l’abrogation de cette disposition réglementaire en application de la jurisprudence du Conseil d’Etat qui considère que l’autorité compétente, saisie d’une telle demande d’abrogation d’une disposition réglementaire, est tenue d’y déférer, soit que cette disposition ait été illégale dès la date de sa signature, soit que l’illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date (CE 3 février 1989, Compagnie Alitalia, req.n°74052).

Conclusion : En tout état de cause, conformément à la loi, l’écrit est de rigueur pour les marchés de services juridiques y compris pour ceux dont la valeur estimée est inférieure à 25.000 € HT.


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