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Publié le 12 Sep 2018

Appréciation de l’utilité d’une demande d’extension d’une mesure d’expertise

CE 26 juillet 2018, Axa France Iard et A., n°415139, T.Rec.

Cet arrêt est intéressant car il permet de rappeler les modalités d’appréciation de l’utilité d’une demande d’extension d’une mesure d’expertise par le juge administratif.

Dans cette affaire, une commune, en tant que maître d’ouvrage confronté à des désordres affectant la maison de la vie associative qu’il avait fait construire, a saisi le tribunal administratif d’un référé expertise dix jours avant l’expiration du délai de la garantie décennale, soit le 7 octobre 2016 alors que la réception avait pris effet le 17 octobre 2006.

Sa demande tendait à mettre en cause plusieurs de ses cocontractants, en tant que constructeurs, et leurs assureurs respectifs, ainsi qu’un sous-traitant. L’un des constructeurs et son assureur ont demandé que la mesure soit étendue à un autre sous-traitant.

Ce n’est qu’en appel que la demande de la Commune a pu prospérer, et qu’un expert a donc été désigné. Néanmoins, la demande de mise en cause du second sous-traitant a été écartée.

Enseignement n°1 : Modalités d’appréciation de l’utilité d’une demande d’extension d’une mesure d’expertise

 

S’il est acquis que la demande d’expertise est utile dans la perspective d’un litige principal, le bien-fondé de mises en cause accessoires s’apprécient uniquement au regard de leur utilité pour la réalisation des opérations d’expertise.

Les modalités d’appréciation de l’utilité d’une mesure d’expertise avaient été précisées dans une décision du Conseil d’Etat du 14 février 2017, n°401514 (publiée aux Tables).

Dans cette décision de 2017, le Conseil d’Etat avait énoncé que l’utilité d’une mesure d’expertise s’apprécie « dans la perspective d’un litige principal, actuel ou éventuel auquel elle est susceptible de se rattacher ». Dans ce cadre, avait ajouté la Haute juridiction, il y a lieu de rejeter la demande d’expertise lorsque les prétentions la fondant se heurtent à la prescription.

Faisant application des règles jurisprudentielles rappelées ci-dessus, la Cour avait considéré que la demande principale de la commune était utile car introduite dans le délai de la garantie décennale, mais que la demande reconventionnelle formulée par l’un des constructeurs contre un sous-traitant, intervenue au-delà de ce délai, se heurtait à la prescription (étant rappelé que depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 8 juin 2005, les actions en responsabilité dirigées contre les sous-traitants en raison de dommages affectant l’ouvrage se prescrivent par 10 ans à compter de la réception des travaux).

Le Conseil d’Etat annule l’arrêt pour erreur de droit : dès lors qu’il était admis que la demande principale n’était pas prescrite, la seule question à se poser pour faire éventuellement droit à la demande de mise en cause du second sous-traitant était celle de l’utilité de cette mise en cause « à la réalisation des opérations d’expertise ».

Enseignement n°2 : cette décision est l’occasion de rappeler que l’intérêt d’introduire un référé-expertise réside également (à condition que la demande prospère) dans l’effet interruptif de cette action sur les délais de prescription et de forclusion, effet qui résulte des dispositions de l’article 2241 du code civil.


 

Conseil d’Etat
N° 415139
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
26 juillet 2018

Vu la procédure suivante :

La commune de Villeneuve-sur-Lot a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux de désigner un expert ayant pour mission de connaître des désordres dans la construction de la grande salle de réunion de la Maison de la vie associative réalisée en 2006. Par une ordonnance n° 1604360 du 12 janvier 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 17BX00344 du 5 octobre 2017, le président de la 6ème chambre de la cour administrative d’appel de Bordeaux a, sur appel de la commune de Villeneuve sur Lot, annulé cette ordonnance, ordonné qu’il soit procédé à une expertise contradictoire entre la commune de Villeneuve-sur-Lot, la société Simon Bonis et sa compagnie d’assurance AXA France Iard, la société nouvelle d’exploitation Cuendet et sa compagnie d’assurance Allianz Iard, Me A…B…, en sa qualité de liquidateur de la société Decopeint, et sa compagnie d’assurance MMA, venant aux droits de la compagnie Azur assurances, et rejeté les conclusions de la société Simon Bonis et de la société AXA France Iard tendant à ce que la société Eurovia soit attraite à l’expertise.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 et 30 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, les sociétés Axa France Iard et Simon Bonis demandent au Conseil d’Etat d’annuler cette ordonnance en tant qu’elle n’a pas mis en cause la société Eurovia, sous-traitante.

  1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 511-1 du code de justice administrative : ” Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ” ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article R. 532-1 du même code : ” Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l’absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d’expertise ou d’instruction ” ;
  2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges des référés que la commune de Villeneuve-sur-Lot a confié par un marché public en date du 29 septembre 2005 la construction d’une maison de la vie associative à diverses entreprises ; que le lot n° 2 relatif au gros oeuvre a été attribué à la société Simon Bonis et le lot n° 13 relatif au revêtement des sols souples à la société Decopeint ; que la société Eurovia Aquitaine a réalisé en qualité de sous-traitant de la société Simon Bonis des prestations de traitement à la chaux sur le lot n° 2 ; que les travaux relatifs au lot n° 2 ont été réceptionnés sans réserves le 17 octobre 2006 ; que la commune de Villeneuve-sur-Lot, ayant constaté en 2015 une dégradation anormale du revêtement du sol de la grande salle de réunion de la maison de la vie associative, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux le 7 octobre 2016, avant l’expiration du délai de garantie décennale, d’une demande tendant à la désignation d’un expert, sur le fondement des dispositions de l’article R. 532-1 du code de justice administrative, ayant pour mission de connaître des désordres survenus ; qu’elle demandait que cette expertise soit réalisée contradictoirement avec la société Simon Bonis, la société Decopeint, la société Cuendet, sous-traitant de la société Simon Bonis, et leurs assureurs respectifs ; que par un mémoire en date du 2 décembre 2016, la société Simon Bonis et son assureur, la compagnie d’assurances AXA France, ont demandé que l’expertise soit étendue à la société Eurovia, autre sous-traitant de la société Simon Bonis ; que, par une ordonnance en date du 12 janvier 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande d’expertise pour défaut d’utilité ; que par une ordonnance en date du 5 octobre 2017, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé cette ordonnance, ordonné qu’il soit procédé à une expertise contradictoire entre la commune de Villeneuve-sur-Lot, la société Simon Bonis et sa compagnie d’assurance AXA France Iard, la société nouvelle d’exploitation Cuendet et sa compagnie d’assurance Allianz Iard, Me A…B…, en sa qualité de liquidateur de la société Decopeint, et sa compagnie d’assurance MMA, venant aux droits de la compagnie Azur assurances, et rejeté les conclusions additionnelles tendant à ce que la société Eurovia soit mise en cause ;
  3. Considérant que l’utilité d’une mesure d’instruction ou d’expertise qu’il est demandé au juge des référés d’ordonner sur le fondement de l’article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d’une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d’autres moyens et, d’autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l’intérêt que la mesure présente dans la perspective d’un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher ; qu’à ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d’expertise lorsque, en particulier, elle est formulée à l’appui de prétentions qui ne relèvent manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative, qui sont irrecevables ou qui se heurtent à la prescription ; que, de même, il ne peut faire droit à une demande d’expertise permettant d’évaluer un préjudice, en vue d’engager la responsabilité d’une personne publique, en l’absence manifeste de lien de causalité entre le préjudice à évaluer et la faute alléguée de cette personne ;
  4. Considérant qu’il ressort des énonciations de l’ordonnance attaquée que, pour rejeter les conclusions des sociétés Simon Bonis et Axa France Iard tendant à ce que la société Eurovia, sous-traitante de la société Simon Bonis, soit attraite à l’expertise, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Bordeaux a jugé que toute action en responsabilité à l’encontre de la société Eurovia serait prescrite, les travaux réalisés par la société Eurovia pour lesquels sa mise en cause était sollicitée ayant fait l’objet d’une réception le 17 octobre 2006, le point de départ du délai de la garantie décennale devant être fixé à cette date et ce délai n’ayant pas été interrompu par la demande d’expertise de la commune de Villeneuve-sur-Lot, enregistrée au greffe du tribunal administratif le 7 octobre 2016, qui ne visait pas cette société ;
  5. Considérant, toutefois, qu’en se fondant sur ce motif pour écarter les conclusions de la société Simon Bonis et de son assureur tendant à ce que la société Eurovia soit attraite à l’expertise, alors qu’il lui appartenait seulement de déterminer si la mise en cause de la société Eurovia était utile à la réalisation de l’expertise sollicitée par la commune de Villeneuve-sur-Lot, dont il avait admis que les prétentions n’étaient pas prescrites, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ; que, dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, son ordonnance doit être annulée en tant qu’elle a rejeté la demande de mise en cause de la société Eurovia à l’expertise ;
  6. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler, dans cette mesure, l’affaire au titre de la procédure de référé engagée par la commune de Villeneuve-sur-Lot en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
  7. Considérant qu’il résulte de l’instruction que la mise en cause de la société Eurovia est utile à la réalisation de l’expertise sollicitée par la commune de Villeneuve-sur-Lot afin de décrire et analyser les désordres affectant la grande salle de réunion de la maison de la vie associative, de déterminer les mesures conservatoires devant être prises, de déterminer l’origine, l’étendue et la cause des désordres et de chiffrer les préjudices subis par la commune ; qu’il y a lieu, dès lors, de faire droit à la demande des sociétés Simon Bonis et Axa France Iard et d’attraire la société Eurovia à l’expertise ordonnée ;

 

D E C I D E :

Article 1er : L’ordonnance du 5 octobre 2017 du juge des référés de la cour administrative d’appel de Bordeaux est annulée en tant qu’elle a refusé de mettre en cause la société Eurovia Aquitaine.

Article 2 : L’expertise ordonnée par l’ordonnance du 5 octobre 2017 du juge des référés de la cour administrative d’appel de Bordeaux est étendue à la société Eurovia Aquitaine.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Axa France Iard, à la société Simon Bonis, à la commune de Villeneuve-sur-Lot, à la société nouvelle d’exploitation Cuendet, à la compagnie d’assurance Allianz Iard, à Maître A…B…, en sa qualité de liquidateur de la société Decopeint, à la compagnie d’assurance MMA, venant aux droits de la compagnie Azur assurances et à la société Eurovia Aquitaine.


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