TA Ordo 1er mars 2018, Société SYCOMORE, req.n°1800896
L’Etablissement Public du Château, du Musée et du Domaine National de Versailles a lancé une procédure d’appel d’offres ouvert sur le fondement des dispositions de l’articles 25 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics pour couvrir ses besoins en matière de distribution d’audioguides et de création/production de parcours audioguidés à destination de ses visiteurs.
Par une requête enregistrée du 7 février 2018, la société Sycomore a décidé de saisir le juge des référés précontractuels sur le fondement de l’article L. 55 1-1 du code de justice administrative en vue de demander l’annulation la procédure d’attribution par l’Etablissement public du Château, du Musée et du Domaine national de Versailles du lot n° 1 du marché de mise à disposition d’audioguides et de création et production de parcours audio/vidéo LSF et la décision du 29 janvier 2018 par laquelle l’Etablissement public a rejeté son offre.
Le cabinet Palmier-Brault- Associés a défendu l’Etablissement public du Château, du Musée et du Domaine national de Versailles dans cette affaire et a obtenu le rejet du référé.
Un des aspects intéressant de cette affaire réside dans le débat autour de la pertinence de l’utilisation du critère de jugement des offres relatif aux performances en matière d’insertion professionnelle des publics en difficulté.
La société requérante critiquait notamment la procédure au motif pris que L’Etablissement Public du Château, du Musée et du Domaine National de Versailles ne pouvait pas légalement analyser les offres des soumissionnaires sur le fondement de ce critère eu égard à l’objet du marché et ses conditions d’exécution .
L’article 62-II 2° du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, rappelle en effet que pour attribuer le marché public au soumissionnaire qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, l’acheteur peut se fonder :
« Sur une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l’objet du marché public ou à ses conditions d’exécution au sens de l’article 38 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. Il peut s’agir, par exemple, des critères suivants:a) La qualité, y compris la valeur technique et les caractéristiques esthétiques ou fonctionnelles, l’accessibilité, l’apprentissage, la diversité, les conditions de production et de commercialisation, la garantie de la rémunération équitable des producteurs, le caractère innovant, les performances en matière de protection de l’environnement, de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture, d’insertion professionnelle des publics en difficulté, la biodiversité, le bien-être animal».
L’article 52-I de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics indique dans le même sens que le marché public est attribué au soumissionnaire qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse par application de critères d’attribution qui doivent être liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution en précisant que « le lien avec l’objet du marché public ou ses conditions d’exécution s’apprécie conformément à l’article 38 ».
L’article 38-I de l’ordonnance précise que « les conditions d’exécution d’un marché public peuvent prendre en compte des considérations relatives à l’économie, à l’innovation, à l’environnement, au domaine social ou à l’emploi, à condition qu’elles soient liées à l’objet du marché public ».
Le juge du référé précontractuel est effectivement compétent pour vérifier le bien-fondé de l’utilisation d’un critère ou d’un sous-critère de jugement des offres au regard de l’objet du marché uniquement sur la base de l’erreur manifeste d’appréciation autrement dit en cas d’erreur grossière (CE 15 février 2013, Société Derichebourg Polyurbaine, req.n°363921).
L’ordonnance de référé précontractuel du Tribunal administratif de Versailles est intéressante en ce qu’elle rappelle le principe selon lequel, dans le cadre d’une procédure d’attribution d’un marché qui, eu égard à son objet, est susceptible d’être exécuté, au moins en partie, par des personnels engagés dans une démarche d’insertion, le pouvoir adjudicateur peut légalement prévoir d’apprécier les offres au regard du critère d’insertion professionnelle des publics en difficulté mentionné au a) du 2° du II de l’article 62 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, dès lors que ce critère n’est pas discriminatoire et lui permet d’apprécier objectivement ces offres.
Mais surtout, le juge du référé précontractuel va plus loin en considérant qu’il résulte des dispositions du I de l’article 38 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics que sont réputées liées à l’objet du marché public les conditions d’exécution qui se rapportent aux fournitures et services à fournir en application du marché public, à quelque égard que ce soit et à n’importe quel stade de leur cycle de vie pour considérer qu’en l’espèce, les conditions d’exécution du marché en litige, qui consistent en la mise à disposition d’audioguides, comportent nécessairement des étapes relatives à la production, au transport, à la maintenance et à la fin d’utilisation des appareils et que ces différentes étapes du cycle de vie, qui sont réputées liées à l’objet du marché, sont susceptibles d’être exécutées par des personnels engagés dans une démarche d’insertion de sorte que l’Etablissement public du Château, du Musée et du Domaine national de Versailles pouvait légalement prévoir d’apprécier les offres au regard du critère d’insertion professionnelle des publics en difficulté.
Cette motivation est donc fort intéressante pour justifier la légalité du recours au critère relatif aux performances en matière d’insertion professionnelle des publics en difficulté