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Publié le 18 Mar 2024

CE ord. 15 janvier 2024, Cne de Samoëns, n°489157

La violation d’un contrat confiant l’exécution du service public ne justifie pas nécessairement l’intervention du juge du référé « mesures utiles »

Ce qu’il faut retenir :

Le privilège du préalable ne fait pas obstacle à ce que le juge du référé « mesures utiles » ordonne, éventuellement sous astreinte, toute mesure nécessaire pour faire cesser l’inexécution contractuelle qui compromettrait la continuité du service public. Cependant toute inexécution contractuelle ne justifie pas son intervention.

Enseignement n°1 : La condition d’urgence n’est pas remplie si l’inexécution contractuelle procure un avantage financier à l’administration

Sur le fondement de l’article L.521-3 du code de justice administrative, le juge du référé-conservatoire ou « mesures utiles » ne s’interdit pas d’intervenir dans la relation qui unit l’administration à son cocontractant. Il faut pour cela que la mesure demandée soit utile, ne se heurte ni à une contestation sérieuse ni à une décision administrative, et qu’au demeurant une situation d’urgence soit caractérisée.

Sur ce dernier point, le juge apprécie « si la situation portée à sa connaissance est de nature à porter un préjudice suffisamment grave et immédiat à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre » (Conseil d’État, 13 juillet 2007, Bracco, n° 297367).

Dans cette optique, il a déjà été jugé que l’atteinte au bon fonctionnement du service public résultant d’un manquement contractuel pouvait caractériser une telle situation d’urgence (CE, 25 juin 2018, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, n° 418493, aux Tables).

L’intérêt de l’ordonnance commentée est de mettre en évidence l’absence de lien systématique entre manquement contractuel et atteinte au bon fonctionnement du service public, quand bien même le contrat a pour objet l’exécution même du service public.

En l’espèce, l’exploitation de plusieurs domaines skiables avait été confiée par plusieurs communes à un même titulaire, et un différend s’était fait jour quant à la fixation des tarifs. Dans ce montage, le titulaire devait commercialiser des forfaits communs, à un tarif commun, valables sur l’ensemble des domaines. L’une des communes concédantes toutefois, la commune de Samoëns, pris le parti de voter le tarif commun à un prix inférieur.

Quand bien même ce vote n’avait pas été suivi d’effet, le juge refuse de considérer que cette inexécution du contrat de concession constitue une situation d’urgence. Une position logique eu égard à ce que cette violation du contrat ne préjudicie pas ici aux intérêts de la commune, requérante, puisque le tarif facturé est supérieur à celui voté donc insusceptible de lui causer un préjudice financier.

Enseignement n°2 : La condition d’urgence n’est pas remplie si l’interruption du service public a cessé au jour où le juge statue

Notons tout de même que, face à l’impossibilité de proposer le même forfait à deux prix différents selon la commune de référence de l’usager, le titulaire avait tout simplement interrompu, momentanément, la commercialisation du forfait lorsque l’usager désignait Samoëns comme commune de référence.

La situation d’urgence aurait donc pu être reconnue à ce titre.

Reste qu’à la date à laquelle le juge a statué, la commercialisation du forfait avait repris, au tarif « commun » approuvé par les autres communes concédantes. Aussi, si l’inexécution contractuelle demeurait, l’atteinte à la continuité du service public n’était plus en cause. Le Conseil d’État constate donc le défaut d’urgence et rejette en conséquence la demande de la commune.

 


Conseil d’État, 7ème chambre, 15/01/2024, 489157, Inédit au recueil Lebon

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble que la commune de Samoëns a conclu le 1er septembre 2000 avec la société GMDS une convention de concession pour la construction et l’exploitation des remontées mécaniques et du domaine skiable. Le 4 septembre 2023, le conseil municipal de cette commune a approuvé les tarifs pour la saison à venir du forfait donnant accès à son domaine skiable ainsi que du forfait ” Grand Massif “, qui donne accès au domaine skiable de la commune ainsi qu’à celui de cinq autres autorités concédantes, l’ensemble de ces domaines formant le ” Grand Massif “. Les tarifs approuvés pour ce dernier forfait ont été fixés à un niveau inférieur à ceux qui avaient été proposés par la société et acceptés par les autres autorités concédantes. La société GMDS a décidé de commercialiser le forfait ” Grand Massif ” au tarif retenu par ces autres autorités. La commune de Samoëns a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, d’une demande tendant notamment à ce qu’il soit enjoint à son concessionnaire de commercialiser le forfait ” Grand Massif ” aux tarifs délibérés par son conseil municipal. Par une ordonnance du 17 octobre 2023, contre laquelle la commune de Samoëns se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

2. S’il n’appartient pas au juge administratif d’intervenir dans l’exécution d’un marché public en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l’administration, lorsque celle-ci dispose à l’égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l’exécution du contrat, il en va autrement quand l’administration ne peut user de moyens de contrainte à l’encontre de son cocontractant qu’en vertu d’une décision juridictionnelle. En pareille hypothèse, le juge du contrat est en droit de prononcer, à l’encontre du cocontractant, une condamnation, éventuellement sous astreinte, à une obligation de faire. En cas d’urgence, le juge des référés peut, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, ordonner au cocontractant, éventuellement sous astreinte, de prendre à titre provisoire toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement, à condition que cette mesure soit utile, justifiée par l’urgence, ne fasse obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative et ne se heurte à aucune contestation sérieuse.

3. En premier lieu, en estimant, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la condition d’urgence n’était pas remplie eu égard au motif invoqué par la commune, tenant aux conséquences financières de l’absence de mise en œuvre par la société GMDS de la baisse tarifaire qu’elle avait décidée unilatéralement pour le forfait ” Grand Massif “, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble n’a pas commis d’erreur de droit.

4. En second lieu, dès lors que le juge des référés a estimé que la condition d’urgence n’était pas remplie, le motif par lequel il a jugé que la demande de la commune de Samoëns se heurtait à une contestation sérieuse présente un caractère surabondant. Le moyen tiré de l’erreur de droit qui entacherait ce motif ne peut, par suite, qu’être écarté comme inopérant

5. Il résulte de ce qui précède que la commune de Samoëns n’est pas fondée à demander l’annulation de l’ordonnance qu’elle attaque.

6. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre une somme de 3 000 euros à verser par la commune de Samoëns à la société GMDS au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la société GMDS qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Samoëns est rejeté.
Article 2 : La commune de Samoëns versera à la société Grand Massif Domaines Skiables la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Samoëns et à la société Grand Massif Domaines Skiables (GMDS).


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Table des matières
CE ord. 15 janvier 2024,
n°489157,
référé mesures utiles avocat palmier,
référé mesures utiles et défaillance,
référé mesures utiles et inexécution contractuelle,
référé mesures utiles et interruption service public,
Samoëns,
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