Une méthode d’évaluation par couleur n’est pas, en soi, irrégulière, cependant l’autorité concédante doit veiller au respect des principes d’égalité de traitement et de transparence dans l’application d’une telle méthode.
En matière de concessions, l’article R3124-5 du code de la commande publique prévoit que l’autorité concédante fixe les critères d’attribution par ordre décroissant d’importance : la hiérarchisation des critères est le principe, par opposition aux marchés répondant à un besoin supérieur aux seuils européens pour lequel la pondération s’impose. Les délégations de service public sont, par ailleurs, qualifiées de concessions soumises au code de la commande publique.
Dans ce cadre, le Conseil d’État avait déjà jugé valide la méthode de notation qui consistait à attribuer aux offres analysées, non pas des notes chiffrées, mais des flèches de couleur ! (CE, 3 mai 2022, Cne de Saint-Cyr sur Mer, n° 459678). En effet, de jurisprudence constante, la méthode de notation est libre, du moment qu’elle ne permet pas la prise en compte d’éléments dépourvus de lien avec le critère pour lequel ils fondent une appréciation, et que les modalités d’évaluation ne privent pas les critères de leur portée et ne neutralisent pas la pondération.
Au cas d’espèce, l’évaluation des offres était matérialisée par des couleurs : vert, jaune, rouge. Dans la droite ligne de la décision du Conseil d’État, le tribunal administratif de Nice juge que « la méthode d’évaluation par couleur, n’est pas en soi irrégulière, dès lors que l’autorité concédante n’a aucune obligation d’attribuer des notes chiffrées ».
Cependant, le TA de Nice constate que le règlement de la consultation ne prévoyait aucune hiérarchisation des critères. De plus, l’autorité concédante avait méconnu l’égalité de traitement dans l’application même de sa méthode de notation. Des vices équivalents entachant les différentes offres en lice n’avaient pas abouti à une même note : des documents non-conformes ou insuffisants ont été notés « rouge » s’agissant des offres des requérants alors que des documents présentés par des candidats admis ànégocier et affectés de ces mêmes manquements ont été notés « jaune » ou « vert ». Partant, l’autorité concédante avait écarté certaines offres et admis d’autres à la négociation, sans qu’il y eut réellement de raison objective apparente à ce traitement différencié.
Le juge en conclut que la méthode d’évaluation était ainsi de nature à priver de leur portée les critères définis au règlement de la consultation, en méconnaissance des principes fondamentaux d’égalité de traitement et de transparence. Il s’en déduit qu’une méthode d’évaluation par couleur ne saurait être régulière que lorsque les conditions de sa mise en œuvre auront été clairement exprimées. Gageons que cette expression n’est pas requise au sein même du règlement de la consultation, puisque la méthode de notation ne fait pas partie des éléments dont la publicité est obligatoire (CE, 1er avril 2022, Sté Eiffage Construction Midi-Pyrénées, n°458793). Elle devrait se trouver, a minima, au sein du rapport d’analyse des offres, et permettre de rendre objective la notation attribuée à chaque offre par l’autorité concédante.
Considérant ce qui suit :
1. Par avis en date du 3 octobre 2023, la commune de Menton a publié au Journal officiel de l’Union européenne, un appel d’offres en vue de l’attribution de la délégation de service public portant sur l’exploitation de cinq lots de la plage des Sablettes à Menton. MM. B et D ont déposé leur candidature pour les lots n°1 et 9. Par courrier en date du 6 février 2024, la commune de Menton les a informés que leurs offres ne faisaient pas partie de celles retenues par la commission de délégation de service public. Les requérants demandent au juge des référés, saisi sur le fondement des dispositions de l’article L.551-1 du code de justice administrative d’annuler les procédures de délégation de service public pour les lots n°1 et 9
Sur les conclusions formulées en application des dispositions de l’article L.551-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l’article L.551-1 du code de justice administrative : « Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ». Aux termes de l’article L.551-2 du même code : « Le juge peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. () ». En application de ces dispositions, il appartient au juge des référés précontractuels de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.
3. Aux termes de l’article L. 3124-5 du code de la commande publique : « Le contrat de concession est attribué au soumissionnaire qui a présenté la meilleure offre au regard de l’avantage économique global pour l’autorité concédante sur la base de plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet du contrat de concession ou à ses conditions d’exécution. Lorsque la gestion d’un service public est concédée, l’autorité concédante se fonde également sur la qualité du service rendu aux usagers. / Les critères d’attribution n’ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l’autorité concédante et garantissent une concurrence effective. Ils sont rendus publics dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat. / Les modalités d’application du présent article sont prévues par voie réglementaire. ». Selon l’article R. 3124-5 de ce code : « L’autorité concédante fixe les critères d’attribution par ordre décroissant d’importance. Leur hiérarchisation est indiquée dans l’avis de concession, dans l’invitation à présenter une offre ou dans tout autre document de la consultation. () ». Aux termes de l’article R. 3124-6 du même code : « Les offres qui n’ont pas étééliminées en application de l’article L. 3124-2 sont classées par ordre décroissant sur la base des critères prévus aux articles R. 3124-4 et R. 3124-5. / L’offre la mieux classée est retenue. »
4. Les délégations de service public sont soumises aux principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, qui sont des principes généraux du droit de la commande publique. En outre, il résulte des dispositions de l’article L.1411-1 du code général des collectivités territoriales que les collectivités territoriales qui confient la gestion d’un service public dont elles ont la responsabilité à un ou plusieurs opérateurs économiques par une convention de délégation de service public doivent se conformer au code de la commande publique.
5. L’autorité concédante définit librement la méthode d’évaluation des offres au regard de chacun des critères d’attribution qu’elle a définis et rendus publics. Elle peut ainsi déterminer tant les éléments d’appréciation pris en compte pour son évaluation des offres que les modalités de leur combinaison. Une méthode d’évaluation est toutefois entachée d’irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d’appréciation pris en compte pour évaluer les offres au titre de chaque critère d’attribution sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l’évaluation ou si les modalités d’évaluation des critères d’attribution par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l’ensemble des critères, à ce que l’offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que l’autorité concédante, qui n’y est pas tenue, aurait rendu publique, dans l’avis d’appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode d’évaluation.
6. Au cas d’espèce, l’appréciation des offres est définie par l’article 6.2 du règlement de la consultation, qui prévoit : « Sera déclarée comme irrégulière, une offre, qui, tout en apportant une réponse au besoin du pouvoir adjudicateur, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées au sein des documents de la consultation. Les offres rédigées en langue française seront appréciées sur les bases suivantes : selon l’article R.3124-5 du Code de la Commande Publique : du niveau du service offert aux usagers des bains de mer dans le cadre des obligations mises à sa charge (), de la qualité de l’accueil et du confort des usagers, () du savoir-faire et professionnalisme du candidat, () de la crédibilité et de l’importance de ses propositions techniques et financières ainsi que des garanties offertes pour les concrétiser() ».
4. Sur le fondement des critères exprimés par l’article 6.2 du règlement de la consultation, l’évaluation des offres était matérialisée par des couleurs vert, jaune, rouge. Les requérants soutiennent que le principe d’égalité de traitement des candidats a été méconnu par la commune de Menton en ce que des offres irrégulières ont été admises à participer aux phases de négociations alors qu’ils en ont eux-mêmes été écartés. Il ressort des pièces du dossier que pour les lots n°1 et 9, sur les dix documents constituants chacune des deux offres des requérants, sept, dans le procès-verbal d’analyse, sont notés en rouge (incohérent ou non conforme). Cependant, il ressort de l’examen du rapport d’analyse des offres que pour le lot n°1, le candidat « Calabro » a été admis à la phase de négociation avec sept documents qui présentaient des non-conformités ou des insuffisances au regard des exigences de l’article 4.2 du règlement de consultation pour lesquels des corrections ou compléments étaient attendues, sans que cela ne conduise à une notation en rouge desdits documents. De même, le candidat AJP Solutions, attributaire du lot n°1 a également présenté deux documents contenant des non-conformités ou insuffisances. Pour le lot n°9, les dossiers des candidats admis à la phase de négociation comportaient également de nombreuses non-conformités ou insuffisances.
5. Si la méthode d’évaluation par couleur, n’est pas en soi irrégulière, dès lors que l’autorité concédante n’a aucune obligation d’attribuer des notes chiffrées, il résulte toutefois de ce qui précède qu’au cas d’espèce des documents non-conformes ou insuffisants ont été notés « rouge » s’agissant des offres des requérants alors que des documents présentés par des candidats admis à négocier et affectés de ces mêmes manquements ont été notés « jaune » ou « vert ». La méthode d’évaluation retenue, qui ne prévoit aucune hiérarchisation des critères, était ainsi de nature à priver de leur portée les critères qu’avait retenue l’autorité concédante en méconnaissance du principe fondamental d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.
6. Par suite, il y a lieu de faire droit aux conclusions de la requête tendant à l’annulation de la procédure de passation du contrat de délégation de service public pour l’exploitation des lots n°1 et n° 9 de la plage des Sablettes à Menton.
Sur les dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative
7. Il y a lieu dans les circonstances de l’espèce de mettre à la charge de la commune de Menton la somme globale de 1500 euros au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens.
8. Il y a lieu de rejeter les conclusions présentées par la commune de Menton et la société AJP Solutions au titre des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
Article 1er : Les procédures de délégation de service public organisées par la commune de Menton pour la concession des lots n°1 et 9 de l’exploitation de la plage des Sablettes à Menton sont annulées.
Article 2 : la commune de Menton versera à MM. C B et M. A D la somme globale de 1500 euros sur le fondement des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la commune de Menton et de la société AJP Solutions formulées en application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C B, à M. A D, à la commune de Menton, à la société AJP Solutions et à la société SLC Développement III.