CE 23 décembre 2016, M. EG et M. FD et autres, n°397096
Des requérants ont demandé au Conseil d’Etat l’annulation de plusieurs décrets approuvant des avenants à des concessions passées entre l’Etat et des sociétés pour la concession de la construction, de l’entretien et de l’exploitation d’autoroutes. Certains demandaient également l’annulation des clauses de nature règlementaire des concessions et cahier des charges ainsi approuvés.
L’arrêt rendu dans cette affaire est intéressant à double titre : d’une part, c’est l’une des premières fois que le Conseil d’Etat applique les nouvelles dispositions sur les avenants aux concessions ; d’autre part, il affirme la survivance du REP des tiers contre un acte d’approbation du contrat.
Le décret n°2014-1341 du 6 novembre 2014 a modifié le décret n° 2010-406 du 26 avril 2010 relatif aux contrats de concession de travaux publics. L’objet de ce décret modificatif était de transposer le point b) de l’article 43 de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014, relatif aux modifications des contrats en cours.
Le nouvel article du décret du 26 avril 2010 prévoit ainsi que les concessions peuvent être modifiées sans nouvelle procédure d’attribution pour les travaux ou services supplémentaires nécessaires, à la double condition qu’un changement de concessionnaire soit impossible pour des raisons économiques ou techniques et qu’il présenterait pour le pouvoir adjudicateur un inconvénient majeur ou entraînerait pour lui une augmentation substantielle des coûts ; par ailleurs, le montant des travaux ou services supplémentaires ne peut être supérieur à 50 % du montant du contrat de concession initial.
Les requérants soutenaient notamment que les clauses des contrats contestés prévoyant de nouveaux travaux constituaient des clauses réglementaires méconnaissant ces nouvelles dispositions.
Le Conseil d’Etat écarte ce moyen en relevant tout d’abord que le montant des travaux en cause n’est pas supérieur à 50% du montant des contrats initiaux. Il estime également que ces travaux ont pour objet soit de répondre aux risques liés à l’accroissement du trafic automobile, soit d’améliorer la sécurité routière et qu’ils répondent ainsi à des besoins d’intérêt général et sont devenus nécessaires pour assurer l’exploitation des concessions.
Enfin, il relève qu’un changement de concessionnaire serait impossible du fait des liens étroits entre les équipements concernés et les biens et services concédés et de nature à entraîner, pour l’Etat, une augmentation substantielle des coûts en raison des indemnités qui seraient dues.
Par ailleurs, les requérants sollicitaient l’annulation des décrets approuvant des avenants à des concessions d’autoroutes. Or, par son arrêt du 4 avril 2014, Département du Tarn et Garonne, le Conseil d’Etat avait ouvert à tous les tiers un recours direct de plein contentieux contre les contrats administratifs et fermé la voie du REP contre les actes détachables.
Dans la présente affaire, de même que dans un autre arrêt du même jour également commenté sur notre site (CE, 23 décembre 2016, ASSECO – CFDT et ATTAC Montpellier, n°392815), le Conseil d’Etat retient qu’indépendamment du recours de pleine juridiction contre le contrat administratif ouvert par l’arrêt Département du Tarn et Garonne, les tiers sont recevables à contester devant le juge de l’excès de pouvoir la légalité de l’acte administratif portant approbation du contrat. Il encadre toutefois ce recours de deux conditions : les tiers doivent se prévaloir d’intérêts auxquels l’exécution du contrat est de nature à porter une atteinte directe et certaine ; ils ne peuvent soulever que des moyens tirés de vices propres à l’acte d’approbation et non des moyens relatifs au contrat lui-même.
En l’espèce, le seul moyen relatif à des vices propres entachant les décrets litigieux que soulèvent les requérants est qu’ils méconnaîtraient les objectifs d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme, faute de comporter certaines annexes techniques.
Le Conseil d’Etat rejette cet argument en relevant que les décrets ne présentent aucune difficulté particulière d’interprétation ni aucune ambiguïté et que le contenu des annexes peut être consulté au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. En conséquence, le Conseil d’Etat juge que la seconde condition précitée n’est pas remplie et rejette les recours contre les décrets.
Conseil d’État
N° 397096
7ème – 2ème chambres réunies
lecture du vendredi 23 décembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 397096, par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 18 février, 9 septembre et 24 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. E…G…et M. F…D…demandent au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande tendant au retrait du décret n° 2015-1044 du 21 août 2015 approuvant des avenants aux conventions passées entre l’Etat et la société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et entre l’Etat et la société des Autoroutes Rhône-Alpes (AREA) pour la concession de la construction, de l’entretien et de l’exploitation d’autoroutes et aux cahiers des charges annexés à ces conventions, ensemble ledit décret.
2° Sous le n° 397160, par une requête, enregistrée le 19 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Grenoble demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant au retrait du décret n° 2015-1044 du 21 août 2015 approuvant des avenants aux conventions passées entre l’Etat et la société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et entre l’Etat et la société des Autoroutes Rhône-Alpes (AREA) pour la concession de la construction, de l’entretien et de l’exploitation d’autoroutes et aux cahiers des charges annexés à ces conventions, ensemble ledit décret ;
2°) d’enjoindre à l’Etat de saisir le juge du contrat aux fins de résolution des avenants approuvés par le décret du 21 août 2015 ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code justice administrative.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juillet 2016, la société AREA conclut au rejet de la requête.
Par un mémoire, enregistré le 21 octobre 2016, la commune de Grenoble déclare se désister purement et simplement de sa requête.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 novembre 2016, le ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargé des relations internationales sur le climat conclut au rejet de la requête.
La requête a été communiquée au Premier ministre et à la société APRR, qui n’ont pas produit de mémoire.
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3° Sous le n° 397164, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 février et 19 mai 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le Syndicat Mixte des Transports en Commun de l’Agglomération Grenobloise (SMTCAG) demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2015-1044 du 21 août 2015 approuvant des avenants aux conventions passées entre l’Etat et la société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et entre l’Etat et la société des Autoroutes Rhône-Alpes (AREA) pour la concession de la construction, de l’entretien et de l’exploitation d’autoroutes et aux cahiers des charges annexés à ces conventions ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code justice administrative.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 27 juillet et 8 novembre 2016, la société AREA conclut au rejet de la requête.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 novembre 2016, le ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat conclut au rejet de la requête.
Par un mémoire, enregistré le 7 novembre 2016, le Syndicat Mixte des Transports en Commun de l’Agglomération Grenobloise déclare se désister purement et simplement de sa requête.
La requête a été communiquée au Premier ministre et à la société APRR, qui n’ont pas produit de mémoire.
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4° Sous le n° 397175, par une requête, enregistrée le 22 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. A…B…demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant au retrait des décrets n°s 2015-1044, 2015-1045 et 2015-1046 du 21 août 2015 approuvant des avenants aux conventions passées entre l’Etat et la société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR), entre l’Etat et la société des Autoroutes Rhône-Alpes (AREA), entre l’Etat et la société des Autoroutes du Sud de la France (ASF), entre l’Etat et la société des Autoroutes Estérel, Côte d’Azur, Provence, Alpes (ESCOTA), entre l’Etat et la Compagnie financière et industrielle des autoroutes (COFIROUTE), entre l’Etat et la Société des Autoroutes du Nord et de l’Est de la France (SANEF) et entre l’Etat et la Société des Autoroutes Paris-Normandie (SAPN) pour la concession de la construction, de l’entretien et de l’exploitation d’autoroutes et aux cahiers des charges annexés à ces conventions, ensemble lesdits décrets ;
2°) d’annuler les clauses de nature réglementaire des concessions et cahiers des charges ainsi approuvés dénommés ” plan de relance autoroutier “.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mai 2016, la Société ESCOTA conclut au rejet de la requête.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mai 2016, la société ASF conclut au rejet de la requête.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mai 2016, la Société COFIROUTE conclut au rejet de la requête.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mai 2016, la Société SANEF conclut au rejet de la requête.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mai 2016, la Société SAPN conclut au rejet de la requête.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juin 2016, la Société AREA conclut au rejet de la requête.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juin 2016, la Société APRR conclut au rejet de la requête.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 novembre 2016, le ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargé des relations internationales sur le climat conclut au rejet de la requête.
Par un mémoire, enregistré le 5 décembre 2016, M. B…déclare se désister purement et simplement de sa requête.
La requête a été communiquée au Premier ministre, qui n’a pas produit de mémoire.
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5° Sous le n° 397211, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 février et 23 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’Automobile-club des avocats, l’Organisation des transporteurs routiers européens, la Fédération Française des Motards en Colère (FFMC), la Fédération Française de Motocyclisme (FFM) et M. C…H…demandent au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande tendant au retrait le décret n° 2015-1044 du 21 août 2015 approuvant des avenants aux conventions passées entre l’Etat et la société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et entre l’Etat et la société des Autoroutes Rhône-Alpes (AREA) pour la concession de la construction, de l’entretien et de l’exploitation d’autoroutes et aux cahiers des charges annexés à ces conventions, ensemble ledit décret.
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6° Sous le n° 397212, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 février et 27 mai 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’Automobile-club des avocats, l’organisation des transporteurs routiers européens, la Fédération Française des Motards en Colère (FFMC), la Fédération Française de Motocyclisme (FFM) et M. C…H…demandent au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande tendant au retrait le décret n° 2015-1045 du 21 août 2015 approuvant des avenants aux conventions passées entre l’Etat et la société des Autoroutes du Sud de la France (ASF), entre l’Etat et la société des Autoroutes Estérel, Côte d’Azur, Provence, Alpes (ESCOTA) et entre l’Etat et la Compagnie financière et industrielle des autoroutes (COFIROUTE) pour la concession de la construction, de l’entretien et de l’exploitation d’autoroutes et aux cahiers des charges annexés à ces conventions, ensemble ledit décret.
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7° Sous le n° 397215, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 février et 27 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’Automobile-club des avocats, l’organisation des transporteurs routiers européens, la Fédération Française des Motards en Colère (FFMC), la Fédération Française de Motocyclisme (FFM) et M. C…H…demandent au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande tendant au retrait le décret n° 2015-1046 du 21 août 2015 approuvant des avenants aux conventions passées entre l’Etat et la Société des Autoroutes du Nord et de l’Est de la France (SANEF) et entre l’Etat et la Société des Autoroutes Paris-Normandie (SAPN) pour la concession de la construction, de l’entretien et de l’exploitation d’autoroutes et aux cahiers des charges annexés à ces conventions, ensemble ledit décret.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
– la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession ;
– le code de la voirie routière ;
– la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;
– la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 ;
– le décret n° 2009-1102 du 8 septembre 2009 ;
– le décret n° 2010-406 du 26 avril 2010 ;
– le décret n° 2013-436 du 28 mai 2013 ;
– le décret n° 2014-1341 du 6 novembre 2014 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Marc Pichon de Vendeuil, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Société des Autoroutes du Sud de la France et de la société des Autoroutes Estérel, Côte d’Azur, Provence, Alpes.
Sur les désistements de la commune de Grenoble, du Syndicat Mixte des Transports en Commun de l’Agglomération Grenobloise, et de MM. B…et D…:
Sur le cadre juridique des litiges :
Sur les conclusions dirigées contre certaines clauses des conventions :
Sur les conclusions dirigées contre les décrets d’approbation :
D E C I D E :
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Copie en sera adressée au Premier ministre.