CE 27 janvier 2017, STAC, req.n°396404
La STAC contestait le caractère tardif de sa réclamation, qui avait été retenu par le juge d’appel pour rejeter sa requête. Rappelons qu’en application du CCAG travaux, l’entreprise a 6 mois pour contester devant le tribunal administratif la décision expresse de rejet du maître d’ouvrage relative aux réclamations contre le décompte général du marché, à compter de la notification de cette décision. Au-delà de ce délai, l’entreprise est réputée avoir accepté celle-ci, toute réclamation devenant alors irrecevable. Ce délai de 6 mois est suspendu en cas de saisine du Comité consultatif de règlement amiable.
En l’espèce, la réclamation de la STAC contre le décompte général ayant été rejetée le 29 avril 2011 ; elle a saisi le juge des référés d’une demande de provision le 7 juin 2011, puis a introduit un recours au fond le 16 octobre 2013. Ce dernier ayant été formé bien après le délai de 6 mois, la demande de provision formée dans ce délai pouvait-elle être prise en compte ?
Le juge de première instance a considéré qu’elle avait interrompu le délai de 6 mois, alors que le seul motif d’interruption prévu par le CCAG travaux est la saisine du Comité consultatif du règlement amiable.
La Cour administrative d’appel a censuré ce raisonnement en retenant que la saisine du juge des référés n’avait pu interrompre le délai de 6 mois et que l’action au fond a été introduite bien après son expiration, rendant la requête irrecevable.
Le Conseil d’Etat censure, à son tour, ce raisonnement. Se fondant sur l’article R.541-1 du Code de justice administrative régissant le référé provision, il relève que la demande de provision et l’action au fond sont indépendantes et que le titulaire du marché peut obtenir une telle provision sans avoir saisi le juge du contrat au fond. Le Conseil d’Etat en conclut que le tribunal administratif compétent visé par le CCAG travaux peut être saisi via un simple référé provision et pas nécessairement par une action au fond.
Ce qu’il faut retenir :
Pour le Conseil d’Etat, la saisine du juge du référé du référé provision vaut réclamation portée devant le tribunal administratif compétent au sens du CCAG-Travaux
La solution retenue par le Conseil d’Etat pose la question de l’articulation entre le référé provision et la demande au fond, dans le cas où ces deux types d’action sont successivement engagées. En effet, si une demande provision a été introduite dans le délai de 6 mois, mais qu’une action au fond a été formée après l’expiration du délai de six mois, faut-il considérer que la première réclamation est recevable mais pas la seconde ?
Si le Conseil d’Etat ne répond pas à cette question, le rapporteur public apporte des précisions, en considérant que la seule solution nous paraît être de regarder ces deux recours, qui sont certes indépendants dans le code, comme liés pour l’application des stipulations du CCAG […]. Le recours au fond formé après un référé provision doit ainsi être regardé comme poursuivant la réclamation initialement présentée en référé. Ce qui a pour conséquence que l’entrepreneur ne pourra élargir au fond le périmètre de sa réclamation. De nouvelles conclusions seraient irrecevables car présentées pour la première fois au-delà du délai de 6 mois. En revanche, si elles sont présentées dans le délai de 6 mois, elles seront toujours recevables, le référé provision n’ayant aucune incidence sur une réclamation présentée dans le délai contractuel.
Conseil d’État
N° 396404
7ème – 2ème chambres réunies
Mme Sophie Roussel, rapporteur
Gilles Pellissier, rapporteur public
BALAT ; SCP MONOD, COLIN, STOCLET, avocats
Lecture du vendredi 27 janvier 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Tahitienne de construction (STAC) a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner l’Etablissement d’aménagement et de développement, aux droits duquel est venu l’Etablissement public Tahiti Nui Aménagement et Développement, à lui verser la somme de 273 099 046 F CFP en règlement du solde du marché de travaux relatif au lot n° 12-2 ” revêtements sols souples ” conclu pour la construction du centre hospitalier du Taaone.
Par un jugement n° 1300557 du 15 juillet 2014, le tribunal administratif de la Polynésie française a fixé le solde de ce marché à 16 072 263 F CFP et a condamné l’Etablissement public Tahiti Nui Aménagement et Développement à verser à la STAC les intérêts au taux légal majoré de deux points sur cette somme, à compter du 30 avril 2011 et jusqu’au versement effectif de celle-ci. Le tribunal a rejeté le surplus des conclusions de la société.
Par un arrêt n° 14PA04342 du 26 octobre 2015, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel de la société dirigé contre le jugement du 15 juillet 2014 du tribunal administratif de la Polynésie française.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 janvier, 26 avril et 14 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la STAC demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt en tant qu’il juge irrecevable sa demande de première instance en ce qu’elle contestait le décompte général qui lui avait été notifié ;
2°) réglant dans cette mesure l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l’Etablissement public Tahiti Nui Aménagement et Développement la somme de 6 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 modifiée, ensemble la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 ;
– la délibération n° 84-20 du 1er mars 1984 portant code des marchés publics de toute nature passés au nom de la Polynésie française et de ses établissements publics ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Sophie Roussel, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de la société Tahitienne de construction et à Me Balat, avocat de l’Etablissement public Tahiti Nui Aménagement et Développement.
Considérant qu’il résulte de ces dernières dispositions que le titulaire du marché peut obtenir du juge des référés qu’il ordonne au pouvoir adjudicateur le versement d’une indemnité provisionnelle et qu’il n’est pas tenu de saisir, par ailleurs, le juge du contrat d’une demande au fond ; que, dans ces conditions, la saisine du juge des référés sur le fondement des articles R. 541-1 et suivants du code de justice administrative doit être regardée comme la saisine du tribunal administratif compétent au sens de l’article 7.2.3. du CCAG cité au point 2 ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt du 26 octobre 2015 de la cour administrative d’appel de Paris est annulé en tant qu’il juge irrecevable la contestation par la société Tahitienne de construction du décompte général qui lui a été notifié.
Article 2 : L’affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d’appel de Paris.
Article 3 : L’Etablissement public Tahiti Nui Aménagement et Développement versera à la STAC une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par l’Etablissement public Tahiti Nui Aménagement et Développement au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.