TA Amiens, 13 septembre 2018, Sté DECAUX France, n°1603075
Dans cette affaire remportée par le Cabinet Palmier-Brault Associés pour le compte de la société Philippe Védiaud Publicité, le Tribunal administratif d’Amiens confirme la solution rendue par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 25 mai 2018, Sté Philippe Védiaud Publicité, req.n°416825, selon laquelle la rémunération du titulaire d’un contrat de mobiliers urbain via la seule perception de recettes publicitaires est suffisante pour qualifier un contrat de concession de service.
Enseignement n°1 : Un contrat de mobilier urbain qui ne comporte aucun mécanisme de compensation du risque d’exploitation est une concession de service
Un contrat qui a pour objet l’installation, l’exploitation, la maintenance et l’entretien de mobiliers urbains qui prévoit que le titulaire du contrat assure ces prestations à titre gratuit en contrepartie de la perception des recettes publicitaires tirées de la vente d’espaces à des annonceurs publicitaires est une concession de service dès lors qu’il ne comporte aucune stipulation prévoyant le versement d’un prix à son titulaire couvrant les investissements ou éliminant tout risque réel d’exploitation.
Pour le Tribunal administratif d’Amiens, la rémunération du contrat par les seules recettes publicitaires tirées de l’exploitation des mobiliers urbains permet de considérer que l’opérateur économique supporte un risque non négligeable dès lors qu’il est exposé aux aléas de toute nature qui peuvent affecter le volume et la valeur de la demande d’espaces de mobilier urbain par les annonceurs publicitaires sur le territoire de la commune, sans qu’aucune stipulation du contrat ne prévoie la prise en charge, totale ou partielle, par la commune des pertes qui pourraient en résulter.
Le contrat prévoyait que des prestations complémentaires liées à l’installation éventuelle de mobiliers supplémentaires en cours d’exécution du contrat seraient rémunérées sous forme de prix. Cela étant, le Tribunal relève que ces prestations présentent un caractère accessoire et en tout état de cause inférieure à la valeur des services objet de la concession.
Enseignement n°2 : Les moyens tirés de la méconnaissance de la réglementation des marchés publics deviennent inopérants
Le Tribunal administratif d’Amiens profite de l’occasion pour rappeler que du fait de la requalification du contrat en concession de service, tous les moyens tirés de la méconnaissance de la réglementation des marchés publics deviennent inopérants.
TRIBUNAL ADMINISTRATIF D’AMIENS
13 septembre 2018
- Par un avis d’appel public à la concurrence envoyé à la publication le 23 mai 2016, la commune de Beauvais a lancé une procédure d’appel d’offres ouvert en vue de la conclusion d’un contrat d’une durée de 15 ans ayant pour objet la fourniture, l’installation, l’exploitation, l’entretien et la maintenance de mobiliers urbains publicitaires et non publicitaires. La société JCDecaux, candidate à l’attribution de ce contrat, a été informée du rejet de son offre par un courrier du 12 juillet 2016. La commune a conclu le contrat avec la société Philippe Védiaud Publicité par un acte d’engagement signé le 26 juillet 2016. La société JCDecaux demande au tribunal, d’une part, d’annuler ce contrat ou, à défaut, de le résilier et, d’autre part, de condamner la commune de Beauvais au paiement d’une somme en réparation du préjudice résultant de la perte d’une chance sérieuse de remporter le contrat.
Sur la contestation de la validité du contrat :
- Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l’Etat dans le département et les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, co–n,pte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l’appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d’un contrit administratif ne peut ainsi, à l’appui d’un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.
En ce qui concerne la qualification du contrat :
- Aux termes de l’article 5 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession : « Les contrats de concession sont les contrats conclus par écrit, par lesquels une ou plusieurs autorités concédantes soumises à la présente ordonnance confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix. La part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement nominale ou négligeable. Le concessionnaire assume le risque d’exploitation lorsque, dans des conditions d’exploitation normales, il n’est pas assuré d’amortir les investissements ou les coûts qu’il a supportés, liés à l’exploitation de l’ouvrage ou du service ». Aux termes de l’article 21 de la même ordonnance : « Lorsque les autorités concédantes décident de conclure un contrat unique destiné à satisfaire à la fois des besoins qui relèvent de la présente ordonnance et des besoins qui n’en relèvent pas et qui couvre soit une ou plusieurs activités, dont aucune ne constitue une activité d’opérateur de réseau, soit exclusivement une ou plusieurs activités d’opérateur de réseau, les dispositions de l’article 22 s’appliquent./…/ ». Et aux termes de l’article 22 de cette ordonnance : «Lorsque le contrat comporte des éléments objectivement indissociables et couvre soit une ou plusieurs activités, dont aucune ne constitue une activité d’opérateur de réseau, soit exclusivement une ou plusieurs activités d’opérateur de réseau, il est soumis aux dispositions applicables à son objet principal. I Lorsque le contrat porte sur des prestations qui relèvent à la fois du contrat de concession de service et des marchés publics de fournitures, son objet principal est déterminé en fonction de la valeur estimée la plus élevée de ces services ou fournitures respectifs. »
- Il résulte de l’instruction que le contrat litigieux a pour objet la fourniture, l’installation, l’exploitation, l’entretien et la maintenance de mobiliers urbains destinés notamment à l’information municipale sur le territoire de la commune de Beauvais. Les stipulations de l’article 9 du cahier des clauses administratives particulières prévoient que le titulaire est rémunéré par la perception des recettes de l’exploitation publicitaire du mobilier urbain et verse à la commune une redevance dont le montant est déterminé par son offre. En outre, le titulaire est exposé aux aléas de toute nature qui peuvent affecter le volume et la valeur de la demande d’espaces de mobilier urbain par les annonceurs publicitaires sur le territoire de la commune et aucune stipulation du contrat ne prévoit la prise en charge, totale ou partielle, par la commune des pertes qui pourraient résulter de l’exploitation. S’il ressort des stipulations de l’article 9 du cahier des clauses administratives particulières que des prestations complémentaires relatives à l’installation d’abribus ou de panneaux supplémentaires, le déplacement d’équipements et l’impression et la pose d’affiches supplémentaires, font l’objet d’un bordereau des prix unitaires, ces prestations, qui portent sur les équipements, objet du contrat, en sont indissociables, présentent un caractère accessoire et, s’agissant des fournitures, leur valeur estimée est inférieure à celle des services objet de la concession. Il suit de là que ce contrat constitue un contrat de concession soumis aux dispositions de l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession et du décret du 1′ février 2016 relatif aux concessions.
En ce qui concerne les moyens soulevés par la société requérante :
- En premier lieu, le moyen tiré de ce que la commune de Beauvais aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en attribuant une note identique à l’offre de la société JCDecaux France et à celle de la société Philippe Védiaud Publicité sur les critères relatifs à la qualité technique des prestations et aux modalités d’entretien et de maintenance n’est pas assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé.
- En second lieu, il résulte de ce qui est dit au point 4 que les moyens tirés de la composition irrégulière de la commission d’appel d’offres, de la méconnaissance des dispositions de l’article 62 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, de la méconnaissance des articles 53 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et 60 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, de la méconnaissance de l’article 45 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et des articles 51 et 55 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, de la méconnaissance de l’article 99 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics doivent être écartés comme inopérants.
- Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la société JCDecaux France tendant à l’annulation ou, à défaut, la résiliation du contrat conclu entre la commune de Beauvais et la société Philippe Védiaud Publicité doivent être rejetées.
Sur les conclusions indemnitaires :
- La société JCDecaux France n’ayant pas été irrégulièrement évincée de la procédure d’attribution du contrat en litige, les conclusions indemnitaires de cette société tendant à la réparation du préjudice qui en aurait résulté, pour elle, doivent être rejetées.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
- Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Beauvais, qui n’est pas la partie perdante, la somme que la société JCDecaux France demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Par ailleurs, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 7611 du code de justice administrative par la commune de Beauvais, qui ne justifie pas avoir exposé des frais. 11 y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société JCDecaux France une somme de 1 500 cures à verser à la société Philippe Védiaud Publicité sur le fondement de ces dispositions.
DECIDE:
Article I : La requête de la société JCDecaux France est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Beauvais présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 La société JCDecaux France versera à la société Philippe Védiaud Publicité une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.