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Publié le 29 Mai 2024

Contrôle de gestion et commande publique : pas d’application du code pour les organismes médico-sociaux ?

CE, avis n° 489440, 11 avril 2024, Région Nouvelle Aquitaine

 

Ce qu’il faut retenir :

L’entité de droit privé sur laquelle un pouvoir adjudicateur exerce un contrôle de gestion est elle-même un pouvoir adjudicateur, soumis au droit de la commande publique. Le contrôle de gestion est celui qui remet en cause l’autonomie de l’entité contrôlé. Il doit s’agir d’un contrôle actif, qui se distingue du simple contrôle de régularité de gestion.

Enseignement n°1 : Une entité de droit privé dont la gestion est contrôlée par un pouvoir adjudicateur est elle-même un pouvoir adjudicateur

L’article L. 1211-1 du code de la commande publique définit la notion de pouvoir adjudicateur par une alternative, l’une des branches visant les personnes morales de droit privé qui remplissent deux critères. D’une part, elles auront été créées pour satisfaire des besoins d’intérêt général à caractère autre qu’industriel et commercial. D’autre part, elles sont sujettes à l’influence d’autres pouvoirs adjudicateurs, de telle sorte que ne pas leur appliquer le code de la commande publique laisserait une porte ouverte au détournement de procédure. Le code énonce ce critère de l’influence par une nouvelle alternative à trois branches : financement majoritaire ; contrôle de gestion ; ou désignation d’une part majoritaire des membres des organes de direction.

Dans son avis contentieux du 11 avril 2024, le Conseil d’État rappelle que ce texte doit s’entendre conformément à son cadre juridique d’origine : la directive « marchés » du 26 février 2014, et à la lumière de l’interprétation de ce texte par la Cour de justice.

Enseignement n°2 : Le contrôle de gestion remet en cause l’autonomie de l’entité contrôlée

En l’occurrence, la Cour a jugé que le sous-critère du contrôle de gestion renvoie à un contrôle actif, permettant à l’autorité de contrôle d’influencer les décisions en matière d’attribution de marchés (CJUE, 3 février 2021, Federazione Italiana Giuoco Calcio, aff. C 155/19 et C-156/19), et que finalement les trois branches de l’alternative renvoient à une même idée de « situation de dépendance » à l’égard de l’autorité de contrôle.

Des indices permettent également de présumer l’existence ou l’absence d’un tel contrôle : si l’autorité de contrôle peut imposer un profil de gestion (plus ou moins risquée), il s’agit d’un indice de présence de contrôle actif ; si l’autorité exerce son contrôle a posteriori, telle l’autorité de tutelle, il s’agit d’un indice d’absence de contrôle actif (CJCE, 27 février 2003, Adolf Truley, aff. C-373/00, pts. 70 à 73).

Enseignement n°3 : Le contrôle de régularité de gestion n’est pas un contrôle actif de gestion

Appliquant cette grille de lecture aux cas des établissements et services sociaux et médico-sociaux, le Conseil d’État a interrogé la nature du contrôle exercé par l’inspection générale des affaires sociales et des autorités de tarification.

Il conclut que les contrôles organisés par le code de l’action sociale et des familles ne soumettent ces organismes « qu’à un contrôle de régularité » et de respect des règlementations applicables, qui n’a ni pour objet ni pour effet de remettre en cause l’autonomie de gestion de ces personnes privées. Ce contrôle est ainsi à distinguer de véritable contrôle de gestion qui peut s’exercer en opportunité et qui permettrait aux autorités de contrôle d’influencer les décisions en matière d’attribution de marchés.

En termes pratiques, cet avis implique que les gestionnaires de droit privé des organismes sociaux et médico-sociaux ne doivent pas être considérés comme des pouvoirs adjudicateurs et se voir contraints d’appliquer le code de la commande publique !


CE, avis n° 489440, 11 avril 2024, Région Nouvelle Aquitaine

Rend l’avis suivant :

1. Aux termes de l’article L. 1211-1 du code de la commande publique : « Les pouvoirs adjudicateurs sont : / 1° Les personnes morales de droit public ; / 2° Les personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, dont : / a) Soit l’activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur ; / b) Soit la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur ; / c) Soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur ; (…) ».

2. Les dispositions citées au point précédent sont issues de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics qui a notamment procédé à la transposition, dans l’ordre juridique interne, de l’article 2 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics. Il résulte de ces dispositions, telles qu’éclairées par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, notamment l’arrêt du 3 février 2021, Federazione Italiana Giuoco Calcio (C 155/19 et C-156/19), que la gestion d’une personne morale de droit privé est regardée comme soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur lorsqu’une autorité publique exerce un contrôle actif de sa gestion qui, dans les faits, remet en cause son autonomie, au point de permettre à cette autorité d’influencer ses décisions en matière d’attribution de marchés. Ce contrôle doit être de nature à créer une situation de dépendance à l’égard de l’autorité publique, équivalente à celle qui existe lorsque l’activité de la personne morale de droit privé est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur ou lorsque son organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur. Le fait que l’autorité publique puisse imposer un profil de gestion déterminé est un indice de l’existence d’un tel contrôle, ainsi qu’il résulte de l’arrêt de la Cour de justice du 1er février 2001, Commission c. France (C-237/99). En revanche, en principe, un contrôle, a posteriori, de la régularité de l’activité de la personne morale de droit privé par l’autorité publique de tutelle ne s’apparente pas à un contrôle de sa gestion.

3. Aux termes de l’article L. 311-1 du code de l’action sociale et des familles : « L’action sociale et médico-sociale, au sens du présent code, s’inscrit dans les missions d’intérêt général et d’utilité sociale suivantes : / (…) / 2° Protection administrative ou judiciaire de l’enfance et de la famille, de la jeunesse, des personnes handicapées, des personnes âgées ou en difficulté ; (…) / (…) / Les missions mentionnées aux 1° à 6° du présent article sont accomplies par des personnes physiques ou des institutions sociales et médico-sociales. / Sont des institutions sociales et médico-sociales au sens du présent code les personnes morales de droit public ou privé gestionnaires d’une manière permanente des établissements et services sociaux et médico-sociaux mentionnés à l’article L. 312-1. (…) » Aux termes de l’article L. 312-1 du même code : « I. – Sont des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens du présent code, les établissements et les services, dotés ou non d’une personnalité morale propre, énumérés ci-après : / (…) / 2° Les établissements ou services d’enseignement qui assurent, à titre principal, une éducation adaptée et un accompagnement social ou médico-social aux mineurs ou jeunes adultes handicapés ou présentant des difficultés d’adaptation ; / (…) / 7° Les établissements et les services, y compris les foyers d’accueil médicalisé, qui accueillent des personnes handicapées, quel que soit leur degré de handicap ou leur âge, ou des personnes atteintes de pathologies chroniques, qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l’insertion sociale ou bien qui leur assurent un accompagnement médico-social en milieu ouvert ; (…) ».

4. En vertu des dispositions de l’article L. 314-7 du code de l’action sociale et de la famille, les établissements et services sociaux et médico-sociaux soumettent à l’accord de l’autorité compétente en matière de tarification les emprunts dont la durée est supérieure à un an et les programmes d’investissement. Selon les dispositions de l’article L. 313-12-2 de ce code, ces établissements et services doivent conclure un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens. L’article L. 313-14-2 prévoit que l’autorité compétente en matière de tarification peut demander la récupération de certains montants dès lors qu’elle constate, notamment, des dépenses sans rapport ou manifestement hors de proportion avec le service rendu ou avec les coûts des établissements ou des services fournissant des prestations comparables en termes de qualité de prise en charge ou d’accompagnement. Il résulte aussi des dispositions de l’article L. 313-14-1 du même code que dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux gérés par des organismes de droit privé à but non lucratif, lorsque la situation financière fait apparaître un déséquilibre financier significatif et prolongé ou lorsque sont constatés des dysfonctionnements dans la gestion financière de ces établissements et de ces services, l’autorité de tarification compétente peut, à l’issue d’une procédure contradictoire, désigner un administrateur provisoire de l’établissement. Les articles L. 313-13 et L. 313-25 prévoient que ces établissements et services sont soumis au contrôle de l’inspection générale des affaires sociales et des autorités de tarification. Enfin, les articles R. 314-21 à R. 314-25 organisent les modalités de transmission des propositions budgétaires arrêtées par l’organe délibérant de l’organisme gestionnaire à l’autorité de tarification, qui peut faire connaître à l’établissement ou au service les modifications qu’elle propose.

5. Il résulte de l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires mentionnées au point précédent que les personnes morales de droit privé gestionnaires des établissements et services sociaux et médico-sociaux énumérés à l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles, y compris les organismes à but lucratif, ne sont soumises qu’à un contrôle de régularité, y compris lorsqu’est en cause, s’agissant des établissements à but non lucratif, des dysfonctionnements dans leur gestion financière. Si certains de ces contrôles, en matière de garantie d’emprunt et de programmes d’investissements, sont exercés a priori, ils sont destinés à garantir le respect de la réglementation tarifaire et n’ont, pas davantage que les autres contrôles, pour objet ou pour effet de remettre en cause l’autonomie de gestion de ces personnes privées. Les établissements et services sociaux et médico-sociaux ne sont ainsi pas soumis, du fait de ces dispositions, à un contrôle actif de leur gestion permettant aux autorités publiques d’influencer leurs décisions en matière d’attribution de marchés.

6. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le contrôle exercé par l’administration sur ces organismes n’est pas de nature à créer une situation de dépendance à l’égard de l’autorité publique, équivalente à celle qui existe notamment lorsque l’organe de direction de la personne morale de droit privé est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur. Les gestionnaires de droit privé des établissements et services sociaux et médico-sociaux ne sauraient dès lors être regardés comme un pouvoir adjudicateur au sens du b du 2° de l’article L. 1211-1 du code de la commande publique.

Le présent avis sera notifié à la cour administrative d’appel de Bordeaux, à la région Nouvelle-Aquitaine et à l’association départementale pour adultes et jeunes handicapés de la Vienne.

Il sera publié au Journal officiel de la République française.


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application du code pour les organismes médico-sociaux,
Avocat entité privée,
Avocat marché public,
CE Avis 11 avril 2024 n°489440,
Définition pouvoir adjudicateur,
Entité droit privé et pouvoir adjudicateur,
L1211-1 du code de la commande publique,
Marché public organisme médicaux sociaux,
Qualification pouvoir adjudicateur,
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