Tél : 01 42 22 09 18
Fax : 01 42 22 10 03
Publié le 24 Mai 2024

Dans quelles conditions l’assureur « dommages aux biens » peut-il résilier unilatéralement le marché ?

CE 4 avril 2024, Métropole Toulon – Provence – Méditerranée, n° 491068

 

Ce qu’il faut retenir :

L’article L113-12 du code des assurances permettant à l’assureur de résilier le contrat s’applique aux marchés publics, l’assuré public ayant toutefois le pouvoir d’imposer la poursuite pendant une durée raisonnable pour un motif d’intérêt général. La nécessité d’assurer les biens concourant au bon accomplissement de missions de service public constitue un tel motif d’intérêt général.

Enseignement n°1 : La résiliation unilatérale d’un marché d’assurance ne produit d’effet qu’à expiration d’un délai raisonnable si un motif d’intérêt général est opposé

L’article L113-12 du code des assurances permet à l’assureur, comme à l’assuré, de résilier le contrat d’assurance unilatéralement au bout d’1 an. Ces dispositions, quoique contredisant directement le principe selon lequel le cocontractant privé ne peut pas résilier unilatéralement un contrat administratif, ont été jugées applicables aux marchés d’assurances (CE, 12 juillet 2023, Grand port maritime de Marseille, n°469319). Dans cette même décision, le Conseil d’État avait également déjà posé que le droit de l’assureur s’exerce dans des conditions particulières afin de tenir compte des impératifs d’intérêt général des personnes publiques.

Dans son arrêt du 4 avril 2014, le haut juge administratif rappelle ainsi que, lorsque le marché ne prévoit pas de délai de préavis suffisant pour permettre la conclusion d’un nouveau marché, la personne publique assurée est en droit d’opposer un motif d’intérêt général à la décision de résiliation notifiée par l’assureur. Cette opposition a pour effet de maintenir l’assureur dans la relation contractuelle « pendant la durée strictement nécessaire, au regard des dispositions législatives et réglementaires applicables, au déroulement de la procédure de passation d’un nouveau marché public d’assurance », et en toute hypothèse 12 mois au maximum, même si la procédure de relance s’avère infructueuse. L’assureur demeure pour sa part en droit de contester devant le juge le motif d’intérêt général invoqué.

Enseignement n°2 : La nécessité d’assurer les biens utiles au service public est un motif d’intérêt général

En l’espèce, la Métropole Toulouse – Provence – Méditerranée avait saisi le juge d’un référé mesures utiles afin qu’il soit enjoint à son assureur de poursuivre l’exécution du contrat afin de préserver la continuité du service public (la jurisprudence récente a eu l’occasion de revenir sur cet aspect, voir notre analyse). La Métropole avançait la nécessité d’assurer les biens concourant au bon accomplissement de ses missions de service public comme constituant un motif d’intérêt général suffisant.

Au lendemain de la décision Grand port maritime de Marseille, d’aucuns pouvaient s’inquiéter de ce que le juge attende un motif d’intérêt général distinct et autonome du risque assurantiel lui-même. Cette inquiétude se fondait en partie sur une compréhension très extensive du principe selon lequel « l’État est son propre assureur ». Ce principe ne s’étend pas aux autres personnes publiques dont la capacité juridique est distincte de celle de l’État, néanmoins.

Le Conseil d’État vient en tout état de cause confirmer que la volonté de prendre une police d’assurance même facultative peut constituer un motif d’intérêt général, en particulier lorsque l’objet de la garantie est en lien avec l’exécution du service public.

Enseignement n°3 : Un délai de six mois ne suffit pas pour relancer un appel d’offres ouvert

Pour autant, la poursuite imposée du contrat ne peut intervenir qu’en second lieu, une fois vérifiée la condition tenant à l’absence de préavis suffisant à la résiliation dans les prévisions du marché. En l’espèce, le Conseil d’État juge sans ambiguïté que « le délai de préavis de six mois prévu par le contrat en cas de résiliation était insuffisant pour procéder à un appel d’offres ouvert »

La bienveillance du haut juge administratif se comprend à un double point de vue. D’une part, les délais incompressibles de l’appel d’offres ouvert et ceux afférent à l’organisation internes des collectivités et démembrements de collectivités territoriales sont difficilement compatibles avec un délai aussi « court ». D’autre part, l’assurance dommages aux biens est celles qui posent les plus grandes difficultés aux collectivités territoriales à raison de la forte hausse de la sinistralité (et donc des primes d’assurances) et des taux modérés de réponses aux consultations de la part des assureurs (v. Sénat, Rapport d’information n°474 (2023-2024), déposé le 27 mars 2024, « Problèmes assurantiels des collectivités territoriales »).


CE 4 avril 2024, Métropole Toulon – Provence – Méditerranée, n° 491068

 

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 521-3 du code de justice administrative : ” En cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative “.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Toulon que la métropole Toulon Provence Méditerranée a conclu le 25 janvier 2021 un marché public portant sur la police d’assurance ” dommages aux biens et risques annexes ” avec le groupement composé des sociétés Verspieren et Groupama Méditerranée pour une durée de cinq ans. Par un courrier du 7 avril 2023, la société Groupama Méditerranée a informé le président de la métropole de sa décision de résilier ce marché à compter du 31 décembre 2023. La métropole s’est opposée, par un courrier du 21 décembre 2023, à cette résiliation et a mis en demeure la société Groupama Méditerranée de poursuivre l’exécution du marché à compter du 31 janvier 2023. La société Verspieren ayant informé la métropole du refus de la société Groupama Méditerranée de poursuivre l’exécution du marché, la métropole a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulon, statuant sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, d’enjoindre à la société Groupama Méditerranée de poursuivre l’exécution de ses obligations contractuelles pendant la durée strictement nécessaire au déroulement de la procédure de passation d’un nouveau marché d’assurance, et au plus tard jusqu’au 31 décembre 2024. Par une ordonnance du 5 janvier 2024, contre laquelle la métropole Toulon Provence Méditerranée se pourvoit en cassation, le juge des référés a rejeté cette demande comme manifestement irrecevable.

3. S’il n’appartient pas au juge administratif d’intervenir dans l’exécution d’un marché public en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l’administration, lorsque celle-ci dispose à l’égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l’exécution du contrat, il en va autrement quand l’administration ne peut user de moyens de contrainte à l’encontre de son cocontractant qu’en vertu d’une décision juridictionnelle. En pareille hypothèse, le juge du contrat est en droit de prononcer, à l’encontre du cocontractant, une condamnation, éventuellement sous astreinte, à une obligation de faire. En cas d’urgence, le juge des référés peut, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, ordonner au cocontractant, éventuellement sous astreinte, de prendre à titre provisoire toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement, à condition que cette mesure soit utile, justifiée par l’urgence, ne fasse obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative et ne se heurte à aucune contestation sérieuse.

4. Aux termes de l’article L. 113-12 du code des assurances : ” La durée du contrat et les conditions de résiliation, particulièrement le droit pour l’assureur et l’assuré de résilier le contrat tous les ans, sont fixées par la police. / Toutefois, l’assuré a le droit de résilier le contrat à l’expiration d’un délai d’un an, en adressant une notification dans les conditions prévues à l’article L. 113-14 à l’assureur au moins deux mois avant la date d’échéance de ce contrat. / Lorsque l’assuré a souscrit un contrat à des fins professionnelles, l’assureur a aussi le droit de résilier le contrat dans les mêmes conditions. / Dans les autres cas, l’assureur peut résilier le contrat à l’expiration d’un délai d’un an, à la condition d’envoyer une lettre recommandée à l’assuré au moins deux mois avant la date d’échéance du contrat. / Il peut être dérogé à ces règles de résiliation annuelle pour les contrats individuels d’assurance maladie et pour la couverture des risques autres que ceux des particuliers. / Le délai de résiliation court à partir de la date figurant sur le cachet de la poste ou de la date d’expédition de la notification. / Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux assurances sur la vie “.

5. Il résulte de ces dispositions que l’assureur a la faculté de résilier unilatéralement le contrat à l’expiration d’un délai d’un an suivant sa conclusion, avec un préavis d’au moins deux mois. Le contrat peut prévoir une durée de préavis plus longue lorsque l’assuré est une personne morale. Ces dispositions sont applicables aux marchés publics d’assurance. Il résulte toutefois des principes généraux applicables aux contrats administratifs que lorsque l’assureur entend en faire application pour résilier unilatéralement le marché qui le lie à la personne publique assurée et que le contrat ne prévoit pas un préavis de résiliation suffisant pour passer un nouveau marché d’assurance, cette dernière peut, pour un motif d’intérêt général tiré notamment des exigences du service public dont la personne publique a la charge, s’y opposer et lui imposer de poursuivre l’exécution du contrat pendant la durée strictement nécessaire, au regard des dispositions législatives et réglementaires applicables, au déroulement de la procédure de passation d’un nouveau marché public d’assurance, sans que cette durée ne puisse en toute hypothèse excéder douze mois, y compris lorsque la procédure s’avère infructueuse. L’assureur peut contester cette décision devant le juge afin d’obtenir la résiliation du contrat.

6. En jugeant que la demande que la métropole Toulouse Provence Méditerranée avait formée sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative afin qu’il soit enjoint à sa cocontractante de poursuivre l’exécution du marché en litige était manifestement irrecevable au motif que cette demande visait à obtenir une mesure définitive, alors que la mesure sollicitée, dont les effets sont bornés dans le temps et ont vocation à cesser dès que la procédure de passation d’un nouveau marché public est arrivée à son terme, présente un caractère provisoire, le juge des référés a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’autre moyen du pourvoi, que l’ordonnance attaquée doit être annulée.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

9. Il résulte de l’instruction, notamment du cahier des clauses techniques particulières du marché en litige, que la police d’assurances de ce marché a pour objet de garantir l’ensemble des biens immobiliers et mobiliers appartenant à la métropole Toulon Provence Méditerranée ou dont cette dernière a la garde en vue de l’exécution des missions de service public dont elle est chargée contre divers risques, tels ceux d’incendie, d’explosion, de dégâts des eaux, de catastrophes naturelles, d’actes de vandalisme ou de terrorisme.

10. Il résulte de ce qui précède que le motif invoqué par la métropole Toulon Provence Méditerranée pour s’opposer à la résiliation par la société Groupama Méditerranée du contrat qui les lie, tiré de la nécessité que les dommages aux biens concourant au bon accomplissement des missions de service public qui lui sont confiées soient couverts par une police d’assurance, constitue un motif d’intérêt général justifiant la poursuite de l’exécution du marché en application des principes rappelés au point 5. Il résulte par ailleurs de l’instruction que le refus de la société Groupama Méditerranée d’exécuter le contrat à compter du 31 janvier 2023 priverait ces biens de garantie contre les risques mentionnés au point 9, et que cette absence d’assurance serait, dans les circonstances de l’espèce, de nature à compromettre l’exercice de certaines missions de service public en cas de sinistre majeur. Enfin, dans les circonstances de l’espèce, le délai de préavis de six mois prévu par le contrat en cas de résiliation était insuffisant pour procéder à un appel d’offres ouvert. Par suite, la mesure demandée, qui est ainsi nécessaire à la continuité des missions de service public dont est chargée la métropole, présente un caractère d’urgence et d’utilité, et ne se heurte à aucune contestation sérieuse. Dès lors qu’elle ne fait pas non plus obstacle à l’exécution d’une décision administrative, il y a lieu d’ordonner à la société Groupama Méditerranée de reprendre intégralement l’exécution des prestations auxquelles cette société est obligée par le contrat en litige, pendant la durée strictement nécessaire au déroulement de la procédure de passation d’un nouveau marché d’assurance par la métropole Toulon Provence Méditerranée, sauf à ce que cette dernière y renonce, et au plus tard, dans les circonstances de l’espèce, jusqu’au 30 décembre 2024.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Groupama Méditerranée la somme de 3 000 euros à verser à la métropole Toulon Provence Méditerranée au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :
————–
Article 1er : L’ordonnance du 5 janvier 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Toulon est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à la société Groupama Méditerranée de reprendre intégralement l’exécution des prestations auxquelles elle est obligée par le contrat portant sur la police d’assurance ” dommages aux biens ” conclu le 25 janvier 2021 avec la métropole Toulon Provence Méditerranée, pendant la durée strictement nécessaire au déroulement de la procédure de passation d’un nouveau marché d’assurance par la métropole Toulon Provence Méditerranée, sauf à ce que cette dernière y renonce, et au plus tard jusqu’au 30 décembre 2024.
Article 3 : La société Groupama Méditerranée versera à la métropole Toulon Provence Méditerranée une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la métropole Toulon Provence Méditerranée et à la société Groupama Méditerranée.


© 2022 Cabinet Palmier - Tous droits réservés - Reproduction interdite sans autorisation.
Les informations juridiques, modèles de documents juridiques et mentions légales ne constituent pas des conseils juridiques
Table des matières
Tous droits réservés © Cabinet Palmier - Brault - Associés
Un site réalisé par Webocube