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Publié le 09 Juil 2017

Illégalité de la demande de remise d’une offre conditionnelle tenant compte de l’attribution simultanée d’un autre contrat par un autre acheteur public

CE 24 mai 2017, Commune de Limoux, n°407431

Une commune avait lancé une procédure de passation d’une délégation de service public de distribution d’eau potable, sous l’empire de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 et du décret n°2016-86 du 1er février 2016 relatifs aux contrats de concession. Ce contrat ayant été attribué à la société Suez Eau France, la Société d’aménagement urbain et rural (SAUR), candidate malheureuse, a saisi le juge des référés pour lui demander d’annuler l’ensemble des décisions se rapportant à la procédure de passation et, si la commune entendait conclure le contrat, d’ordonner la reprise de la procédure de passation au stade de l’avis de publicité. Le juge des référés ayant annulé la procédure de passation à compter de l’analyse des offres, la commune a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat, qui se prononce dans cette affaire sur la légalité de la demande par l’acheteur public de remise d’une offre conditionnelle prenant en compte l’attribution simultanée d’un autre contrat par un autre acheteur public.

Règle n°1 : Est illégale la demande de remise d’une offre conditionnelle prenant en compte l’attribution simultanée d’un autre contrat par un autre acheteur public

Dans le même temps de la passation par la commune d’une délégation de service public de distribution d’eau potable, un syndicat intercommunal dans la même zone géographique avait, quant à lui, lancé une procédure de passation d’une délégation du service public de l’assainissement. Souhaitant mutualiser ces deux contrats, la commune et le syndicat ont adressé aux candidats une demande de remettre une ultime offre financière pour le service de l’eau potable dans l’hypothèse de l’attribution simultanée à un même candidat des deux contrats de délégation de service public de l’eau potable et de l’assainissement, alors même que les candidats avaient déjà négocié avec la commune et que celle-ci leur avait demandé de remettre leur offre finale.

Le juge des référés a sanctionné cette pratique en jugeant que la commune avait fondé son appréciation de l’avantage économique global que présentaient les offres sur des éléments étrangers au service public concédé et sans lien avec cet avantage économique global et méconnu les règles qu’elle avait elle-même fixées en vue de l’attribution du contrat de délégation du service public de l’eau potable. Le juge des référés a donc annulé la procédure de passation pour ce premier motif.

Le Conseil d’Etat valide ce raisonnement. En se fondant sur les articles 46 et 47 de l’ordonnance du 29 janvier 2016, il juge « qu’une autorité concédante ne peut modifier en cours de procédure les éléments d’appréciation des candidatures ou des offres en remettant en cause les conditions de la mise en concurrence initiale ; qu’elle ne peut non plus, sans méconnaître l’objet de la concession qu’elle entend conclure et l’obligation de sélectionner la meilleure offre au regard de l’avantage économique global que présente pour elle cette offre, demander aux candidats de lui remettre une offre conditionnelle tenant compte d’une procédure de passation mise en œuvre par une autre autorité concédante ou prendre en compte, pour choisir un délégataire, des éléments étrangers à ce contrat ». Le pourvoi en cassation est donc rejeté sur ce premier point.

Règle n°2 : L’introduction d’un nouveau sous-critère après le dépôt des offres est illégal

Par ailleurs, la commune avait modifié, après le dépôt des offres, les modalités de mise en œuvre des critères de sélection, en introduisant un nouveau sous-critère d’appréciation des critères économiques : le « montant de la somme affectée au programme amélioration ». Le juge des référés a jugé que cet élément d’appréciation a été de nature à modifier le poids respectif des autres éléments d’appréciation et que ce manquement avait été de nature à léser la société requérante. Le Conseil d’Etat a estimé que l’ordonnance du juge des référés n’était pas entachée de dénaturation et a donc rejeté le pourvoi en cassation pour ce second motif.


Conseil d’État
N° 407431
7ème – 2ème chambres réunies
Lecture du mercredi 24 mai 2017

 REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société d’aménagement urbain et rural (SAUR) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, statuant en application de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, d’une part, d’annuler l’ensemble des décisions qui se rapportent à la procédure de passation de la délégation par affermage du service public de distribution d’eau potable de la commune de Limoux (Aude) et, d’autre part, si celle-ci entend conclure le contrat, d’ordonner sa reprise au stade de l’avis de publicité.

Par une ordonnance n° 1606090 du 17 janvier 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a annulé cette procédure de passation à compter de l’analyse des offres.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er février et 16 février 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Limoux demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l’affaire au titre de la procédure de référé, de rejeter la demande de la SAUR ;

3°) de mettre à la charge de la SAUR la somme de 6 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

  1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier que, par un avis d’appel public à la concurrence publié le 29 juin 2016 au Journal officiel et au Bulletin officiel des annonces des marchés publics, la commune de Limoux (Aude) a lancé une procédure de passation d’une délégation de service public pour la distribution de l’eau potable ; que, par un courrier du 9 décembre 2016, la société d’aménagement urbain et rural (SAUR) a été informée par la commune de ce que son offre n’avait pas été retenue et que le conseil municipal avait approuvé le choix de la société Suez Eau France comme délégataire du service public de l’eau potable ; que, par une ordonnance du 17 janvier 2017, contre laquelle la commune se pourvoit en cassation, le juge du référé précontractuel a, sur la demande de la SAUR, annulé la procédure de passation litigieuse à compter de l’analyse des offres ;

Sur l’offre financière finale demandée aux candidats :

  1. Considérant qu’aux termes de l’article 46 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession : ” Les autorités concédantes peuvent organiser librement une négociation avec un ou plusieurs soumissionnaires dans des conditions prévues par voie réglementaire. La négociation ne peut porter sur l’objet de la concession, les critères d’attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation ” ; qu’aux termes de l’article 47 de la même ordonnance : ” Le contrat de concession est attribué au soumissionnaire qui a présenté la meilleure offre au regard de l’avantage économique global pour l’autorité concédante sur la base de plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet du contrat de concession ou à ses conditions d’exécution. Les critères d’attribution n’ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l’autorité concédante et garantissent une concurrence effective ” ;
  2. Considérant qu’il résulte de ces dispositions qu’une autorité concédante ne peut modifier en cours de procédure les éléments d’appréciation des candidatures ou des offres en remettant en cause les conditions de la mise en concurrence initiale ; qu’elle ne peut non plus, sans méconnaître l’objet de la concession qu’elle entend conclure et l’obligation de sélectionner la meilleure offre au regard de l’avantage économique global que présente pour elle cette offre, demander aux candidats de lui remettre une offre conditionnelle tenant compte d’une procédure de passation mise en oeuvre par une autre autorité concédante ou prendre en compte, pour choisir un délégataire, des éléments étrangers à ce contrat ;
  3. Considérant qu’il ressort des énonciations de l’ordonnance attaquée qu’après avoir indiqué, par un courrier du 9 août 2016 valant lettre de consultation, les critères de sélection des offres aux candidats admis à présenter une offre, la commune de Limoux a, à l’issue des négociations et après avoir demandé aux candidats de lui remettre leur proposition finale, adressé le 14 novembre 2016 aux candidats, conjointement avec le syndicat intercommunal à vocation unique (SIVU) de la station d’épuration du Limouxin qui avait lancé dans le même temps une procédure de délégation du service public de l’assainissement, un courrier leur demandant, compte tenu de l’unicité de facturation des services de l’eau potable et de l’assainissement, de remettre une ultime offre financière pour le service de l’eau potable dans l’hypothèse de l’attribution simultanée à un même candidat des deux contrats de délégation de service public de l’eau potable et de l’assainissement ; qu’en procédant de la sorte, la commune de Limoux a demandé aux candidats de lui remettre une offre conditionnelle tenant compte d’une procédure de passation mise en oeuvre par une autre autorité concédante, portant sur la délégation d’un service public dont tant l’objet que le périmètre géographique étaient différents du service public en cause ; que, par suite, le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit en estimant que la commune de Limoux avait, ce faisant, fondé son appréciation de l’avantage économique global que présentaient les offres sur des éléments étrangers au service public concédé et sans lien avec cet avantage économique global et méconnu les règles qu’elle avait elle-même fixées en vue de l’attribution du contrat de délégation du service public de l’eau potable ;

  4. Considérant que le juge des référés n’a pas commis d’erreur de qualification juridique des faits en estimant qu’au regard de sa portée, et alors qu’il n’est pas contesté que l’écart final entre l’offre de la SAUR et celle de la société Suez Eau France était seulement de 0,31 point, ce manquement avait été de nature à léser la SAUR ;
  5. Considérant qu’il ressort des énonciations de l’ordonnance attaquée que le juge des référés a, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, constaté que la commune de Limoux avait modifié, après le dépôt des offres, les modalités de mise en oeuvre des critères de sélection, en introduisant un nouveau sous-critère d’appréciation des critères économiques, le ” montant de la somme affectée au programme amélioration ” ; que l’ordonnance n’est pas non plus entachée de dénaturation en ce qu’elle relève que cet élément d’appréciation a été de nature à modifier le poids respectif des autres éléments d’appréciation ; qu’enfin, le juge des référés n’a pas inexactement qualifié les faits en estimant que ce manquement avait été de nature à léser la société SAUR ;
  6. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de la commune de Limoux ne peut qu’être rejeté ;

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

  1. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par la commune de Limoux soit mise, à ce titre, à la charge de la SAUR, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Limoux le versement à la SAUR d’une somme de 4 000 euros au titre des mêmes dispositions ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Limoux est rejeté.
Article 2 : La commune de Limoux versera à la société d’aménagement urbain et rural une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Limoux et à la société d’aménagement urbain et rural.


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