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Publié le 03 Juin 2021

Interdiction absolue pour un contrôleur technique de participer à des activités de conception, d’exécution ou d’expertise d’ouvrage

CE 27 avril 2021, Ville de Paris, n°447221

Le Conseil d’Etat rappelle d’une part qu’un contrôleur technique ne peut pas participer à une activité de conception, d’exécution ou d’expertise d’ouvrage, d’autre part, qu’il ne peut pas participer à un groupement d’entreprises exerçant des activités de conception, d’exécution ou d’expertise d’ouvrage.

Ce qu’il faut retenir :


Point n°1 : L’interdiction pour un contrôleur technique de participer à une activité de conception, d’exécution ou d’expertise d’ouvrage

L’article L. 111-23 code de la construction et de l’habitation rappelle que le contrôleur technique a pour mission de contribuer à la prévention des différents aléas techniques susceptibles d’être rencontrés dans la réalisation des ouvrages. Il intervient à la demande du maître de l’ouvrage et donne son avis à ce dernier sur les problèmes d’ordre technique, dans le cadre du contrat qui le lie à celui-ci. Cet avis porte notamment sur les problèmes qui concernent la solidité de l’ouvrage et la sécurité des personnes.

L’article L. 111-25 de ce code dispose que l’activité de contrôle technique est « incompatible avec l’exercice de toute activité de conception, d’exécution ou d’expertise d’un ouvrage ». L’article R. 111-31 ajoute que, « Les personnes et organismes agréés, les administrateurs ou gérants et le personnel de direction de ces organismes, ainsi que le personnel auquel il est fait appel pour les contrôles, doivent agir avec impartialité et n’avoir aucun lien de nature à porter atteinte à leur indépendance avec les personnes, organismes, sociétés ou entreprises qui exercent une activité de conception, d’exécution ou d’expertise dans le domaine de la construction ».

Autrement dit, ces dispositions instaurent une incompatibilité absolue entre d’une part les missions de contrôle technique d’un ouvrage et d’autre part celles qui sont liées à la conception, à l’exécution ou à l’expertise.

Dans un arrêt du 18 juin 2010, Société Bureau Veritas, n° 336418, le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de sanctionner cette incompatibilité en considérant qu’un contrôleur technique ne pouvait pas légalement se voir attribuer un marché d’expertise en matière de sécurité incendie sur des établissements pénitentiaires.


Point n°2 :      L’interdiction pour un contrôleur technique de participer à un groupement exerçant des activités de conception, d’exécution ou d’expertise d’ouvrage

Dans son arrêt du 27 avril 2021, le Conseil d’Etat rappelle également que cette incompatibilité interdit un contrôleur technique de participer à un groupement exerçant des activités de conception, d’exécution ou d’expertise d’ouvrage.

En l’espèce, l’accord-cadre litigieux concernait la réalisation de diagnostics des bâtiments suivis de préconisations permettant au pouvoir adjudicateur de commander des travaux remédiant aux désordres identifiés. Quand bien même il ne s’agissait pas d’un marché de construction, il portait sur la réalisation de missions relevant des activités de conception et d’expertise d’un ouvrage au sens des dispositions précitées.

L’un des candidats, attributaire de l’accord-cadre, était un groupement constitué par une société de contrôle technique agréée. La Ville de Paris ne pouvait donc pas, attribuer l’accord- cadre à ce groupement sauf à rendre l’offre irrégulière.


CE 27 avril 2021, Ville de Paris, n°447221

Considérant ce qui suit :

  1. Aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative : ” Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique. / (…) / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat “.
  2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Paris que, par un avis d’appel public à concurrence publié le 11 octobre 2019, la ville de Paris a lancé une procédure d’appel d’offres ouvert pour la passation de plusieurs accords-cadres à bons de commande, ayant pour objet des prestations de diagnostics et préconisations structures pour la ville de Paris et l’établissement public Paris musées, réparties en trois lots. La société Sixense engineering a présenté une offre pour les lots n°s 1 et 2. L’accord-cadre multi-attributaires de la ville de Paris, dans le cadre du lot n° 1, a été attribué à cinq candidats, dont la société Ginger CEBTP et le groupement constitué des sociétés 2 CPI France et Dekra industrial. Par un courrier du 8 octobre 2020, la ville de Paris a informé la société Sixense engineering du rejet de son offre pour les lots n°s 1 et 2, son offre ayant été classée en sixième position pour le lot n° 1. Par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, saisi par cette société, a annulé la procédure de passation du lot n° 1 de ce marché par une ordonnance du 19 novembre 2020, en tant qu’elle portait sur l’accord-cadre multi-attributaires. Le pourvoi de la ville de Paris doit être regardé comme dirigé contre cette ordonnance en tant qu’elle a partiellement fait droit à la demande de la société Sixense engineering.

Sur le bien-fondé de l’ordonnance attaquée :

  1. En vertu des dispositions de l’article L. 551-10 du code de justice administrative, les personnes habilitées à engager le recours prévu à l’article L. 551-1 en cas de manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué. Il appartient dès lors au juge du référé précontractuel de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.
  2. Pour annuler la procédure en litige, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Paris a considéré, d’une part, que la ville de Paris avait méconnu le principe de l’égalité de traitement entre candidats en retenant l’offre de la société Ginger CEBTP, qui avait réalisé dans le passé la prestation pour un bâtiment municipal correspondant à l’une des ” études de cas ” que devaient rédiger les candidats aux fins de l’appréciation de leurs capacités en matière de ” méthodologie d’exécution ” et, d’autre part, qu’elle avait également commis un manquement à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en retenant l’offre des sociétés 2 CPI France et Dekra industrial en méconnaissance des dispositions de l’article L. 111-25 du code de la construction et de l’habitation. En annulant la procédure pour ce double motif, sans rechercher si les manquements ainsi relevés étaient susceptibles d’avoir lésé la société Sixense engineering, le juge des référés a méconnu son office et commis une erreur de droit, alors même que le pouvoir adjudicateur n’avait pas fait valoir de moyen en défense sur ce point devant lui. Par suite, la ville de Paris est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance qu’elle attaque en tant qu’elle a partiellement fait droit à la demande de la société Sixense engineering.
  3. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée, dans la mesure de la cassation prononcée, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur le règlement de l’affaire au titre de la procédure de référé engagée :

  1. En premier lieu, il résulte de l’instruction que la ville de Paris a soumis aux candidats, aux fins de la notation du sous-critère n° 1 du critère n° 2, intitulé ” méthodologie d’exécution “, une étude de cas dite ” Auvent ” portant sur un bâtiment municipal. Ce sous-critère était pondéré à hauteur de 15 % de la note globale. Or la société Ginger CEBTP, candidate à l’attribution du lot en litige, avait déjà réalisé cette étude en qualité d’attributaire d’un précédent marché de la ville de Paris. Elle a obtenu la meilleure note, de 9,5 sur 10, pour ce sous-critère, le candidat classé en deuxième position sur ce sous-critère n’ayant obtenu que la note de 8 sur 10. Dans ces conditions, la société Sixense engineering est fondée à soutenir que le sous-critère ainsi choisi par la ville de Paris a avantagé la société Ginger CEBTP, et par suite rompu l’égalité de traitement entre les candidats. Ce manquement est susceptible d’avoir lésé la société Sixense engineering, qui n’a obtenu qu’une note de 6,5 sur 10 sur ce sous-critère, et dont la note globale n’était inférieure que de 0,06 point sur 10 à celle du dernier attributaire.
  2. En second lieu, aux termes de l’article L. 111-23 du code de la construction et de l’habitation : ” Le contrôleur technique a pour mission de contribuer à la prévention des différents aléas techniques susceptibles d’être rencontrés dans la réalisation des ouvrages. / Il intervient à la demande du maître de l’ouvrage et donne son avis à ce dernier sur les problèmes d’ordre technique, dans le cadre du contrat qui le lie à celui-ci. Cet avis porte notamment sur les problèmes qui concernent la solidité de l’ouvrage et la sécurité des personnes. ” Selon le premier alinéa de l’article L. 111-25 de ce code : ” L’activité de contrôle technique prévue à la présente section est incompatible avec l’exercice de toute activité de conception, d’exécution ou d’expertise d’un ouvrage. “. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu prohiber toute participation à des activités de conception, d’exécution ou d’expertise d’ouvrage des personnes physiques ou morales agréées au titre du contrôle technique d’un ouvrage. La circonstance que le marché en litige ne s’analyse pas, en lui-même, comme un marché de construction faisant appel à l’intervention d’un contrôleur technique est sans incidence sur l’applicabilité de cette règle.
  3. En outre, aux termes de l’article R. 111-31 du code de la construction et de l’habitation, pris sur le fondement de l’article L. 111-25 qui renvoie à un décret en Conseil d’Etat le soin de fixer ses modalités d’application : ” Les personnes et organismes agréés, les administrateurs ou gérants et le personnel de direction de ces organismes, ainsi que le personnel auquel il est fait appel pour les contrôles, doivent agir avec impartialité et n’avoir aucun lien de nature à porter atteinte à leur indépendance avec les personnes, organismes, sociétés ou entreprises qui exercent une activité de conception, d’exécution ou d’expertise dans le domaine de la construction “. Ces dispositions, en prohibant tout lien de nature à porter atteinte à leur indépendance, font obstacle à la participation des personnes agréées au titre du contrôle technique à un groupement d’entreprises se livrant à des activités de conception, d’exécution ou d’expertise d’ouvrage, alors même que la répartition des missions entre les membres du groupement prévoirait qu’elle ne réalisent pas elles-mêmes des missions relevant du champ de l’incompatibilité prévue par l’article L. 111-25 du même code.
  4. Aux termes de l’article 1.2 du cahier des clauses techniques particulières du lot n° 1 : ” Pour l’ensemble de ce patrimoine, la mission consiste à / – Réaliser des diagnostics des structures des bâtiments ou parties de bâtiments (…) / – A l’issue de ces diagnostics, établir des préconisations qui permettront au maître d’ouvrage de faire réaliser les travaux adaptés aux causes des désordres identifiées “. Selon son article 7.3, intitulé ” Préconisations ” : ” A l’issue des prestations de diagnostic et d’analyse (…) le représentant du pouvoir adjudicateur pourra commander au titulaire l’établissement de préconisations dans le but de remédier aux défauts à l’origine des désordres structurels identifiés. / Ces préconisations devront permettre au représentant du pouvoir adjudicateur de commander les travaux correspondants. (…) ” Il résulte de ces stipulations que l’accord-cadre en litige prévoyait la réalisation par ses titulaires de missions relevant des activités de conception et d’expertise d’un ouvrage au sens de l’article L. 111-25 du code de la construction et de l’habitation.
  5. Il est constant que la société Dekra industrial, membre du groupement attributaire de l’accord-cadre en litige, est une société de contrôle technique agréée, soumise aux dispositions des articles L. 111-25 et R. 111-31 du code de la construction et de l’habitation. Par ailleurs, ainsi qu’il a été dit au point 8, la ville de Paris ne peut utilement se prévaloir de la circonstance, à la supposer établie, que l’organisation du groupement constitué par les sociétés 2 CPI France et Dekra industrial permettrait à cette dernière de ne pas réaliser de prestations de conception, d’exécution ou d’expertise d’un ouvrage. Il s’ensuit que la ville de Paris ne pouvait légalement attribuer l’accord-cadre, qui comprenait des prestations d’expertise et de conception d’un ouvrage, à ce groupement, dont l’un des membres était soumis aux dispositions des articles L. 111-25 et R. 111-31 du code de la construction et de l’habitation. En le faisant, elle a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Ce manquement est également de nature à avoir lésé la société Sixense engineering, dont l’offre a été classée sixième alors que l’accord-cadre devait être attribué à cinq entreprises.
  6. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le dernier moyen de sa demande, la société Sixense engineering est fondée à demander l’annulation de la procédure de passation de l’accord-cadre multi-attributaires de la ville de Paris en litige.
  7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la ville de Paris la somme de 4 500 euros à verser à la société Sixense engineering, au titre des frais exposés devant le Conseil d’Etat et en première instance, sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la société Sixense engineering qui n’est pas, dans la présence instance, la partie perdante.

D E C I D E :
Article 1er : Les articles 1er et 2 de l’ordonnance du 19 novembre 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : La procédure de passation du lot n° 1 ” prestation de diagnostics et préconisations structures ” concernant l’accord-cadre multi-attributaires de la ville de Paris est annulée.
Article 3 : La ville de Paris versera à la société Sixense engineering la somme de 4 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ses conclusions présentées au même titre sont rejetées.


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