CE 12 septembre 2018, Département de la Haute-Garonne, req.n°420585
Cette affaire donne l’occasion de rappeler les conditions dans lesquelles un acheteur public peut régulièrement retenir comme critère de jugement des offre le critère de localisation géographique.
Le département de la Haute-Garonne a lancé une consultation en vue de la passation d’un accord-cadre de 18 lots portant sur l’acquisition de documents sur tous supports et prestations de services associées, au bénéfice de la médiathèque départementale. Le règlement de la consultation prévoyait trois critères de jugement des offres, pondérés sur un total de 100 points, soit 70 points attribués à la qualité de la prestation, 20 points attribués au taux de remise sur prix public et 10 points attribués aux frais engendrés par l’exécution de l’accord-cadre et supportés par la médiathèque départementale pour les déplacements de ses représentants auprès des titulaires.
Le cahier des clauses particulières prévoyait l’obligation pour le titulaire de permettre, au moins une fois par mois, la consultation des fonds dans ses locaux par les bibliothécaires.
Le Conseil d’Etat rappelle que si cette obligation, qui est de nature à assurer la bonne exécution du marché, peut être posée comme condition nécessaire à l’exécution de la prestation, elle ne peut en revanche conduire à privilégier les prestataires implantés à proximité de la médiathèque au détriment de tout candidat plus éloigné.
Or, tel était le cas du critère du jugement relatif aux frais supportés par la médiathèque départementale pour les déplacements de ses représentants auprès des titulaires qui favorisent nécessairement et systématiquement les candidats les plus proches, et restreignent abusivement la possibilité pour un candidat plus éloigné d’être retenu.
Pour rappel, l’article 52 de l’ordonnance du l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics rappelle qu’un marché public est attribué au soumissionnaire qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base d’un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet du marché public ou à ses conditions d’exécution. L’article 62 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics reprend cette exigence en posant comme condition que les critères ne doivent pas être -discriminatoires et liés à l’objet du marché public ou à ses conditions d’exécution.
Ces dispositions permettent au pouvoir adjudicateur de retenir un critère reposant sur la proximité géographique du candidat lorsque sa prise en compte est rendue objectivement nécessaire par l’objet du marché et la nature des prestations à réaliser………mais à la seule condition que les modalités d’appréciation dudit critère n’aient pas d’effet discriminatoire entre les candidats.
Or, dans cette affaire, le juge des référés a considéré que les modalités d’appréciation du critère de la localisation géographique qui était basées exclusivement sur la distance entre l’implantation géographique des librairies candidates et la médiathèque départementale avait nécessairement pour effet de favoriser les candidats les plus proches, et restreignaient de ce fait la possibilité pour les candidats plus éloigné d’être retenus. Partant, le juge des référés a pu considérer que la méthode de sélection des offres était irrégulière.
La méconnaissance des dispositions de l’article 62 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, plus précisément le choix d’un critère illégal ou ayant des effets discriminatoires, relève des manquements qu’il appartient au juge des référés précontractuels de connaître, dès lors qu’elle a été susceptible de fausser les conditions de la concurrence.
S’agissant de l’appréciation de la lésion, l’arrêt du Conseil d’Etat s’inscrit dans la droit ligne des conclusions de son Rapporteur public DACOSTA sur l’arrêt du Conseil d’Etat du 11 avril 2014 Ministre de la Défense, req.n°375245 qui observait déjà que le choix d’un critère irrégulier est toujours susceptible de léser le requérant :« Ce manquement a été susceptible de léser la société. Vous n’entrez pas dans la logique consistant à neutraliser un critère irrégulier, car une illégalité affectant les règles du jeu est toujours regardée comme susceptible d’avoir pu exercer une influence sur les résultats ».
Au cas présent, on remarquera que le juge du référé précontractuel ne s’est pas contenté pas de relever l’irrégularité du critère de jugement des offres mais est allé un peu plus loin en relevant que le critère irrégulier a été déterminant dans le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse sans, heureusement, aller jusqu’à vérifier si le manquement a pu affacter le classement de la requérante placée en 4ème position.
L’arrêt du Conseil d’Etat permet donc de valider la règle selon laquelle l’utilisation d’un critère illégal est de nature à léser un candidat évincé quelque soit son classement.
CE 12 septembre 2018, Département de la Haute-Garonne, req.n°420585
D E C I D E :
Article 1er : Le pourvoi du département de la Haute-Garonne est rejeté.
Article 2 : Le département de la Haute-Garonne versera à la société La Préface une somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.