Tél : 01 42 22 09 18
Fax : 01 42 22 10 03
Publié le 01 Sep 2022

La prescription quinquennale en matière de responsabilité civile extracontractuelle court à compter de la manifestation du dommage

CE 10 juin 2022, Société Otéis, n° 450675

Ce qu’il faut retenir :

Le point de départ de la prescription quinquennale est la manifestation du dommage et non la date à laquelle l’origine des désordres a été identifiée.

Par cet arrêt, le Conseil d’Etat confirme sa décision du 20 novembre 2020, Société Eau France, req. n° 427250, aux tables du recueil, par laquelle il avait jugé qu’il ressort de l’article 2224 du code civil, aux termes duquel « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer », que la prescription qu’il institue « court à compter de la manifestation du dommage, c’est-à-dire de la date à laquelle la victime a une connaissance suffisamment certaine de l’étendue du dommage, quand bien même le responsable de celui-ci ne serait à cette date pas encore déterminé. »

Ce faisant, le Conseil d’Etat a interprété les termes de l’article 2224 faisant référence au « jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » et retenu que ce jour constituait la date correspondant à la « connaissance suffisamment certaine de l’étendue du dommage ».

Le déclenchement du point de départ de la prescription n’est donc pas conditionné à la connaissance de l’identité du ou des auteurs du dommage.

 Ainsi, bien qu’elle ne connaisse pas d’emblée l’origine du dommage et/ou le responsable de celui-ci, la collectivité n’est pas empêchée d’agir en justice et doit, dès qu’elle a une connaissance suffisante du dommage, engager un référé expertise visant à identifier les responsables potentiels.

En l’espèce, le Conseil d’Etat a donc censuré l’erreur de droit commise par la cour administrative de Marseille qui avait écarté l’exception de prescription soulevée en retenant comme point de départ l’identification de l’origine des désordres affectant l’installation de chauffage et de climatisation de l’ouvrage et celle des responsables de ces désordres par le rapport d’expertise.

Il convient de relever que, s’agissant de la prescription quadriennale, le Conseil d’Etat juge au contraire que « la connaissance par la victime de l’existence d’un dommage ne suffit pas à faire courir le délai de la prescription quadriennale » et que le point de départ de cette prescription « est la date à laquelle la victime est en mesure de connaître l’origine de ce dommage ou du moins de disposer d’indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l’administration ».

Mais, d’une part, la détermination du point de départ de la prescription quadriennale résulte de la combinaison des dispositions des articles 1er, 2 et 3 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics.

D’autre part, la fixation d’un tel point de départ permet de déterminer si le litige met en cause l’administration de façon générale sans identifier un auteur précis afin de savoir s’il relève ou non de la juridiction administrative.


CE 10 juin 2022, Société Otéis, n° 450675

Considérant ce qui suit :

  1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune du Tholonet a confié par acte d’engagement du 23 mars 2007 une mission de maîtrise d’œuvre relative à la réalisation de l’aménagement de la place de la Palette et d’une halle de marché au groupement conjoint formé par la société Sudequip, aux droits de laquelle vient la société Otéis, et l’Atelier C… et Serres Architectes, mandataire. Cette mission a été complétée par un avenant du 7 mars 2008 portant sur la création d’une salle polyvalente au-dessus de la halle. Par un acte d’engagement du 9 décembre 2008, la commune du Tholonet a confié le lot n° 1 ” clos couvert, finition ” du marché de construction de la halle et de la salle polyvalente à la société LC Méditerranée. Les ouvrages ont été réceptionnés, sur proposition du maître d’œuvre, par la commune du Tholonet le 18 novembre 2009 ” sous réserve de l’exécution des travaux, prestations et essais en annexe ” et notamment sous la réserve n° 12 de la réalisation des ” essais climatisation / chauffage ” devant être effectuée avant le 15 février 2010. Le 10 septembre 2010, l’ensemble des réserves a été levé en présence du représentant légal du maître de l’ouvrage et un procès-verbal de levée des réserves a été signé par le titulaire du marché, la société LC Méditerranée, et par le maître d’œuvre, représenté par M. C…, qui, après avoir procédé aux examens et vérifications nécessaires, a constaté la correction des imperfections et malfaçons précédemment relevées, l’exécution concluante des épreuves précédemment non exécutées ainsi que celle des travaux et prestations ayant fait l’objet de réserves. Par un jugement du 31 mai 2018, le tribunal administratif de Marseille a condamné solidairement la société Atelier C… et Serres et la société Otéis à verser à la commune une somme de 143 817 euros, augmentée des intérêts, condamné les mêmes sociétés à se garantir mutuellement pour moitié des condamnations solidaires prononcées à leur encontre, mis à la charge solidaire de ces sociétés les frais et honoraires de l’expertise et rejeté le surplus des conclusions. Par un arrêt du 8 février 2021, la cour administrative d’appel de Marseille a mis hors de cause la SMABTP, annulé l’article 5 de ce jugement et rejeté le surplus des conclusions des mêmes sociétés et des parties. La société Otéis et, par la voie d’un pourvoi provoqué, la société Atelier C… et Serres, demandent l’annulation de cet arrêt en tant qu’il rejette leurs conclusions d’appel.
  2. Aux termes de l’article 2224 du code civil résultant de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : ” Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer “.
  3. Il résulte de ces dispositions que la prescription qu’elles instituent court à compter de la manifestation du dommage, c’est-à-dire de la date à laquelle la victime a une connaissance suffisamment certaine de l’étendue du dommage, quand bien même le responsable de celui-ci ne serait à cette date pas encore déterminé.
  4. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour administrative d’appel a estimé, pour écarter l’exception de prescription soulevée par la société Otéis, que la commune du Tholonet a été mise en mesure d’identifier l’origine des désordres affectant l’installation de chauffage et de climatisation de l’ouvrage réceptionné le 10 septembre 2010 à la suite du dépôt du rapport de l’expertise diligentée devant le juge administratif le 18 mai 2016, pointant tant les défauts de conception et de configuration, particulièrement d’accessibilité à la pompe à chaleur, que les défaillances de la maîtrise d’œuvre. En retenant ainsi comme point de départ de la prescription non la manifestation du dommage, mais l’identification de l’origine des désordres affectant l’installation de chauffage et de climatisation de l’ouvrage et celle des responsables de ces désordres, la cour a commis une erreur de droit.
  5. Il résulte de ce qui précède que la société Otéis et la société Atelier C… et Serres, par la voie du pourvoi provoqué, sont fondées à demander l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille en tant qu’il rejette leurs conclusions d’appel.
  6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune du Tholonet les sommes de 1 500 euros à verser à la société Otéis et à la société Atelier C… et Serres au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Otéis qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

DECIDE :

Article 1er : L’article 3 de l’arrêt du 8 février 2021 de la cour administrative d’appel de Marseille est annulé en tant qu’il rejette les conclusions d’appel des sociétés Otéis et Atelier C… et Serres.
Article 2 : L’affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d’appel de Marseille.
Article 3 : La commune du Tholonet versera une somme de 1 500 euros chacune à la société Otéis et à la société Atelier C… et Serres, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative

 


© 2022 Cabinet Palmier - Tous droits réservés - Reproduction interdite sans autorisation.
Les informations juridiques, modèles de documents juridiques et mentions légales ne constituent pas des conseils juridiques
Table des matières
Tous droits réservés © Cabinet Palmier - Brault - Associés
Un site réalisé par Webocube