CAA Paris 13 mai 2019, AIR ALIZE, n°17PA00023
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat rappelle toute l’importance pour les acheteurs publics de bien vérifier les capacités financières de l’attributaire pressenti à défaut de quoi le contrat peut encourir l’annulation.
Le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de rappeler à plusieurs reprises que l’acheteur public a l’obligation de contrôler les capacités professionnelles, techniques et financières des candidats à l’attribution d’un marché public (CE 12 novembre 2015, SAGEM, req.n°386578, CE 26 mars 2008, Communauté urbaine de Lyon, req.n°303779). Dans un arrêt du 15 mars 2019, SAGEM, n°413584, le Conseil d’Etat a également rappelé que si l’opérateur économique entend se prévaloir des capacités financières d’un autre opérateur économique, son dossier de candidature doit impérativement contenir un engagement formalisé de celui-ci.
En cas de contestation des capacités financières de l’attributaire du contrat par un requérant, l’acheteur public est tenu d’apporter la preuve qu’il s’est réellement mis en mesure de contrôler ses capacités techniques et financières ainsi que les justificatifs de ce contrôle (CE 15 mars 2019, SAGEM, n°413584, CE 17 septembre 2014, Société Delta Process, req. n°378722).
Ces obligations s’imposent également pour l’attribution pour tous les contrats publics, marchés publics et concessions.
Dans son arrêt du 13 mai 2019, la Cour administrative d’appel de Paris considère qu’à la date du dépôt de son offre, la société déclarée attributaire du marché ne disposait pas des garanties financières suffisantes pour se voir attribuer le marché en se basant sur les différents bilans financiers négatifs produits par le requérant. La Cour en conclut que son offre aurait dû être écartée dès le stade de la première enveloppe pour respecter l’égalité entre les candidats, ce qui n’a pas été fait.
La Cour administrative d’appel de Paris considère au final que l’acheteur public a commis une erreur manifeste dans l’appréciation des capacités financières de la société déclarée attributaire du marché en lui attribuant le marché et que cette erreur a eu pour effet de léser directement l’intérêt poursuivi par la société requérante, placée en deuxième position.
Dans son arrêt du 13 mai 2019, la Cour administrative d’appel de Paris considère que l’absence de prise en compte des capacités financières de la société déclarée attributaire du marché a eu une influence déterminante dans le choix de l’attributaire et constitue de ce fait une irrégularité grave, de nature à porter atteinte aux règles de liberté de la concurrence et d’égal accès à la commande publique imposant l’annulation totale de ce marché.
Toutefois, l’effet rétroactif de cette annulation étant de nature à emporter des conséquences manifestement excessives, en raison de l’intérêt général s’attachant au maintien des missions d’évacuation sanitaire par avion du SAMU, elle considère qu’il y a lieu de différer les effets de son annulation au 1er novembre 2019 pour permettre au CHT de Nouméa de relancer la procédure de passation du marché annulé.
CAA Paris 13 mai 2019, AIR ALIZE, n°17PA00023
Sur la validité du contrat :
Il résulte de l’instruction que les états financiers de la société Air Loyauté sont gravement déficitaires depuis l’année 2012, ces déficits allant de 2,2 millions d’euros en 2012 et 2013 à 3,8 millions d’euros en 2015. Si, pour leur défense, les intimés soutiennent que la société Air Loyauté détenait en 2014 d’importants actifs à son bilan, il apparait toutefois au vu du rapport du commissaire aux comptes établi en 2015, qu’à cette date, cette société ne devait sa survie qu’à des apports en compte courants versés par son actionnaire majoritaire la SODIL, qui est une société d’économie mixte, elle-même déficitaire, détenue par la province des iles Loyauté. Le directeur de la SODIL atteste de la situation déficitaire de sa filiale au 31 mars 2015, en indiquant qu’il sera procédé à un abandon de créance et à une augmentation de capital d’environ 60 000 000 francs CFP d’ici la fin de l’année. Il apparait donc qu’à la date du dépôt de son offre, la société Air Loyauté ne disposait pas des garanties financières suffisantes pour se voir attribuer le marché. Par suite, son offre aurait dû être écartée, en application de l’article 5 précité du règlement de la consultation, dès le stade de la première enveloppe, ce qui n’a pas été fait. Le CHT de Nouméa a donc commis une erreur manifeste dans l’appréciation des capacités financières de la société Air Loyauté en lui attribuant le marché, cette erreur ayant eu pour effet de léser directement l’intérêt poursuivi par la société Air Alizé.
Sur les conséquences à tirer du vice opérant affectant la validité du contrat :
L’absence de prise en compte des capacités financières de la société Air Loyauté, retenu au point 4, a eu une influence déterminante dans le choix de l’attributaire et constitue une irrégularité grave, de nature à porter atteinte aux règles de liberté de la concurrence et d’égal accès à la commande publique imposant l’annulation totale de ce marché. Toutefois, l’effet rétroactif de cette annulation étant de nature à emporter des conséquences manifestement excessives, en raison de l’intérêt général s’attachant au maintien des missions d’évacuation sanitaire par avion du SAMU, il y a lieu de différer les effets de son annulation au 1er novembre 2019 pour permettre au CHT de Nouméa de relancer la procédure de passation du marché annulé.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie n° 1500466 du 3 novembre 2016 et le marché de “ Prestations de transports sanitaires par avion du SAMU “ attribué par le centre hospitalier territorial de Nouméa (CHT) à la société Air Loyauté le 23 septembre 2015 sont annulés avec effet au 1er novembre 2019.
Article 2 : Le CHT de Nouméa versera à la société Air Alizé une somme de 2 000 (deux mille) euros en application de l’article L. 761- du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions des sociétés intimées présentées sur ce même fondement sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Air Alizée et Air Loyauté, et au centre hospitalier territorial de Nouméa. Copie en sera adressée au Haut-Commissaire de Nouvelle-Calédonie.