TA Versailles Ordo 29 août 2018, Société TFN Propreté Ile de France, req.n°1805542
Cette affaire défendue par le cabinet Palmier-Brault- Associés donne l’occasion de rappeler l’obligation pour les candidats de préciser dans leur offre technique les qualifications et les profils des intervenants chargés de l’exécution des prestations du marché pour éviter que leur offre ne soit déclarée irrégulière.
L’Etablissement Public du Château, du Musée et du Domaine National de Versailles a lancé une procédure d’appel d’offres ouvert sur le fondement des dispositions de l’articles 25 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics en vue d’assurer des prestations de nettoyage des locaux et des sanitaires publics de l’établissement
Par une requête enregistrée du 31 juillet 2018, la société TFN Propreté Ile de France a décidé de saisir le juge des référés précontractuels sur le fondement de l’article L. 55 1-1 du code de justice administrative en vue de demander l’annulation la procédure d’attribution par l’Etablissement public du Château, du Musée et du Domaine national de Versailles du marché et la décision par laquelle l’Etablissement public a rejeté son offre.
Le cabinet Palmier-Brault- Associés a défendu l’Etablissement public du Château, du Musée et du Domaine national de Versailles dans cette affaire et a obtenu le rejet du référé.
Règle n°1 : l’absence d’indication du personnel affecté à une prestation rend l’offre irrégulière
Dans un arrêt du 21 mars 2018, Département des Bouches-du-Rhône, le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de rappeler que le pouvoir adjudicateur peut utiliser comme critère de jugement des offres, les profils des intervenants chargés de l’exécution des prestations du marché de sorte qu’une offre incomplète ou lacunaire sur ce point peut être considérée comme irrégulière et rejetée sans obligation de demander sa régularisation (CE 21 mars 2018, Département des Bouches-du-Rhône, req.n°415929).
Dans son ordonnance du 29 août 2018, le juge du référé précontractuel du Traibunal administratif de Versailles fait application de cette solution en considérant qu’une offre qui ne précise pas l’absence de toute précision sur le personnel encadrant affecté à l’exécution d’une prestation déterminée comme exigé par les cahiers des charges doit être considérée comme irrégulière et rejetée sans obligation de demander sa régularisation
L’article 4. 4 du cahier des clauses techniques particulières applicable au marché en litige, et relatif à l’encadrement du personnel, exigeait en effet que : « Le titulaire doit obligatoirement désigner un responsable et un adjoint (non œuvrant) exclusivement chargés de !’encadrement et de !’exécution des prestations de permanences et nettoyages de !’ensemble des sanitaires, de la discipline du personnel et d’une manière générale de l’application des clauses du présent marché. La présence physique d’un responsable est obligatoire de l’ouverture à la fermeture des sanitaires publics du lundi au dimanche y compris les jours fériés (13), avec pour mission principale le contrôle permanent de la propreté des lieux et de l’approvisionnement en consommables de l’ensemble des sanitaires de l’EPV. Il devra disposer d’un portable pour répondre aux demandes des différents services ou du correspondant de l’administration, ainsi que d’un véhicule en raison de la situation géographique des blocs très éloignés les uns des autres. Il devra par ailleurs signaler quotidiennement au correspondant de l’administration toutes dégradations, ou dysfonctionnements (désordres) constatés au cours de !a journée dans les blocs sanitaires (sanitaires bouchés, accessoires défectueux etc ...). (...) Une pénalité forfaitaire pour désordre non signalé dans l’un des blocs sanitaires peut être appliquée conformément à l’article 10.2 du CCAP. (…) ».
Or, l’offre de la société requérante ne contenait aucune précision sur le personnel encadrant spécifiquement affecté aux sanitaires de sorte qu’elle ne répondait pas aux exigences des prescriptions de l’article 4.4 du CCTP. L’Etablissement Public du Château, du Musée et du Domaine National de Versailles était donc en droit de la rejeter comme incomplète et donc irrégulière sans qu’il soit dans l’obligation de demander sa régularisation.
Règle n°2 : l’irrégularité de l’offre peut être soulevée pour la première fois devant le juge du référé précontractuel
L’ordonnance de référé précontractuel du Tribunal administratif de Versailles est également intéressante en ce qu’elle rappelle le principe selon lequel l’irrégularité de l’offre peut être soulevée pour la première fois devant le juge du référé précontractuel dès lors que le motif de l’irrégularité est rappelé dans le rapport d’analyse des offres.
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE VERSAILLES
N°1805542
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Société TFN Propreté Ile-de-France
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Mme Marc Juge des référés
Le tribunal administratif de Versailles Le juge des référés
Ordonnance du 29 août 2018
39-08-015-01
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 551-1 du code de justice administrative
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Aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative:« Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat». L’article L. 551-2 du même code dispose que « Le juge peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations»
3.
D’une part, en vertu de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d’être lésées par de tels manquements. Il appartient au juge administratif, saisi en application de cet article, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l’administration et de rechercher si l’opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique
4.
D’autre part, en vertu de l’article 59 du décret du 25 mars 2016 visé ci-dessus:« / L’acheteur vérifie que les offres qui n’ont pas été éliminées en application du IV de l’article 43 sont régulières, acceptables et appropriées. Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu’elle est incomplète (. ..). (…) Il – Dans les procédures d’appel d’offres et les procédures adaptées sans négociation, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées. Toutefois, l’acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu’elles ne soient pas anormalement basses. (…) IV – La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet de modifier des caractéristiques substantielles des offres. ».
5.
Il résulte de l’instruction que l’article 4. 4 du cahier des clauses techniques particulières applicable au marché en litige, et relatif à l’encadrement du personnel, stipule : « Le titulaire doit obligatoirement désigner un responsable et un adjoint (non œuvrant) exclusivement chargés de !’encadrement et de !’exécution des prestations de permanences et nettoyages de !’ensemble des sanitaires, de la discipline du personnel et d’une manière générale de l’application des clauses du présent marché. La présence physique d’un responsable est obligatoire de l’ouverture à la fermeture des sanitaires publics du lundi au dimanche y compris les jours fériés (13), avec pour mission principale le contrôle permanent de la propreté des lieux et de l’approvisionnement en consommables de l’ensemble des sanitaires de l’EPV. Il devra disposer d’un portable pour répondre aux demandes des différents services ou du correspondant de l’administration, ainsi que d’un véhicule en raison de la situation géographique des blocs très éloignés les uns des autres. Il devra par ailleurs signaler quotidiennement au correspondant de l’administration toutes dégradations, ou dysfonctionnements (désordres) constatés au cours de !a journée dans les blocs sanitaires (sanitaires bouchés, accessoires défectueux etc …). (…) Une pénalité forfaitaire pour désordre non signalé dans l’un des blocs sanitaires peut être appliquée conformément à l’article 10.2 du CCAP. (…) ».
6.
Il résulte des mentions portées en page 9 du mémoire technique de la société requérante s’agissant des informations demandées en matière de planning prévisionnel annuel des encadrants, qu’aucun personnel encadrant n’est affecté aux blocs sanitaires le lundi entre 18 heures et 20 heures et le dimanche entre 13 heures et 16 heures. Si la société requérante a reconnu lors des débats à l’audience ainsi que dans ses dernières écritures une telle absence s’agissant du dimanche entre 13 heures et 16 heures, elle fait cependant valoir que le chef d’équipe présent au niveau du « Grand Commun» est susceptible d’intervenir sur l’ensemble du périmètre des prestations objet du marché, de sorte qu’il peut aussi intervenir au niveau des blocs sanitaires le lundi entre 18 heures et 20 Néanmoins, il résulte clairement des stipulations précitées de l’article 4. 4 du cahier des clauses techniques particulières que la présence physique d’un responsable est obligatoire de l’ouverture à la fermeture des sanitaires publics du lundi au dimanche avec pour mission principale le contrôle permanent de la propreté des lieux, en sorte que toute absence du personnel encadrant spécifiquement affecté aux sanitaires doit en l’espèce être regardée comme une méconnaissance des exigences formulées dans les documents de la consultation, au sens des dispositions précitées de l’article 59 du décret du 25 mars 2016. Une telle absence a d’ailleurs été relevée dès le rapport d’analyse des offres. L’offre de la société TFN Propreté est, par suite, irrégulière.
7.
Or, un candidat dont l’offre est irrégulière n’est pas susceptible d’être lésé par les manquements qu’il invoque, sauf si cette irrégularité est le résultat du manquement qu’il dénonce, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Le motif de rejet invoqué par l’établissement public, tiré de l’irrégularité de l’offre en raison de la méconnaissance des stipulations précitées de l’article 4.4 du cahier des clauses techniques particulières, ne résulte pas d’un nouvel examen de l’offre. Ainsi, l’établissement public peut se prévaloir pour la première fois devant le juge du référé précontractuel du caractère irrégulier de l’offre de la société TFN Propreté. Dès lors, alors même que son offre a été classée à l’issue de la procédure de passation du marché, la société TFN Propreté, qui n’a pu être lésée par les manquements qu’elle invoque, n’est pas fondée à demander la communication de l’ensemble des informations qu’elle sollicite ni davantage l’annulation dans son ensemble de la procédure de passation du marché en
Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative:
8.
Aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation ».
9.
Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande la société TFN Propreté sur le fondement de ces dispositions. Il y a en revanche lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société TFN Propreté le versement de la somme de 1 000 (mille) euros d’une part à l’établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles et le versement d’autre part de la même somme à la société Europ Net Il, sur le fondement de ces mêmes
ORDONNE:
Article 1er : La requête de la société TFN Propreté Ile-de-France est rejetée.
Article 2 : Sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, la société TFN Propreté Ile-de-France versera d’une part à l’établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles et d’autre part à la société Europ Net II la somme de l 000 (mille) euros, soit en tout une somme de 2 000 (deux mille) euros.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société TFN Propreté Ile-de-France, à l’établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles et à la société Europ Net II.