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Publié le 23 Mai 2019

Le comportement de l’administration peut valoir résiliation tacite du marché public !

CE 27 février 2019, Département de la Seine-Saint-Denis, req. n°414114

Le Conseil d’État se prononcée sur l’identification d’un marché public tacitement résilié et sur l’office du juge d’appel saisi d’une demande de reprise des relations contractuelles.

Enseignement n°1 : Le comportement de l’administration peut valoir résiliation tacite du marché public 

La compétence reconnue à l’administration contractante de résilier unilatéralement un contrat est classique (CE, Ass., 2 mai 1958, Distillerie de Magnac Laval, Lebon 246). Pour garantir les spécificités du droit public, le pouvoir adjudicateur peut mettre fin, pour l’avenir, à l’exécution de son contrat. Intérêt général oblige, la personne publique doit indemniser son cocontractant au risque d’entacher la résiliation d’illégalité. Comptant au nombre des règles générales, la résiliation unilatérale interroge malgré tout quant au respect de la force obligatoire du contrat. Pour éviter qu’elle ne soit écartée trop aisément, le juge du contrat a estimé nécessaire que la résiliation devait résulter d’une décision expresse (CAA, Versailles, 18 avril 2013, Sté Getpartner International, req. n°11VE02414).

Dans son arrêt du 27 février 2019, après avoir rappelé le principe de la résiliation expresse, le juge précise que la résiliation tacite sera reconnue lorsque le comportement de la personne publique révèle assurément qu’elle a mis fin « de façon non équivoque » aux relations contractuelles. Pour le démontrer, le Palais-Royal nous livre des indices qui seront appréciés strictement: la personne publique a-t-elle effectuée des démarches pour satisfaire ses besoins durant la période où elle estime avoir résiliée le contrat ? La personne publique a-t-elle pris une décision rendant impossible la poursuite de l’exécution du contrat ou faisant obstacle à la sa poursuite par le cocontractant ? En l’espèce, l’entreprise titulaire du marché a fait l’objet d’une liquidation judiciaire en 2013 et le contrat a été repris par une autre société. Pour autant, à compter de cette date, le département a cessé toute commande et a conclu un contrat identique à celui faisant l’objet du recours, avec une autre entreprise. Ainsi, le Conseil d’État considère que le comportement du pouvoir adjudicateur révèle assurément qu’il a entendu résilier tacitement le marché public litigieux.

Enseignement n°2 : Précisions sur la reprise des relations contractuelles dans le cadre d’une procédure d’appel

Si ce contentieux est né avec « Béziers II » (CE, sect., 21 mars 2011, n°304806), et précisé par Sté d’aménagement d’Isola 2000 (CE, 23 mai 2011, req. n°323468), force est de constater que c’est bien l’arrêt du 27 février 2019 qui précise les contours de l’office du juge saisi en appel. En effet, le Conseil d’État précise que la reprise des relations contractuelles en appel ne pourra être ordonnée lorsque le tribunal administratif a rejeté la demande et que, « postérieurement à son jugement, le terme du contrat est atteint avant la saisine du juge d’appel ou pendant l’instance d’appel ». De même, si le tribunal a ordonné la reprise des relations contractuelles mais que le jugement n’a pas été exécuté et que le terme du contrat est atteint avant la saisine du juge d’appel, la Cour devra, dans ces deux cas, constater l’impossibilité de reprise et que le litige n’a pas ou plus d’objet. Par contre, en cas d’exécution du jugement, le juge d’appel devra apprécier « le bien-fondé de la reprise des relations contractuelles ».


CE 27 février 2019, Département de la Seine-Saint-Denis, req. n°414114

 

Considérant ce qui suit :

  1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le département de la Seine-Saint-Denis et la société Ethesia ont conclu, le 27 septembre 2011, un marché à bons de commande d’une durée de quatre ans pour la maintenance des installations de chauffage, de climatisation et d’eau chaude sanitaire dans les bâtiments sociaux et autres propriétés départementales, comportant un montant minimum garanti de 1 000 000 € TTC. A la suite de la liquidation judiciaire de la société Ethesia, l’entreprise a été cédée à la société CAPCLIM en vertu d’un jugement du tribunal de commerce du 4 mars 2013. La société CAPCLIM, devenue titulaire du marché conclu entre le département et la société Ethesia, a présenté au département de la Seine-Saint-Denis une facture datée du 25 mars 2013 pour un montant total de 54 172,96 € TTC au titre de prestations d’entretien et de maintenance pour la période du 1erjanvier au 31 mars 2013, dont le département ne s’est pas acquitté. Par lettre du 16 mai 2013, la société CAPCLIM a demandé en vain au département de la Seine-Saint-Denis de reprendre les relations contractuelles, de signer un avenant prenant acte du transfert de plein droit à son profit du marché et a demandé le paiement de la facture précitée. Par un jugement du 29 avril 2014, le tribunal administratif de Montreuil, après avoir constaté que le marché avait été résilié irrégulièrement, a, d’une part, annulé le refus implicite du département de la Seine-Saint-Denis de reprendre les relations contractuelles avec la société CAPCLIM, d’autre part, enjoint au département de reprendre les relations contractuelles avec la société, de signer un avenant de transfert dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et, enfin, rejeté les conclusions indemnitaires de la société CAPCLIM. Par l’arrêt attaqué du 6 juillet 2017, la cour administrative d’appel de Versailles, saisie d’un appel de la société et d’un appel incident du département, a condamné le département de la Seine-Saint-Denis à verser à la société CAPCLIM la somme de 137 163,07 €, annulé le jugement du tribunal administratif de Montreuil en ce qu’il a de contraire à cette condamnation et, enfin, rejeté les conclusions d’appel incident du département tendant à l’annulation du jugement en tant qu’il lui a enjoint de reprendre les relations contractuelles.
  2. Il incombe au juge du contrat, saisi par une partie d’un recours de plein contentieux contestant la validité d’une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles, lorsqu’il constate que cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé, de déterminer s’il y a lieu de faire droit, dans la mesure où elle n’est pas sans objet, à la demande de reprise des relations contractuelles, à compter d’une date qu’il fixe, ou de rejeter le recours, en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d’ouvrir, au profit du requérant, un droit à indemnité. Dans l’hypothèse où il fait droit à la demande de reprise des relations contractuelles, il peut décider, si des conclusions sont formulées en ce sens, que le requérant a droit à l’indemnisation du préjudice que lui a, le cas échéant, causé la résiliation, notamment du fait de la non-exécution du contrat entre la date de sa résiliation et la date fixée pour la reprise des relations contractuelles.
  3. Pour déterminer s’il y a lieu de faire droit à la demande de reprise des relations contractuelles, il incombe au juge du contrat d’apprécier, eu égard à la gravité des vices constatés et, le cas échéant, à celle des manquements du requérant à ses obligations contractuelles, ainsi qu’aux motifs de la résiliation, si une telle reprise n’est pas de nature à porter une atteinte excessive à l’intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d’un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse.

 Sur le pourvoi du département de la Seine-Saint-Denis :

  1. En premier lieu, la cour administrative d’appel de Versailles, qui n’avait pas à répondre à l’ensemble des arguments avancés par le département de la Seine-Saint-Denis à l’appui de son moyen contestant l’existence d’une résiliation tacite du contrat le liant à la société CAPCLIM, n’a pas entaché son arrêt d’insuffisance de motivation.
  2. En deuxième lieu, en dehors du cas où elle est prononcée par le juge, la résiliation d’un contrat administratif résulte, en principe, d’une décision expresse de la personne publique cocontractante. Cependant, en l’absence de décision formelle de résiliation du contrat prise par la personne publique cocontractante, un contrat doit être regardé comme tacitement résilié lorsque, par son comportement, la personne publique doit être regardée comme ayant mis fin, de façon non équivoque, aux relations contractuelles. Les juges du fond apprécient souverainement, sous le seul contrôle d’une erreur de droit et d’une dénaturation des pièces du dossier par le juge de cassation, l’existence d’une résiliation tacite du contrat au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, en particulier des démarches engagées par la personne publique pour satisfaire les besoins concernés par d’autres moyens, de la période durant laquelle la personne publique a cessé d’exécuter le contrat, compte tenu de sa durée et de son terme, ou encore de l’adoption d’une décision de la personne publique qui a pour effet de rendre impossible la poursuite de l’exécution du contrat ou de faire obstacle à l’exécution, par le cocontractant, de ses obligations contractuelles.
  3. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour estimer que le contrat liant le département de la Seine-Saint-Denis et la société Ethesia, cédée à la société CAPCLIM, avait fait l’objet d’une décision de résiliation tacite, la cour administrative d’appel de Versailles a relevé que le département n’avait pas effectué de nouvelles commandes au titre de l’année 2013 à partir de la reprise par la société CAPCLIM de la société Ethesia et avait conclu avec une autre société le 9 juillet 2013 un marché de maintenance ayant le même objet que le marché en litige. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en se fondant sur de telles circonstances, qui sont au nombre de celles permettant d’établir que la personne publique a mis fin de façon non équivoque, à un contrat, et en estimant, compte tenu de celles-ci, que le marché en litige avait été tacitement résilié.
  4. En troisième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, la cour administrative d’appel de Versailles n’a pas, pour rejeter l’appel incident du département tendant à l’annulation du jugement en tant qu’il lui a ordonné la reprise des relations contractuelles, déduit l’illégalité de la décision de résiliation tacite du marché en cause de l’absence de notification préalable de cette décision de résiliation à la société CAPCLIM.
  5. En quatrième lieu, la société CAPCLIM a demandé, alors que les relations contractuelles n’avaient pas été reprises, que le département de la Seine-Saint-Denis soit condamné à l’indemniser du manque à gagner ayant résulté pour elle de la résiliation irrégulière du marché. Pour évaluer ce manque à gagner, la cour administrative d’appel de Versailles s’est référée au montant minimum du marché conclu, auquel elle a appliqué le taux de marge nette de la société CAPCLIM sur des marchés publics comparables. En retenant, sur la base des pièces produites à la suite d’une mesure d’instruction diligentée auprès des parties, un taux de marge de 23 %, la cour s’est livrée à une appréciation souveraine des faits qui est exempte de dénaturation. La cour n’a par ailleurs commis aucune erreur de droit en n’ordonnant pas la mesure d’expertise sollicitée par le département.
  6. En dernier lieu, cependant, lorsque un tribunal administratif a rejeté une demande tendant à la reprise des relations contractuelles et que, postérieurement à son jugement, le terme du contrat est atteint avant la saisine du juge d’appel ou pendant l’instance d’appel, la cour saisie doit constater que le contrat n’est plus susceptible d’être exécuté et que le litige n’a pas ou n’a plus d’objet. De même, si le tribunal a ordonné la reprise des relations contractuelles mais que son jugement n’a pas été exécuté et que le terme du contrat est atteint avant la saisine du juge d’appel ou pendant l’instance d’appel, la cour doit également constater qu’il n’est plus susceptible d’être exécuté et que le litige n’a pas ou plus d’objet. En revanche, si le jugement ordonnant la reprise des relations contractuelles a été exécuté, le juge d’appel doit statuer sur la requête en appréciant le bien-fondé de la reprise des relations contractuelles ordonnée par le tribunal jusqu’au terme du contrat.
  7. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué, d’une part, que le terme du marché en litige, fixé au 27 septembre 2015 soit postérieurement à la saisine du juge d’appel, était dépassé à la date à laquelle la cour administrative d’appel de Versailles a statué et, d’autre part, que le jugement du 29 avril 2014 du tribunal administratif de Montreuil, ordonnant la reprise des relations contractuelles, n’avait pas été exécuté à la date de l’arrêt attaqué. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que, dans ces conditions, il appartenait à la cour de constater que le jugement du 29 avril 2014 ordonnant la reprise des relations contractuelles n’était plus susceptible d’être exécuté et que les conclusions d’appel incident du département de la Seine-Saint-Denis étaient devenues sans objet en tant qu’elles contestaient l’injonction de reprise des relations contractuelles. Il suit de là que la cour administrative d’appel de Versailles a commis une erreur de droit en rejetant comme non fondées, et non comme dépourvues d’objet, les conclusions d’appel d’incident du département contestant la reprise des relations contractuelles avec la société CAPCLIM ordonnée par le tribunal administratif.

 Sur le pourvoi incident de la société CAPCLIM :

  1. Contrairement à ce que soutient la société CAPCLIM, à laquelle il incombait d’apporter la preuve de la réalisation des prestations dont elle demandait le paiement, la cour, en relevant que la facture C 213.03.027 du 25 mars 2013 ne respectait pas les conditions de formes prévues par le cahier des clauses particulières applicable au marché en litige et ne permettait pas d’identifier les prestations facturées, a ni commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier dont elle était saisie. Par suite, la société CAPCLIM n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque en tant qu’il a rejeté ses conclusions tendant à l’indemnisation d’une somme de 54 172,96 € TTC au titre des prestations facturées le 25 mars 2013.
  2. Il résulte de tout ce qui précède que l’arrêt attaqué doit être annulé en tant qu’il a rejeté les conclusions d’appel incident du département de la Seine-Saint-Denis contestant l’injonction de reprise des relations contractuelles.
  3. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler, dans cette mesure, l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
  4. Il résulte de l’instruction que le terme stipulé du marché en litige, fixé au 27 septembre 2015, est dépassé et que le jugement attaqué du 29 avril 2014 du tribunal administratif de Montreuil, qui ordonne la reprise des relations contractuelles, n’a pas été exécuté. Il résulte de ce qui a été dit au point 9 de la présente décision que ce jugement ne peut plus être exécuté et que, dans ces conditions, les conclusions d’appel incident du département de la Seine-Saint-Denis tendant à l’annulation de ce jugement en tant qu’il lui a enjoint de reprendre les relations contractuelles avec la société CAPCLIM sont devenues sans objet. Il n’y a dès lors pas lieu d’y statuer.

 Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

  1. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le département de la Seine-Saint-Denis et la société CAPCLIM au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

Décide :

Article 1er : L’arrêt du 6 juillet 2017 de la cour administrative d’appel de Versailles est annulé en tant qu’il a rejeté les conclusions d’appel incident du département de la Seine-Saint-Denis tendant à l’annulation du jugement du 29 avril 2014 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu’il lui a enjoint de reprendre les relations contractuelles avec la société CAPCLIM. Article 2 : Il n’y a pas lieu de statuer sur la requête du département de la Seine-Saint-Denis tendant à l’annulation du jugement du 29 avril 2014 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu’il lui a enjoint de reprendre les relations contractuelles avec la société CAPCLIM.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi du département de la Seine-Saint-Denis est rejeté.

Article 4 : Les conclusions du pourvoi incident de la société CAPCLIM sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au département de la Seine-Saint-Denis et à la société CAPCLIM.

 


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