Un contrat de mobilier urbain est-il un marché ou une concession ? Un contrat d’émission et distribution de titres restaurant est-il un marché ou une concession ? Dans ces types de montage, le doute de l’acheteur persiste toujours.
Le code de la commande publique trace désormais la frontière entre les deux figures contractuelles à partir du critère de la rémunération du cocontractant.
En effet, si tous les contrats de la commande publique ont pour point commun d’être onéreux, les marchés publics sont conclus en contrepartie d’un prix « ou de tout équivalent » tel qu’un abandon de recettes certaines[1] (Art. L. 1111-1 du code de la commande publique), là où les concessions sont conclues en contrepartie du droit d’exploiter un ouvrage ou un service, sans exclure un complément sous forme de prix, dès lors qu’est transféré le risque lié à cette exploitation (Art. L. 1121-1 du même code).
Si cette frontière parait floue a priori, et les jurisprudences parfois contradictoires, il convient en réalité de décomposer le critère financier de la concession en deux points successifs. Existe-t-il en fait un risque d’exploitation ? Et ce risque est-il effectivement « transféré » au prestataire, en contrepartie du droit d’exploiter le service ou l’ouvrage ?
La réponse à la première question suppose de vérifier que l’exploitant n’est pas confronté à ce qu’il est convenu d’appeler une clientèle captive. Il en va ainsi des usagers du bus scolaire (CE, 7 novembre 2008, Département de la Vendée, n° 291794), où lorsque les usagers d’une cantine sont majoritairement les enfants des centres aérés et écoles avoisinants et les personnes âgées des maisons de retraite alentours (CE, 5 juin 2009, Sté Avenance Enseignement et Santé, n° 298641). Dans toutes ces hypothèses, la qualification de marché sera retenue faute d’existence-même du risque d’exploitation. « Le risque d’exploitation est constitué par le fait de ne pas être assuré d’amortir les investissements ou les coûts liés à l’exploitation du service » (CE, 7ème – 2ème chambres réunies, 4 mars 2021, Département de la Loire c. Société Edenred, n°438859).
La Cour de justice a eu l’occasion de rappeler à plusieurs reprises que le risque d’exploitation n’a pas besoin d’être important, du moment qu’il existe et qu’il est bien transféré, autrement dit que le concessionnaire prend à sa charge une part significative de ce risque, fusse-t-il limité (CJCE, 10 septembre 2009, Eurawasser). Le Conseil d’État s’en écarte par le verbe mais la rejoint par l’esprit en jugeant qu’il y a concession si la rémunération globale est susceptible d’être inférieure aux dépenses d’exploitation (CE, 19 novembre 2010, Dingreville, n° 320169).
Ce qui pose la question du transfert du risque, laquelle ne se résumera donc pas à vérifier si le pouvoir adjudicateur paie ou non un prix. Le paiement par la personne publique d’une somme fonction des résultats n’écarte pas le risque d’exploitation mais le souligne au contraire (CE, 20 octobre 2006, Cne d’Andeville, n° 289234). De même qu’à l’inverse, la perception de recettes sur la tête des tiers n’exclut pas la qualification de marché si ces recettes ne sont pas indexées sur les résultats de l’exploitation. Enfin, la rémunération mixte qui laisse une place majoritaire à la rémunération fixe, même jusqu’à 70%, n’exclut pas la qualification de concession si la part de rémunération indexée sur les résultats fait subsister le risque de déficit d’exploitation (CE, 30 juin 1999, SMITOM, n° 198147).
En application de cette logique, ont été qualifiés de marchés publics les contrats de mobiliers urbain (CE Ass., 4 novembre 2005, société Jean-Claude Decaux, n° 247298) et de tickets restaurant (Société Edenred, précité), parfois à l’encontre de la qualification postulée par le pouvoir adjudicateur. Or les conséquences d’une erreur peuvent être particulièrement graves pour lui, puisque le juge estime notamment que le non-respect de formalités applicables aux marchés (publicité « pleine » des critères et avis d’attribution) constitue non seulement un vice particulièrement grave justifiant sa résiliation, mais également une faute en lien direct avec le préjudice né pour le titulaire de cette résiliation judiciaire… (CE, 2 février 2024, SOGECCIR, n° 471318).
[1] Les recettes abandonnées doivent néanmoins présenter un caractère certain, ainsi des redevances domaniales par exemple, car l’abandon de recettes incertaines relève bien de la logique concessive : CE 14 novembre 2014 SMEAG c/ société Aventure Land, req. n° 373156.
Le critère du risque dans les concessions