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Le juge du référé précontractuel doit vérifier la nature du contrat avant de statuer !

TC 13 septembre 2021, Société Cadres en mission c/ SNCF, n°4224

Il appartient au juge du référé précontractuel saisi de déterminer s’il est bien compétent pour trancher le litige eu égard à la nature du contrat susceptible d’être conclu à l’issue de la procédure de mise en concurrence.

Un contrat de la commande publique, passé par une entité adjudicatrice au nom et pour le compte de plusieurs sociétés, et destiné majoritairement à répondre aux besoins de l’une de ces sociétés dont les contrats passés en application du code de la commande publique sont des contrats administratifs par détermination de la loi, revêt lui-même un caractère administratif que seul le juge du juge du référé précontractuel administratif peut trancher.

 Ce qu’il faut retenir :


Point n°1 : le juge du référé précontractuel doit vérifier la nature du contrat avant de statuer

Le Tribunal des Conflits rappelle la passation et l’attribution des contrats passés en application du code de la commande publique sont susceptibles de donner lieu à une procédure de référé précontractuel qui, selon que le contrat revêt un caractère administratif ou privé, doit être introduit soit devant le juge administratif sur le fondement de l’article L 551-1 du code de justice administrative, soit devant le juge judiciaire, sur le fondement de l’article 1441-1 du code de procédure civile.

Avant de trancher le litige dont il est saisi, le juge du référé précontractuel doit tout d’abord vérifier s’il est bien compétent pour trancher le fond du litige, eu égard à la nature du contrat en cause (public ou privé), sans être tenu par la qualification donnée par les parties. Il est en effet assez fréquent que les documents de la consultation fassent référence à tort à la compétence de la juridiction judiciaire au seul motif que l’acheteur est une personne morale de droit privé sans vérifier la nature exacte du contrat en cause. Tout comme il est fréquent que les documents de la consultation mentionnent une juridiction qui s’avère en réalité territorialement incompétente pour trancher le litige.

Au cas présent, la SNCF avait lancé un appel public à la concurrence afin de conclure un accord-cadre à bons de commande multi-attributaires, portant sur des prestations de portage salarial, pour son compte ainsi que pour celui de quatre filiales du groupe SNCF.

La SNCF et ses filiales sont des entités adjudicatrices de droit privé, régies par le droit privé pour leur activité. Toutefois, l’article L. 2111-9-4 du code des transports dispose que les contrats conclus par la société SNCF Réseau, filiale de la SNCF, pour l’exécution de ses missions en application du code de la commande publique sont des contrats administratifs. En l’espèce, la procédure de passation de l’accord-cadre a été lancée par la SNCF en son nom et pour son compte ainsi que pour celui de quatre filiales dont SNCF Réseau. Le cas était donc tout à fait atypique : une entreprise de droit privé lance une procédure de passation d’un contrat unique dont l’exécution est prévue pour son compte et pour le compte de ses filiales de droit privé mais avec une filiale soumise au droit administratif des contrats. Pour répondre à cette situation fort spécifique, le Tribunal se fonde sur la nature des besoins auxquels le contrat doit répondre. Dès lors que l’accord – cadre doit répondre majoritairement aux besoins de SNCF Réseau dont les contrats passés en application du code de la commande publique sont des contrats administratifs par détermination de la loi, le Tribunal a estimé que ce litige ressortit à la compétence du juge administratif.

Il s’ensuit que dans l’hypothèse inverse, si les besoins à satisfaire étaient majoritairement ceux des filiales soumis au droit privé en matière contractuelle, la compétence serait alors celle du juge du référé précontractuel judicaire.


Point n°2 : Les documents de la consultation ne peuvent pas déroger à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction.

 Cette affaire est également l’occasion de rappeler que dans son arrêt du 10 décembre 2018, Société d’aménagement d’Isola 2000 c/ Syndicat mixte pour l’aménagement et l’exploitation de la station d’Isola 2000, n°4143, le Tribunal des Conflits a rappelé que les parties à un contrat administratif (ou privé) ne peuvent pas choisir l’ordre de juridiction compétent pour trancher leur litige.

En d’autres termes, les clauses attributives de compétence qui figurent dans les cahiers des charges ne peuvent pas faire échec à l’application des règles d’ordre public relatives à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction. Si le contrat est administratif, les parties ne peuvent donc pas insérer une clause attribuant le règlement des litiges au juge judiciaire. Et vice versa, si le contrat est de droit privé.

Le considérant n°5 de l’arrêt résume la règle dégagée par le Tribunal des conflit « Considérant que la convention qui liait la SAI et le syndicat mixte et qui a été résiliée par ce dernier était un contrat administratif ; que le litige porte sur les conditions dans lesquelles la SAI doit, en application de l’article 20 du contrat, être indemnisée ; qu’alors même que les parties auraient entendu, par les stipulations mentionnées ci-dessus, convenir d’une attribution de compétence au profit du juge judiciaire et dès lors, par ailleurs, que, contrairement à ce que soutiennent les parties, il ne résulte d’aucune disposition législative que la compétence devrait être attribuée à la juridiction judiciaire, le juge administratif est seul compétent pour connaître d’un tel litige, y compris pour fixer le montant de la plus value à prendre en compte au titre des terrains restitués sur lesquels des travaux ont été réalisés »


TC 13 septembre 2021, Société Cadres en mission c/ SNCF, n°4224

Considérant ce qui suit :

  1. Par un avis d’appel public à la concurrence publié le 7 décembre 2020, la société nationale SNCF a lancé une consultation, selon la procédure négociée prévue par les articles L. 2124-3 et R. 2124-4 du code de la commande publique, pour la conclusion d’un accord-cadre à bons de commande multi-attributaire portant sur des prestations de portage salarial, pour son compte ainsi que pour celui de quatre filiales du groupe SNCF (SNCF Voyageurs, SNCF Réseau, SNCF Gares et Connexions et Fret SNCF). La SAS Cadres en mission, qui a fait acte de candidature, s’est vu opposer une décision de rejet de son offre le 6 mars 2021. Elle a assigné la SNCF devant le tribunal judiciaire de Paris sur le fondement des articles 1441-1 et suivants du code de procédure civile, afin qu’il soit enjoint à la SNCF de se conformer à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en reprenant la procédure dans son intégralité et que soit suspendu l’ensemble des décisions se rapportant à la procédure litigieuse, et notamment la décision de rejet de l’offre de la société requérante. Estimant que ce litige soulevait une difficulté sérieuse, le tribunal judiciaire de Paris a saisi le Tribunal des conflits sur le fondement de l’article 35 du décret du 27 février 2015.
  2. La passation et l’attribution des contrats passés en application du code de la commande publique sont susceptibles de donner lieu à une procédure de référé précontractuel qui, selon que le contrat revêt un caractère administratif ou privé, doit être intentée devant le juge administratif ou devant le juge judiciaire. Il appartient au juge du référé précontractuel saisi de déterminer si, eu égard à la nature du contrat en cause, il l’a été à bon droit.
  3. D’une part, aux termes de l’article L. 1212-1 du code de la commande publique : « Les entités adjudicatrices sont : 1° Les pouvoirs adjudicateurs qui exercent une des activités d’opérateur de réseaux définies aux articles L. 1212-3 et L. 1212-4; 2° Lorsqu’elles ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs, les entreprises publiques qui exercent une des activités d’opérateur de réseaux définies aux articles L. 1212-3 et L. 1212-4 ; … ». Aux termes de l’article L. 1212-3 du même code : « Sont des activités d’opérateur de réseaux : 4° Les activités d’exploitation de réseaux destinés à fournir un service au public dans le domaine du transport par chemin de fer, tramway, trolleybus, autobus, autocar, câble ou tout système automatique, ou les achats destinés à l’organisation ou à la mise à la disposition d’un exploitant de ces réseaux ; … ».
  4. D’autre part, aux termes de l’article 5 de l’ordonnance du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique : « En cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par des entités adjudicatrices des contrats de droit privé ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, les personnes ayant intérêt à conclure l’un de ces contrats et susceptibles d’être lésées par ce manquement peuvent saisir le juge avant la conclusion du contrat. / La demande est portée devant la juridiction judiciaire ».
  5. Enfin, aux termes de l’article L. 2111-9-4 du code des transports : « Sont des contrats administratifs, les contrats suivants conclus par la société SNCF Réseau pour l’exécution de ses missions prévues à l’article L. 2111-9 : 1° Contrats conclus en application du code de la commande publique ; … ».
  6. La SNCF est une société anonyme qui, au sens du code de la commande publique, est une entité adjudicatrice. La procédure de passation de l’accord-cadre en cause a été lancée par la SNCF en son nom et pour son compte, ainsi que pour celui de quatre filiales, parmi lesquelles figure SNCF Réseau. Cet accord-cadre est majoritairement destiné à répondre aux besoins de SNCF Réseau, l’un des bénéficiaires des prestations de portage salarial faisant l’objet de la passation de l’accord-cadre. Si SNCF Réseau est désormais elle aussi une société anonyme, il résulte de l’article L. 2111-9-4 du code des transports que les contrats que conclut cette société pour l’exercice de ses missions prévues à l’article L. 2111-9 du même code sont des contrats administratifs par détermination de la loi.
  7. Ce contrat de la commande publique, passé par une entité adjudicatrice au nom et pour le compte de plusieurs sociétés, et destiné majoritairement à répondre aux besoins de l’une de ces sociétés dont les contrats passés en application du code de la commande publique sont des contrats administratifs par détermination de la loi, revêt lui-même un caractère administratif.
  8. Il résulte de ce qui précède que le présent litige ressortit à la compétence de la juridiction administrative.

 

D E C I D E :

Article 1er : La juridiction administrative est compétente pour connaître du litige opposant la société SAS Cadres en mission à la société SNCF.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société SAS Cadres en mission et à la société SNCF.


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