La jurisprudence constante ne permet pas de saisir le juge administratif d’une demande d’homologation des transactions administratives, celles-ci étant exécutoires de plein droit. Si des difficultés particulières justifient la recevabilité exceptionnelle d’une telle demande, la stipulation d’une condition suspensive d’homologation judiciaire, faisant obstacle à l’exigibilité des obligations, ne permet pas de caractériser de telles difficultés.
L’article 2044 du code civil dispose que « la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître », auquel l’article 2052 du code civil confère l’autorité de la chose jugée en faisant obstacle à la saisine du juge sur le même objet.
En dépit de l’autonomie du droit public recherchée par son juge, le droit des contrats administratifs a été essentiellement bâti par voie d’inspiration, et même d’application directe du code civil. Par un avis « L’Haÿ-les-Roses », le Conseil d’Etat a ainsi posé la règle constante rappelée par la CAA de Marseille : « le contrat de transaction, par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître, a entre ces parties l’autorité de la chose jugée en dernier ressort » (CE, ass., 6 déc. 2002, avis contentieux, n° 249153).
Il est cependant remarquable que le juge administratif cultive l’autonomie du droit administratif y compris lorsqu’il se sert d’un terreau commun. En effet, le même avis « L’Haÿ-les-Roses » a posé que les transactions administratives sont exécutoires de plein droit, alors qu’en matière civile l’article 1567 du Code de procédure civile requiert l’homologation judiciaire.
De ce caractère exécutoire, ouvrant droit à la mise en œuvre des voies d’exécution, il se déduit deux conséquences.
Ainsi que le rappelle la CAA de Marseille, les règles de la comptabilité publique ne peuvent pas faire obstacle au caractère exécutoire de la transaction. L’intervention du comptable public n’est donc pas nécessaire et celui-ci ne peut s’opposer à son exécution. Ainsi, notamment, la règle du paiement après service fait ne trouvera pas à s’appliquer (le « service » consistant souvent en une abstention de saisir le juge qui, par définition, serait difficile à « faire »).
Par ailleurs, le caractère exécutoire per se des transactions administratives fait en principe obstacle à la saisine du juge administratif en vue d’en obtenir l’homologation.
De telles conclusions sont irrecevables à défaut d’objet, sauf dans trois cas : lorsque litige éteint par la transaction est en cours d’examen par une juridiction ; lorsque litige non pendant découle d’une annulation ou du constat d’une illégalité ne pouvant être régularisés, notamment en matière de commande publique ; ou lorsque l’exécution de la transaction elle-même se heurte à des difficultés sérieuses.
La particularité de l’affaire portée devant la cour tenait à ce que la transaction en cause stipulait une condition suspensive d’homologation judiciaire. Or, la condition suspensive est celle qui rend l’obligation conditionnelle. Et l’obligation conditionnelle ne permet pas au créancier d’en réclamer le paiement puisque la créance doit être certaine, liquide… et exigible ! Une problématique sérieuse d’exécution se posait a priori.
La CAA de Marseille écarte pourtant cette circonstance comme caractérisant une difficulté particulière d’exécution permettant de saisir le juge. En effet, l’existence de telles difficultés « ne saurait se déduire de l’existence de cette clause, stipulée entre les parties ». En d’autres termes, les parties sont renvoyées à lever elles-mêmes le blocage qui ressort d’une rédaction maladroite dont elles sont à l’origine. Il est vrai que le bon sens voudrait que la voie de l’avenant soit envisagée avant celle de l’homologation. Les parties restent par ailleurs libres de saisir le juge du contrat en cas d’inexécution fautive de la transaction.
En définitive, la CAA écarte également l’existence de difficultés particulières tenant aux conséquences d’une résiliation, qu’elle refuse d’assimiler aux conséquences d’une annulation. En l’espèce, le contrat avait été résilié à l’amiable face aux résultats d’exploitation décevants de la concession. Il ne s’agit donc pas d’une annulation juridictionnelle dont la sanction est irrésistible. Et c’est donc à nouveau la logique Patere legem quam ipse fecisti (« souffre la loi que tu as toi-même faite ») qui commande l’interprétation retenue par la cour.
Considérant ce qui suit :
1. Par un contrat de délégation de service public conclu le 21 janvier 2011, la métropole Nice Côte d’Azur a confié à la société VENAP la mise en place et l’exploitation d’un service d’automobiles électriques en auto-partage. Les résultats d’exploitation de ce service ont conduit les deux parties à envisager la résiliation du contrat de délégation de service public. Afin de régler les conséquences financières de cette résiliation, une médiation a été engagée par une ordonnance du président du tribunal administratif du 26 octobre 2018. Toutefois, il résulte de l’instruction et notamment des écritures de la métropole que les parties ont renoncé à cette médiation, tout en poursuivant leurs discussions pour parvenir à la conclusion d’un protocole transactionnel le 13 novembre 2019. C’est dans ce contexte que la métropole Nice Côte d’Azur a demandé au tribunal administratif de Nice d’homologuer cette transaction, la société VENAP s’étant associée à sa demande. La métropole Nice Côte d’Azur relève appel du jugement du 7 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande d’homologation de cette transaction.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l’article R. 741-2 du code de justice administrative : ” La décision […] contient le nom des parties, l’analyse des conclusions et mémoires ainsi que le visa des dispositions législatives ou réglementaires dont il est fait application. […] Mention est également faite de la production d’une note en délibéré. “. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu’il est régulièrement saisi, à l’issue de l’audience, d’une note en délibéré émanant de l’une des parties, il appartient dans tous les cas au juge administratif d’en prendre connaissance avant de rendre sa décision ainsi que de la viser, sans toutefois l’analyser dès lors qu’il n’est pas amené à rouvrir l’instruction et à la soumettre au débat contradictoire pour tenir compte des éléments nouveaux qu’elle contient.
3. Après l’audience publique qui s’est tenue devant le tribunal administratif de Nice le 16 novembre 2021, la métropole Nice Côte d’Azur a produit une note en délibéré enregistrée au greffe du tribunal le 18 novembre 2021, que le tribunal a visée et qu’il n’était pas tenu d’analyser, ainsi qu’il a été dit au point 2. La métropole Nice Côte d’Azur n’est par suite pas fondée à soutenir que le jugement attaqué qui n’analyse pas sa note en délibéré serait irrégulier.
4. En deuxième lieu, il n’appartient pas au juge d’appel d’apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s’est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative attaquée dont il est saisi dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel. Par suite, la métropole Nice Côte d’Azur ne peut utilement se prévaloir, pour contester la régularité du jugement attaqué, des erreurs de droit ou de fait que les premiers juges auraient commises.
5. En troisième lieu, ainsi qu’il a été dit au point 1, les parties ont renoncé à la médiation qui avait été initiée, l’article 3 de la transaction précisant au demeurant que ” le présent accord ne s’inscrit pas dans le cadre de ladite médiation “. La société VENAP ne peut par suite utilement soutenir que la recevabilité de la demande d’homologation doit s’apprécier au regard des dispositions de l’article L. 213-4 du code de justice administrative applicables ” dans tous les cas où un processus de médiation a été engagé ” à ” l’accord issu de la médiation “.
6. En quatrième lieu, le contrat de transaction, par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître, a entre ces parties l’autorité de la chose jugée en dernier ressort. Il est exécutoire de plein droit, sans qu’y fassent obstacle, notamment, les règles de la comptabilité publique. Par suite, en dehors des cas où la contestation à laquelle il est mis fin a été précédemment portée devant le juge administratif, des conclusions tendant à ce que celui-ci homologue une transaction sont en principe dépourvues d’objet et par suite irrecevables. La recevabilité d’une telle demande d’homologation doit toutefois être admise, dans l’intérêt général, lorsque la conclusion d’une transaction vise à remédier à une situation telle que celle créée par une annulation ou la constatation d’une illégalité qui ne peuvent donner lieu à régularisation, ou lorsque son exécution se heurte à des difficultés particulières. Tel peut notamment être le cas en matière de marchés publics et de délégations de service public.
7. Ainsi que l’a à bon droit estimé le tribunal, il résulte de l’instruction que le protocole transactionnel du 13 novembre 2019 a été conclu en vue de définir les conséquences financières de la résiliation de la délégation de service public pour la mise en place et l’exploitation d’un service d’automobiles électriques en auto-partage. Il n’a donc pas pour but de mettre fin à une contestation précédemment portée devant le juge administratif et il ne vise pas à remédier à une situation telle que celle créée par une annulation ou la constatation d’une illégalité ne pouvant donner lieu à régularisation. Il ne résulte pas non plus de l’instruction, que l’exécution du protocole transactionnel se heurterait à des difficultés particulières. Le fait que la transaction vise à régler la cessation anticipée d’une convention de délégation de service public comportant des enjeux financiers n’est pas de nature à établir, par elle-même, l’existence de telles difficultés. Si l’article 4 prévoit que le montant de l’indemnité transactionnelle sera versé ” à compter de la notification par le tribunal administratif du jugement d’homologation ” et que l’article 6 stipule que ” la présente transaction est soumise à condition suspensive de son homologation par le tribunal administratif “, l’existence de difficultés particulières d’exécution du protocole transactionnel ne saurait se déduire de l’existence de cette clause, stipulée entre les parties. Enfin, alors qu’ainsi qu’il a été dit au point 1 les parties avaient renoncé à la médiation, la société VENAP n’est pas fondée à soutenir que le refus de désigner un nouveau médiateur suite à la récusation de celui désigné par la métropole constituerait une difficulté particulière d’exécution.
8. En l’absence d’élément établissant l’existence d’une difficulté particulière relative à l’exécution de la transaction, la métropole et la société VENAP ne sont donc pas fondées à soutenir que c’est à tort que le tribunal a rejeté leur demande en homologation de la transaction du 13 novembre 2019, qui était irrecevable.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la métropole Nice Côte d’Azur est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la métropole Nice Côte d’Azur et à la société VENAP.