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Publié le 21 Mai 2024

L’invocabilité de la transaction comme preuve d’une reconnaissance de responsabilité ?

CE 22 mars 2024, CPAM du Puy-de-Dôme, n°455107

 

Ce qu’il faut retenir :

Une reconnaissance de responsabilité ne peut s’inférer de l’existence d’une transaction. L’effet subrogatoire d’un paiement n’a pas pour conséquence de placer le tiers payeur dans une situation où il pourrait se prévaloir, pour établir l’existence de sa créance dans le cadre d’un recours subrogatoire, d’une transaction conclue entre le bénéficiaire du paiement et le débiteur de ce dernier.

Enseignement n°1 : Une transaction ne crée aucun droit à indemnisation à l’égard des tiers payeurs

De jurisprudence constante, les tiers à un contrat ne peuvent se prévaloir de ses stipulations, à l’exception des clauses règlementaires d’un contrat administratif (CE, 21 octobre 2019, Sté CMEG, n°420086). Ils ne peuvent en réclamer l’exécution ni en tirer des droits. Dans son arrêt de section du 22 mars 2024, le Conseil d’État a poussé l’application de ce principe à son paroxysme en jugeant que la conclusion d’une transaction par une personne publique ne crée aucun droit à indemnité au profit des tiers subrogés dans les droits du bénéficiaire.

En l’espèce, un enfant avait été blessé dans le cadre d’une activité sportive organisée par un centre de loisirs dépendant de la commune de Clermont-Ferrand. Une transaction avait été conclue entre cette dernière et la mère de la victime, mais en parallèle la CPAM du Puy-de-Dôme avait couvert financièrement la prise en charge médicale de l’enfant. Dans cette situation, la CPAM s’était retournée contre la commune et demandé au juge le remboursement des débours exposés.

Ayant indemnisé son assuré, la CPAM était donc légalement subrogée dans ses droits. Malgré ce le Conseil d’État écarte fermement l’idée que ce mécanisme de subrogation puisse avoir pour effet de placer le subrogé dans une situation où il tirerait des droits directement du contrat, et en particulier le droit à indemnisation consenti par la commune au profit de l’assuré. « Les dispositions précitées du code de la sécurité sociale, qui régissent le recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale, n’ont ni pour objet ni pour effet de déroger à cette règle et de permettre à ces caisses, dans l’exercice de ce recours à l’encontre d’une personne publique, d’invoquer un droit à indemnisation tiré des termes du règlement amiable ».

Enseignement n°2 : Le tiers payeur ne peut invoquer la transaction pour établir la preuve d’une reconnaissance de responsabilité

L’article 1200 du code civil dispose en son deuxième alinéa que, si les tiers ne peuvent tirer des droits du contrat, « ils peuvent s’en prévaloir notamment pour apporter la preuve d’un fait ». Le principe de l’effet relatif du contrat ne fait ainsi obstacle qu’à l’invocabilité du contrat comme source d’obligations au profit du tiers. En revanche, il constitue bien un fait juridique à son égard, de sorte qu’ils puissent s’en prévaloir pour établir la preuve de la situation juridique créée par ce contrat.

Dans un arrêt du 21 avril 2022, la Cour de cassation s’est prononcé dans une affaire similaire en faveur de l’invocabilité de la transaction pour établir la reconnaissance de responsabilité par son auteur. Ainsi, la caisse ayant indemnisé la victime d’un dommage, subrogée dans ses droits, peut réclamer l’indemnisation des préjudices reconnus dans la transaction (Civ. 1re, 21 avril 2022, n° 20-17.185, Bull.).

En l’espèce, le Conseil d’État n’applique pas cette même logique, et juge au contraire que la reconnaissance d’un droit à indemnité tiré de la transaction au profit de la CPAM pourrait heurter le principe d’ordre public selon lequel une personne publique ne peut pas être condamnée à payer une somme qu’elle ne doit pas (CE, sect., 19 mars 1971, Mergui, n° 79962). Cette position, qui garantit la protection des deniers publics face au risque de fraude de l’assuré payé deux fois, concorde aussi avec l’objet même de la transaction, qui est de prévenir un contentieux, et non de l’arbitrer : chaque partie consent ainsi sa part de concessions réciproques en vue de s’épargner, non seulement la durée d’une procédure juridictionnelle, mais aussi le risque d’un débouté. L’assimilation de l’acte de transiger à une reconnaissance de responsabilité constitue donc un saut qualitatif.

Enseignement n°3 : Le tiers payeur bénéficie d’un droit à indemnisation autonome dans les conditions de la subrogation légale

En dernier lieu, si le subrogé ne peut pas, ni tirer directement des droits du contrat auquel il n’est pas parti, ni invoquer ce contrat pour établir un fait qu’il n’implique pas, il peut néanmoins, en application des principes généraux de la responsabilité, rechercher la responsabilité extracontractuelle de l’auteur de la transaction. Cette recherche impliquera de rapporter la preuve « d’une faute de la collectivité publique ou de tout autre fait de nature à justifier la prise en charge du dommage ainsi que d’un lien de causalité direct et certain avec les débours exposés. »

 


CE 22 mars 2024, CPAM du Puy-de-Dôme, n°455107

 

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à la suite de l’accident subi le 24 octobre 2013 par le jeune A… C… dans le cadre d’une activité sportive organisée par le centre de loisirs du château des Vergnes, dépendant de la commune de Clermont-Ferrand, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, saisi par la mère de l’enfant mineur, a, d’une part, donné acte du désistement de la demande de cette dernière à la suite du protocole transactionnel qu’elle avait conclu avec la commune pour mettre un terme aux conséquences de cet accident et, d’autre part, fait droit aux conclusions de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du Puy-de-Dôme tendant au remboursement des débours exposés par cet organisme en lien avec la prise en charge médicale de l’enfant. La CPAM du Puy-de-Dôme se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 1er juin 2021 par lequel la cour administrative d’appel a, sur appel de la commune, annulé le jugement du tribunal administratif comme irrégulier puis, après avoir évoqué, rejeté ses conclusions.

2. En premier lieu, aux termes de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : ” (…) Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l’assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre et le livre Ier, sauf recours de leur part contre l’auteur responsable de l’accident dans les conditions ci-après./ Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s’exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’elles ont pris en charge, à l’exclusion des préjudices à caractère personnel (…)/ Hors le cas où la caisse est appelée en déclaration de jugement commun (…), la demande de la caisse vis-à-vis du tiers responsable s’exerce en priorité à titre amiable./ La personne victime, les établissements de santé, le tiers responsable et son assureur sont tenus d’informer la caisse de la survenue des lésions causées par un tiers dans des conditions fixées par décret “. Aux termes de l’article L. 376-3 du même code : ” Le règlement amiable pouvant intervenir entre le tiers et l’assuré ne peut être opposé à la caisse de sécurité sociale qu’autant que celle-ci a été invitée à y participer par lettre recommandée et ne devient définitif que quinze jours après l’envoi de cette lettre “. Aux termes de l’article L. 376-4 du même code : ” La caisse de sécurité sociale de l’assuré est informée du règlement amiable intervenu entre l’assuré et le tiers responsable ou l’assureur. / L’assureur ou le tiers responsable ayant conclu un règlement amiable sans respecter l’obligation mentionnée au premier alinéa ne peuvent opposer à la caisse la prescription de leur créance. Ils versent à la caisse, outre les sommes obtenues par celle-ci au titre du recours subrogatoire prévu à l’article L. 376-1, une pénalité qui est fonction du montant de ces sommes et de la gravité du manquement à l’obligation d’information, dans la limite de 50 % du remboursement obtenu. / Le deuxième alinéa du présent article est également applicable à l’assureur du tiers responsable ou au tiers responsable lorsqu’ils ne respectent pas l’obligation d’information de la caisse prévue au septième alinéa de l’article L. 376-1. Une seule pénalité est due à raison du même sinistre. (…) “.

3. S’il est loisible aux personnes publiques de conclure une transaction pour mettre un terme à une procédure mettant en cause leur responsabilité, les tiers à ce contrat ne peuvent se prévaloir d’un droit à indemnisation résultant de sa signature. Les dispositions précitées du code de la sécurité sociale, qui régissent le recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale, n’ont ni pour objet ni pour effet de déroger à cette règle et de permettre à ces caisses, dans l’exercice de ce recours à l’encontre d’une personne publique, d’invoquer un droit à indemnisation tiré des termes du règlement amiable conclu entre cette personne publique et un de leurs assurés ou ses ayants droit lorsqu’elles ne sont pas parties à ce règlement. La reconnaissance d’un tel droit, qui pourrait au demeurant contrevenir au principe suivant lequel les personnes morales de droit public ne peuvent être condamnées à payer une somme qu’elles ne doivent pas, ne résulte d’aucune autre disposition législative. Il appartient dès lors au juge, lorsqu’il est saisi d’un recours subrogatoire par une caisse de sécurité sociale, de se prononcer au vu de l’instruction, sur l’existence d’une faute de la collectivité publique ou de tout autre fait de nature à justifier la prise en charge du dommage ainsi que d’un lien de causalité direct et certain avec les débours exposés.

4. La CPAM du Puy-de-Dôme n’est, par suite, pas fondée à soutenir que la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, aurait commis une erreur de droit en ne prenant pas en compte, pour apprécier son droit à indemnisation, l’existence du protocole transactionnel conclu entre la commune et la mère de la victime.

5. En second lieu, toutefois, si, en vertu de l’article R. 611-1 du code de justice administrative, le premier mémoire de chaque défendeur est communiqué aux parties, la méconnaissance de cette obligation n’est pas de nature à affecter le respect du caractère contradictoire de la procédure à l’égard de la partie qui a produit ce mémoire. C’est par suite au prix d’une erreur de droit que, pour annuler comme irrégulier le jugement qui lui était soumis avant de statuer par la voie de l’évocation, la cour s’est fondée sur le moyen, soulevé par la commune de Clermont-Ferrand, tiré de ce que son propre mémoire en défense n’avait pas été communiqué aux parties par le tribunal administratif.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les moyens relatifs à la faute reprochée à la commune, que la CPAM du Puy-de-Dôme est fondée à demander l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon qu’elle attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Clermont-Ferrand la somme de 3 000 euros à verser à la caisse primaire d’assurance maladie du Puy-de-Dôme au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions du même article font en revanche obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la CPAM du Puy-de-Dôme qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

 

D É C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 1er juin 2021 est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Lyon
Article 3 : La commune de Clermont-Ferrand versera à la CPAM du Puy-de-Dôme une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Clermont-Ferrand au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la caisse primaire d’assurance maladie du Puy de-Dôme et à la commune de Clermont-Ferrand.


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Avocat droit public,
Avocat transaction,
CE 22 mars 2024,
L2197-5 du code de la commande publique,
n°455107,
Transaction comme preuve de responsabilité,
Transaction et droit de la preuve,
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