CE 2 décembre 2019, Groupement de coopération sanitaire du Nord-Ouest Touraine, req.n°423936
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat apporte d’utiles précisions sur l’étendue du droit à indemnisation d’un candidat évincé lorsque le marché est tacitement reconductible. Cette affaire est l’occasion de rappeler les règles d’indemnisation pour les marchés à durée ferme et pour les marchés à tacite reconduction.
Lorsqu’un candidat à l’attribution d’un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l’irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat.
En l’absence de toute chance, il n’a droit à aucune indemnité.
Si le juge considère que le candidat n’était pas dépourvu de toute chance, il a droit en principe au remboursement des frais qu’il a engagés pour présenter son offre.
Si le juge considère que le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d’emporter le contrat conclu avec un autre concurrent alors il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre (CE 14 octobre 2019, Sté les Téléskis de la Croix Fry, n°418317, CE 18 juin 2003, Groupement d’entreprises solidaires ETPO Guadeloupe et autres, n°249630).
Hypothèses
|
Droit à indemnisation
|
Montant de l’indemnisation |
Aucune chance de remporter le contrat
|
Non
|
0 € |
Non dépourvu de chance de remporter le contrat sans toutefois prouver la chance sérieuse d’être déclaré attributaire
|
Oui |
Uniquement les frais de présentation de la candidature et de l’offre
|
Chances sérieuses |
Oui |
Manque à gagner : bénéfice net sur la durée certaine du contrat incluant les frais de présentation de la candidature et de l’offre
|
Cela étant, certaines situations pourrait venir diminuer le montant de l’indemnisation due voir l’exclure totalement. Ainsi par exemple, comme il le fait en matière de résiliation irrégulière ou d’annulation d’un contrat, le juge pourrait tenir compte, pour l’indemnisation du manque du bénéfice que le requérant a, le cas échéant, tiré de la réalisation, en qualité de titulaire ou de sous-traitant d’un nouveau marché passé par le pouvoir adjudicateur, de tout ou partie des prestations qui lui avaient été confiées par le marché résilié ou annulé (V. en ce sens CE 6 octobre 2017, Société Cegelec Perpignan, n° 395268, CE 10 février 2017, Société Bancel, n°393720).
Lorsque le marché est tacitement reconductible, le Conseil d’Etat considère que l’indemnisation est limitée à la durée d’exécution certaine. En d’autres termes, dans le cas où le marché est susceptible de faire l’objet d’une ou de plusieurs reconductions si le pouvoir adjudicateur ne s’y oppose pas, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu’en tant qu’il porte sur la période d’exécution initiale du contrat, autrement dit, la durée ferme et non sur les périodes de ultérieures qui ne peuvent résulter que d’éventuelles reconductions.
En revanche, il paraît utile de rappeler que le recours indemnitaire fait partie des recours de plein contentieux ou le juge doit apprécier une situation à la date à laquelle il statue. Si à cette date, le requérant apporte la preuve que le marché dont il a été irrégulièrement évincé a bien été reconduit alors le manque à gagner doit être calculé non seulement sur la période d’exécution initiale du contrat, autrement dit, la durée ferme mais également sur les périodes reconduites. Le requérant pourra d’ailleurs réclamer les factures réglées par l’acheteur public pendant les périodes de reconduction pour démontrer son préjudice certain sur la période considérée.
CE 2 décembre 2019, Groupement de coopération sanitaire du Nord-Ouest Touraine, req.n°423936
Considérant ce qui suit :
Lorsqu’un candidat à l’attribution d’un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l’irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l’absence de toute chance, il n’a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu’il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d’emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre, lesquels n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique. En revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d’intérêt général.
Lorsqu’il est saisi par une entreprise qui a droit à l’indemnisation de son manque à gagner du fait de son éviction irrégulière à l’attribution d’un marché, il appartient au juge d’apprécier dans quelle mesure ce préjudice présente un caractère certain. Dans le cas où le marché est susceptible de faire l’objet d’une ou de plusieurs reconductions si le pouvoir adjudicateur ne s’y oppose pas, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu’en tant qu’il porte sur la période d’exécution initiale du contrat, et non sur les périodes ultérieures qui ne peuvent résulter que d’éventuelles reconductions.
D E C I D E :
Article 1er : L’article 2 de l’arrêt du 6 juillet 2018 de la cour administrative d’appel de Nantes est annulé en tant qu’il fait droit aux conclusions de la requête d’appel de la société Valeurs Culinaires tendant à l’indemnisation de son manque à gagner pour une durée supérieure à douze mois.
Article 2 : Les conclusions de la requête d’appel de la société Valeurs Culinaires tendant à l’indemnisation de son manque à gagner pour une durée supérieure à douze mois sont rejetées. Le montant de la condamnation du groupement de coopération sanitaire du Nord-Ouest Touraine est ramené à la somme de 66 666,66 euros
Article 3 : La société Valeurs Culinaires versera au groupement de coopération sanitaire du Nord-Ouest Touraine la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.