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Publié le 21 Juin 2024

Marchés à tranches : une application à géométrie variable des critères d’attribution

TA Amiens ord., 19 avril 2024, Société Arecia, n° 2401015

Ce qu’il faut retenir :

Aucun texte ne s’oppose à ce que l’acheteur n’applique ses critères de choix des offres, y compris celui du prix, à la seule tranche ferme d’un marché à tranches. Les caractéristiques des tranches doivent le justifier. Le cas échéant, l’acheteur a l’obligation de l’indiquer dans les documents de la consultation.

Enseignement n°1 : Les critères de choix des offres peuvent n’être appliqués qu’à la seule tranche ferme

L’article R2152-7 du code de la commande publique prévoit que pour attribuer le marché, l’acheteur se fonde soit sur le critère unique du prix ou du coût, soit sur une pluralité de critères non discriminatoires incluant le critère du prix ou celui du coût. Dans sa fiche relative aux marchés à tranches conditionnelles (désormais tranches optionnelles), la Direction des affaires juridiques prescrivait sous l’empire de l’état antérieur du droit que l’analyse d’un marché à tranche devait être globale : « le pouvoir adjudicateur doit tenir compte de l’ensemble des tranches ». Le code de la commande publique entrée en vigueur en 2019 n’a pas pris le contrepied de cette position.

Cependant, dans une ordonnance du 19 avril 2024, le Tribunal administratif a apporté une nuance drastique en jugeant qu’aucun texte ne s’oppose par principe à ce que les critères d’attribution, y compris relatif aux prix des prestations, soient appliqués à la seule tranche ferme.

Il précise cependant que cela doit être justifié par les caractéristiques des tranches optionnelles, considérées au regard de l’ensemble des prestations du marché. Cette formulation large ne permet pas de définir avec certitudes les cas dans lesquels l’analyse peut valablement ne porter que sur la seule tranche ferme. Elle inclut sans doute et à tout le moins l’hypothèse où les tranches ne sont pas définies de manière subséquente mais alternative, lorsque le scenario d’affermissement implique nécessairement l’abandon d’une ou plusieurs tranches.

Enseignement n°2 : Le principe de transparence oblige l’acheteur à en faire mention dans les documents de la consultation

À plusieurs reprises, le Conseil d’État a réaffirmé les implications du principe de transparence concernant les règles de notation des offres. Il a en particulier rappelé que l’autorité adjudicatrice avait l’obligation d’informer les candidats quant aux critères mis en œuvre, à leur pondération ou leur hiérarchisation, ainsi que les sous-critères qui eu égard à leur nature ou à leur portée s’analysent eux-mêmes comme des critères. Il n’est pas tenu en revanche d’informer les candidats quant à la méthode de notation retenue (CE 1er avril 2022, Sté Eiffage, n° 458793). Mais il doit également les informer sur les « conditions de mise en œuvre » des critères d’attribution lorsqu’il retient d’autres critères que celui du prix (CE, sect., 30 janvier 2009, Agence nationale pour l’emploi, n° 290236).

Dans son ordonnance du 19 avril, le TA d’Amiens estime que le choix de n’appliquer les critères d’attribution qu’à la seule tranche ferme doit être porté à la connaissance des candidats dans les documents de la consultation. Faute de quoi, l’acheteur qui restreindrait l’application de ses critères au périmètre de la seule tranche ferme manquerait à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, et pourrait ainsi voir sa procédure annulée en tout ou partie. Le TA justifie cette position en soulignant que la définition de ce périmètre « relève des conditions de mise en œuvre des critères ».

Ce faisant cette affirmation générale étend y compris au critère prix la jurisprudence du Conseil d’État relative à la publicité des conditions de mise en œuvre des critères de jugement. Au demeurant, le cas d’espèce lui-même donnait à juger la question de la mise en œuvre du critère prix. Cependant l’information des entreprises semble ici cardinale tant le choix du périmètre de notation peut influencer, directement, la présentation des offres, ainsi que le relève le TA lui-même.

 


TA Amiens ord., 19 avril 2024, 2401015

 

Considérant ce qui suit :

1. Le groupement hospitalier public du sud de l’Oise (GHPSO) a engagé le 8 décembre 2023 une consultation en vue de l’attribution d’un marché de prestations de services de sécurité des biens et des personnes des hôpitaux de Creil, de Senlis et de l’Institut de formation aux soins infirmiers de Creil. Par un courrier du 7 mars 2024, la société Arecia a été informée du rejet de son offre, classée en cinquième position, et de l’attribution du marché à la société Capital Sécurité. La société Arecia demande, dans le denier état de ses écritures, au juge des référés, statuant sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, d’annuler la procédure de passation de ce marché.

2. D’une part, aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative : ” Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix () “. Il appartient au juge du référé précontractuel de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte, en avantageant une entreprise concurrente.

3. D’autre part, aux termes de l’article R. 2113-4 du code de la commande publique : ” Les acheteurs peuvent passer un marché comportant une tranche ferme et une ou plusieurs tranches optionnelles. Le marché définit la consistance, le prix ou ses modalités de détermination et les modalités d’exécution des prestations de chaque tranche. “. Aux termes de l’article R. 2152-11 du même code : ” Les critères d’attribution ainsi que les modalités de leur mise en œuvre sont indiqués dans les documents de la consultation “.

4. Pour assurer le respect des principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, le pouvoir adjudicateur a l’obligation d’indiquer dans les documents de consultation les critères d’attribution du marché et leurs conditions de mise en œuvre, mais n’est en revanche pas tenu d’informer les candidats de la méthode de notation des offres. Dans le cas d’un marché à tranches, si aucun texte ne s’oppose par principe à ce que ces critères, y compris celui relatif au prix des prestations, puissent n’être appliqués qu’à sa seule tranche ferme lorsque les caractéristiques des tranches conditionnelles au regard de l’ensemble des prestations du marché le justifie, cette circonstance, qui relève des conditions de mise en œuvre des critères de jugement des offres, doit, lorsque telle est l’intention du pouvoir adjudicateur, être indiquée dans les documents de la consultation.

5. Il résulte de l’instruction qu’aucune mention du règlement de la consultation n’indiquait expressément que le jugement des offres, dont le critère relatif au prix des prestations, ne porterait que sur les prestations de la seule tranche ferme du marché, alors que celui-ci prévoyait également trois tranches conditionnelles, d’un montant d’ailleurs sensiblement équivalent à celui de la tranche ferme, ainsi qu’il a été indiqué par le pouvoir adjudicateur à l’audience. Au surplus, certaines mentions des documents de la consultation étaient, par leur ambiguïté, de nature à induire les candidats en erreur sur ce point, alors que l’article 3.2 du règlement mentionnait que le détail quantitatif estimatif devant être établi en vue du jugement des prestations des seules tranches conditionnelles “pourra servir lors de l’analyse” des offres, tandis que l’en-tête du cadre de ce document, produit à l’audience, indiquait qu’il “servira () pour [cette] analyse”. Dans ces conditions, en communiquant de telles informations aux candidats puis en ne tenant compte, ainsi qu’il l’a fait aux termes du rapport d’analyse des offres, que du montant résultant de la décomposition du prix global et forfaitaire du marché qui n’était applicable qu’à sa seule tranche ferme, et partant, en ne procédant au jugement des offres que sur le seul fondement du prix de cette tranche à l’exclusion des autres, le pouvoir adjudicateur a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

6. S’il résulte de l’instruction que la société requérante a quasiment obtenu la note maximale en ce qui concerne l’application du critère relatif au prix des prestations, soit une note de 39, 46 sur 40, il n’est pas établi qu’en cas d’application de ce critère à l’ensemble des prestations du marché et non à la seule tranche ferme, le classement des offres des autres candidats n’aurait pas été dégradé. Au demeurant, une information erronée des candidats sur les conditions de mise en œuvre des critères de jugement des offres est susceptible d’exercer une influence sur la présentation de ces dernières. Ainsi, la société requérante est fondée à soutenir que le manquement relevé ci-dessus est susceptible de l’avoir lésée.

7. Il appartient au juge des référés précontractuels de donner leur exacte portée aux conséquences des manquements qu’il relève. Au cas d’espèce, il y a lieu, pour le motif relevé ci-dessus et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs présentés par la société requérante qui concernent le même stade de la procédure de passation du contrat ou des stades ultérieurs, de prononcer son annulation à compter de la publication de l’avis d’appel public à la concurrence et d’enjoindre au GHPSO, s’il entend poursuivre cette procédure, de la reprendre à compter de cette publication.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du GHPSO une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais exposés par la société Arecia et non compris dans les dépens. Il y a également lieu de rejeter les conclusions présentées par le GHPSO et la société Capital Sécurité sur ce dernier fondement.

O R D O N N E :

Article 1er : La procédure de passation du marché de prestations de services de sécurité des biens et des personnes des hôpitaux de Creil, de Senlis et de l’Institut de formation aux soins infirmiers de Creil engagée par le GHPSO est annulée à compter de la publication de l’avis d’appel public à la concurrence.
Article 2 : Il est enjoint au GHPSO, sauf s’il entend renoncer à passer le marché, de reprendre la procédure de passation du contrat à compter de cette publication.
Article 3 : Le GHPSO versera une somme de 1 500 euros à la société Arecia sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le GHPSO et la société Capital Sécurité sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Arecia, au groupe hospitalier public du sud de l’Oise (GHPSO) et à la société Capital Sécurité.


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Table des matières
Application critères jugement tranche ferme,
Critères de choix des offres,
Marché public tranches fermes,
Marchés à tranches,
n° 2401015,
R2152-7 du code de la commande publique,
Société Arecia,
TA Amiens ord.,
Transparence des critères d’attribution,
Tribunal administratif Amiens 2024,
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