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Publié le 17 Oct 2016

La non application d’une clause de tacite reconduction d’un contrat de la commande publique ne peut donner lieu à indemnisation

Avocat Marchés Publics

Conseil d’Etat, 17 octobre 2016, Commune de Villeneuve-le-Roi, n°398131

Statuant sur une concession permettant d’exploiter une activité sur le marché d’une commune, le Conseil d’Etat rappelle le principe d’illégalité des clauses de reconduction tacite dans les contrats de la commande publique et sanctionne une clause indemnisant le cocontractant lorsque l’administration n’applique pas la clause de tacite reconduction. Il fait par ailleurs application du principe d’interdiction de contracter sur l’exercice du pouvoir de décision unilatérale à une clause prévoyant les modalités de révision de différents droits de nature fiscale.

Règle n°1 : La reconduction tacite d’un contrat de la commande publique est illégale

Le Conseil d’Etat rappelle ici le principe selon lequel les clauses de reconduction tacite d’un contrat de la commande publique sont illégales. Cette règle a été affirmée par la Haute juridiction administrative à plusieurs reprises, notamment dans l’arrêt du 29 novembre 2000, Commune de Païta, n°205143. Dans ce dernier arrêt relatif à un marché public, il a en effet été jugé qu’une clause de tacite reconduction est nulle et que le contrat né de l’application de cette clause l’est également, en se fondant sur le fait que la passation des contrats de la commande publique doit être précédée d’une mise en concurrence ; or, la tacite reconduction faisant naître un nouveau contrat, celui-ci a donc été passé en violation des obligations de mise en concurrence (de même pour une délégation de service public, voir CE, 23 mai 2011, Département de la Guyane, n°314715). En l’espèce, il s’agissait d’une concession de marchés d’une durée de trente ans, qui prévoyait qu’à l’issue de cette durée le traité de concession serait tacitement reconduit par période de dix ans, sauf résiliation par l’une des parties un an avant sa date d’expiration. Le Tribunal administratif de Melun a jugé que cette clause était illégale et le Conseil d’Etat lui a donné raison sur ce point.

Règle n°2 : La non application d’une clause de tacite reconduction ne peut donner lieu à indemnisation

Dans le cas d’espèce, le traité de concession prévoyait par ailleurs que si sa résiliation à l’issue de la durée de trente ans intervenait du fait de la commune, les concessionnaires auraient droit à une indemnité. Le Tribunal administratif a jugé que cette clause indemnitaire était détachable de la clause de tacite reconduction et était légale, dès lors que l’indemnité prévue n’était pas manifestement disproportionnée au regard du préjudice subi du fait du non renouvellement du contrat. Le Conseil d’Etat censure ce raisonnement en retenant que, dès lors que cette clause indemnitaire avait pour objet d’indemniser la reconduction tacite du contrat, elle ne pouvait être détachée de la clause de reconduction tacite. Par ailleurs, statuant au fond, le Conseil d’Etat juge que les clauses de reconduction tacite dans un contrat de la commande publique étant illégales, aucun préjudice et donc, aucun droit à indemnité ne peut naître, pour le cocontractant de l’administration, d’une absence de reconduction tacite. En conséquence, il estime qu’une telle clause d’indemnisation est illégale et que cette illégalité doit être relevée d’office par le juge.

Règle n°3 : L’administration ne peut définir par voie contractuelle les modalités de révision de droits qui constituent des recettes fiscales

Le traité de concession prévoyait encore une clause déterminant les modalités de révision des droits de place perçus dans les halles, foires et marchés, des droits de matériels, des droits de déchargement et des droits de resserre. Or, le juge relève que ces droits présentent le caractère d’une recette fiscale de la commune, en application des dispositions du décret du 17 mai 1809 et de celles de l’article L.2331-3 du CGCT, d’une part, et que seul le Conseil municipal est compétent pour arrêter les modalités de révision de droits de nature fiscale, en application du second alinéa de l’article L.2224-18 et du premier alinéa de l’article L.2121-9 du CGCT, d’autre part. En conséquence, le tribunal administratif retient que la clause fixant de manière impérative les modalités de révision de droits de nature fiscale, relevant de la seule compétence du Conseil municipal, est illégale. Cette position est validée par le Conseil d’Etat. Le juge administratif fait ainsi application du principe selon lequel l’administration ne peut contracter sur l’exercice du pouvoir de décision unilatérale.

Conseil d’État
N° 398131
ECLI:FR:CECHR:2016:398131.20161017
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
7ème – 2ème chambres réunies
Frédéric Dieu, rapporteur
Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP MONOD, COLIN, STOCLET ; LE PRADO, avocats

lecture du lundi 17 octobre 2016

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Saisi d’une question préjudicielle par une ordonnance du 8 septembre 2014 du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Créteil, le tribunal administratif de Melun, par un jugement n° 1504226 du 2 mars 2016, a déclaré illégal, d’une part, l’alinéa 2 de l’article 9 de l’avenant du 2 avril 1976 à la convention conclue entre la commune de Villeneuve-le-Roi et Mme B…et ayant pour objet l’exploitation des marchés de la commune, d’autre part, l’article 5 de l’avenant du 4 juin 1992 à la même convention en tant qu’il s’applique aux droits de place prévus à l’article 3 de l’avenant du 4 juin 1992 et aux droits de déchargement des véhicules, également prévus à cet article, et a rejeté les conclusions de la commune de Villeneuve-le-Roi tendant à ce que soit déclaré illégal l’alinéa 3 de l’article 9 de l’avenant du 2 avril 1976.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 mars et 20 avril 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Villeneuve-le-Roi demande au Conseil d’Etat :

  1. d’annuler ce jugement en tant qu’il a refusé de déclarer illégal l’alinéa 3 de l’article 9 de l’avenant du 2 avril 1976 ;
  2. réglant l’affaire au fond, de faire droit à sa demande sur ce point ;
  3. de mettre à la charge de MM. C…la somme de 6 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

  • le code général des collectivités territoriales ;
  • le code général des impôts ;
  • l’article 136 du décret du 17 mai 1809 ;
  • le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

  • le rapport de M. Frédéric Dieu, maître des requêtes,
  • les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de la commune de Villeneuve-le-Roi et à Me Le Prado, avocat de M. E… C…, de M. A…C…et de M. D…C…;

  1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. E…C…, M. A…C…et M. D…C…, exerçant leur activité commerciale sous l’enseigne ” Les Fils de Madame B…”, ont saisi le tribunal de grande instance de Créteil d’une demande tendant, d’une part, à l’indemnisation du préjudice qu’ils estiment avoir subi du fait de la méconnaissance par la commune de Villeneuve-le-Roi de la clause de révision des droits de place prévue par 1’article 5 de 1’avenant du 4 juin 1992 à la convention relative au fonctionnement des halles et marchés de la commune de Villeneuve-le-Roi conclue le 9 décembre 1957 avec MmeB…, et, d’autre part, au paiement de l’indemnité prévue à l’article 9 de l’avenant du 2 avril 1976 à la même convention en cas de résiliation de la convention du fait de la ville au terme de la trentième année d’exploitation ; que par une ordonnance du 8 septembre 2014, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Créteil a renvoyé les parties devant la juridiction administrative afin qu’elle se prononce sur la légalité de l’article 5 de l’avenant du 4 juin 1992 et de l’article 9 de l’avenant du 2 avril 1976 ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a, d’une part, déclaré illégales les stipulations du deuxième alinéa de l’article 9 de l’avenant du 2 avril 1976 prévoyant la tacite reconduction du contrat ainsi que celles de l’article 5 de l’avenant du 4 juin 1992 relatif à la révision des droits de place et, d’autre part, rejeté les conclusions de la commune de Villeneuve-le-Roi tendant à ce que soient déclarées illégales les stipulations du troisième alinéa de l’article 9 de l’avenant du 2 avril 1976 qui prévoient le versement d’une indemnité en cas de résiliation de la convention du fait de la ville ; que la commune de Villeneuve-le-Roi demande l’annulation du jugement du tribunal administratif de Melun en tant qu’il a rejeté ces dernières conclusions ; que, par la voie du pourvoi incident, MM. C…demandent l’annulation de ce jugement en tant qu’il a déclaré illégal l’article 5 de l’avenant du 4 juin 1992 prévoyant la révision des droits de place ;

Sur le jugement attaqué en tant qu’il a déclaré illégal l’article 5 de l’avenant du 4 juin 1992 :

  1. Considérant qu’il résulte tant des dispositions du décret du 17 mai 1809 relatif aux octrois municipaux et de bienfaisance, applicable aux droits de places perçus dans les halles et marchés, que de celles de l’article L. 2331-3 du code général des collectivités territoriales, que le produit des droits de place perçus dans les halles, foires et marchés présente le caractère d’une recette fiscale de la commune ; qu’il résulte par ailleurs du second alinéa de l’article L. 2224-18 et du premier alinéa de l’article L. 2121-9 du code général des collectivités territoriales que seul le conseil municipal est compétent pour arrêter des modalités de révision de droits de nature fiscale tels que les droits de place perçus dans les halles, foires et marchés ou que la taxe d’enlèvement des ordures ménagères et la taxe de balayage, également énumérées à l’article L. 2331-3 du code général des collectivités territoriales et régies par les articles 1379, 1520 à 1523 et 1528 du code général des impôts ; que ces modalités de révision ne peuvent résulter des stipulations impératives d’un contrat passé par la commune ;
  1. Considérant qu’aux termes de l’article 5 de l’avenant du 4 juin 1992 : ” Dans le but d’actualiser l’ancienne formule de variation, en référencer les nouvelles bases et en harmoniser les paramètres en fonction des conditions réelles d’exploitation, les dispositions de l’article 8 de l’avenant du 2 avril 1976 sont annulées et remplacées par les suivantes : / Le tarif journalier des perceptions prévu à l’article 3 du présent avenant et les redevances déterminées à l’article 3 ci-dessus, dans la même proportion et à la même date, seront révisés au moins une fois chaque année, et subiront la même évolution que la formule de variation ci-dessous sans toutefois en cas de baisse, revenir à des tarif et redevance inférieurs à ceux préfixés, sauf accord contraire entre les parties sur ce point particulier. En cas de refus par la ville d’appliquer la clause ci-dessous, les parties s’engagent à se rencontrer pour élaborer de concert l’avenant de réactualisation du tarif et de la redevance prévus à la convention initiale et ses avenants successifs. / ( ….) ” ; que les perceptions visées à l’article 3 de l’avenant du 4 juin 1992 sont les droits de place, les droits de matériel, les droits de déchargement et les droits de resserre ;
  1. Considérant que par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, le tribunal administratif de Melun a estimé que les stipulations de l’article 5 de l’avenant du 4 juin 1992 fixaient de manière impérative les modalités de révision des droits de place, de matériel, de déchargement des véhicules et de resserre prévus par l’article 3 de ce même avenant ; qu’il résulte de ce qui a été dit au point 2 que le tribunal a pu légalement en déduire que ces stipulations étaient illégales en tant qu’elles s’appliquent à des droits dont la définition relève de la seule compétence du conseil municipal, sans que la commune puisse s’engager par contrat en cette matière ; que, par suite, le pourvoi incident de MM. C…doit être rejeté ;

Sur le jugement attaqué en tant qu’il a déclaré légal l’alinéa 3 de l’article 9 de l’avenant du 2 avril 1976 :

  1. Considérant qu’aux termes de l’article 9 de l’avenant du 2 avril 1976 : ” Le traité de concession aura une durée de trente ans commençant à courir au jour de la mise en service du nouveau marché. / Il se renouvellera ensuite par tacite reconduction par période de dix ans, sauf dénonciation par l’une ou l’autre des parties envoyée un an avant son expiration normale. / Si la résiliation intervenait du fait de la ville, à l’expiration de la 30ème année de l’exploitation, il serait dû aux concessionnaires une indemnité égale au quart des annuités versées, majorée à compter de la 16ème année d’exploitation d’un intérêt calculé au taux de 6 % selon la méthode à intérêts composés ” ;
  1. Considérant qu’après avoir jugé illégale la clause de tacite reconduction prévue au deuxième alinéa de l’article 9 de l’avenant du 2 avril 1976, le tribunal administratif a retenu que la clause indemnitaire prévue au troisième alinéa du même article, dont il a souverainement estimé, sans la dénaturer, qu’elle avait pour objet de réparer le préjudice subi par le concessionnaire à raison de l’absence de renouvellement du contrat au terme de la durée initiale de trente ans prévue à l’alinéa 1 du même article, était divisible de la clause de tacite reconduction et était légale dès lors que l’indemnité dont elle prévoyait le versement au cocontractant n’était pas manifestement disproportionnée au regard du préjudice causé aux consorts C…par le non-renouvellement du contrat ; qu’en jugeant ainsi que la clause indemnitaire prévue à l’alinéa 3 du même article était divisible de la clause de tacite reconduction prévue à l’alinéa 2 du même article, le tribunal a dénaturé ces stipulations contractuelles dès lors qu’il a lui-même relevé, ainsi qu’il vient d’être dit, que l’objet de cette clause indemnitaire était de réparer le préjudice subi par le concessionnaire à raison de l’opposition de la commune à la reconduction tacite du contrat ;
  1. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la commune de Villeneuve-le-Roi est fondée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander l’annulation de l’article 3 du jugement attaqué qui a rejeté ses conclusions tendant à ce que soit déclaré illégal le troisième alinéa de l’article 9 de l’avenant du 2 avril 1976 ;
  1. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
  1. Considérant que les clauses de tacite reconduction contenues dans des contrats de la commande publique étant illégales, aucun préjudice, et donc aucun droit à indemnité, ne peut naître, pour le cocontractant de l’administration, de l’absence de reconduction tacite d’un contrat à l’issue de la durée initiale convenue par les parties ; qu’ainsi, l’illégalité de la clause de tacite reconduction contenue dans un contrat de la commande publique a pour conséquence l’illégalité de la clause prévoyant l’indemnisation du cocontractant de la personne publique à raison de la non reconduction tacite du contrat ; que l’illégalité d’une telle clause indemnitaire dépourvue de fondement légal doit être relevée d’office par le juge ;
  1. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la clause indemnitaire prévue à l’alinéa 3 de l’article 9 de l’avenant du 2 avril 1976, prévoyant l’indemnisation du concessionnaire en cas de refus de la part de la commune de Villeneuve-le-Roi de laisser le contrat être tacitement reconduit et se poursuivre au-delà de sa durée légale, et donc à raison de son refus d’appliquer une clause de tacite reconduction, est entachée d’illégalité ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

  1. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de la commune de Villeneuve-le-Roi, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes que demandent MM. C…au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de ces derniers une somme de 3000 euros à verser à la commune de Villeneuve-le-Roi ;

D E C I D E :
Article 1er : Le pourvoi incident de MM. C…est rejeté.
Article 2 : L’article 3 du jugement du tribunal administratif de Melun du 2 mars 2016 est annulé.
Article 3 : Il est déclaré que l’alinéa 3 de l’article 9 de l’avenant du 2 avril 1976 à la convention conclue entre la commune de Villeneuve-le-Roi et MmeB…, relative au fonctionnement des marchés de la commune, est entaché d’illégalité.
Article 4 : MM. C…verseront une somme de 3 000 euros à la commune de Villeneuve-le-Roi au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par MM. C…au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la commune de Villeneuve-le-Roi, à M. E… C…, à M. A…C…et à M. D…C….


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