CJUE 5 octobre 2017, LitspecMet UAB, Aff. C-567/15
Cette affaire donne l’occasion de préciser la notion de pouvoir adjudicateur mais également de rappeler les limites de l’exception “in house”
Un tribunal lituanien a saisi la CJUE d’une question préjudicielle afin de déterminer si une société commerciale, VRLD, filiale à 100% de la société nationale des chemins de fer lituaniens qui est un pouvoir adjudicateur et réalisant près 90% de son chiffre d’affaires avec sa maison mère, est elle-même un « organisme public » pouvoir adjudicateur au sens du point 9 de l’article 1er de la directive 2004/18/CE(1).
Eu égard à la circonstance de l’espèce, la CJUE, dans son arrêt du 5 octobre 2017(2), relève que la seule question à analyser porte sur le point de savoir si la filiale constitue ou non un « organisme créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial », au sens de l’article 1er, paragraphe 9, deuxième alinéa, sous a), de la directive 2004/18/CE.
Or, dans le cas d’espèce, la décision de renvoi fait ressortir que la filiale a été créée après la restructuration de la société des chemins de fer lituaniens et tant la fondation de la filiale que son activité sont toujours consacrées à satisfaire les besoins de sa fondatrice, à savoir des besoins d’intérêt général. L’activité de la filiale, notamment la production et l’entretien de locomotives et de voitures ainsi que la fourniture de ces produits et de ces services à la société des chemins de fers lituaniens, apparaît nécessaire pour que cette dernière puisse exercer son activité destinée à satisfaire les besoins d’intérêt général.
Par conséquent, une société qui, d’une part, est détenue entièrement par un pouvoir adjudicateur dont l’activité est de satisfaire des besoins d’intérêt général et qui, d’autre part, réalise tant des opérations pour ce pouvoir adjudicateur que des opérations sur le marché concurrentiel doit être qualifiée d’« organisme de droit public », pour autant que les activités de cette société sont nécessaires pour que ledit pouvoir adjudicateur puisse exercer son activité et que, afin de satisfaire des besoins d’intérêt général, ladite société se laisse guider par des considérations autres qu’économiques. Est dépourvu d’incidence, à cet égard, le fait que la valeur des opérations internes puisse dans l’avenir représenter moins de 90 %, ou une partie non essentielle, du chiffre d’affaires global de la société.
L’exception dite « in house » « est justifiée par la considération qu’une autorité publique, qui est un pouvoir adjudicateur, a la possibilité d’accomplir les tâches d’intérêt public qui lui incombent par ses propres moyens, administratifs, techniques et autres, sans être obligée de faire appel à des entités externes n’appartenant pas à ses services, et que cette exception peut être étendue aux situations dans lesquelles le cocontractant est une entité juridiquement distincte du pouvoir adjudicateur, lorsque ce dernier exerce sur l’attributaire un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services et que cette entité réalise l’essentiel de son activité avec le ou les pouvoirs adjudicateurs qui la détiennent […]. Dans de tels cas, il peut être considéré que le pouvoir adjudicateur a recours à ses propres moyens ».
Le pouvoir adjudicateur conclut un marché non pas avec une autre entité, mais en réalité avec lui-même, compte tenu de son lien avec l’entité formellement distincte. Il s’agit à proprement parler non pas d’une attribution d’un marché, mais simplement d’une commande ou d’une mission, que l’autre « partie » n’est pas en droit de refuser, quelle que soit la forme que l’une ou l’autre prend.
Il est donc logique, dans le cadre strict établi par la jurisprudence de la Cour, de soustraire les relations économiques entre un pouvoir adjudicateur et une entité qui lui est subordonnée aux procédures formelles encadrant les marchés publics régies par les directives, lorsque cette entité agit en tant que simple instrument au service du pouvoir adjudicateur et qu’elle est soumise au même contrôle que celui qu’il exerce sur ses (autres) services.
L’arrêt commenté a le mérite de rappeler que lorsque l’entité subordonnée a besoin d’acquérir des biens, des services ou des fournitures à des tiers, voire de réaliser des travaux, elle est tenue de respecter les règles de publicité et de mise en concurrence. Cette solution est logique mais elle méritait d’être rappelée par la Cour pour éviter de contourner facilement l’application de la réglementation.