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Publié le 10 Jan 2024

Obligation de mise en concurrence des titre domaniaux nécessaire à l’exercice d’une activité économique

Dans son arrêt du 2 décembre 2022 Société Paris Tennis, n°455033, le Conseil d’Etat pose l’obligation de publicité et de mise en concurrence pour la délivrance des titres d’occupation du domaine public nécessaires à l’exercice d’une activité économique dès lors que leur nombre est limité. Dans son arrêt du 2 décembre 2022 Commune de Biarritz, n°460100, le Conseil d’Etat ne pose en revanche aucune obligation identique pour la délivrance des titres d’occupation du domaine privé.

L’obligation de mise en concurrence des titres d’occupation du domaine privé qui conditionnent à l’exercice d’une activité économique

Dans un arrêt du 3 décembre 2010, Jean Bouin, n°33827, le Conseil d’Etat avait considéré qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n’imposaient à une personne publique d’organiser une procédure de publicité préalable à la délivrance d’une autorisation ou à la passation d’un contrat d’occupation d’une dépendance du domaine public, ayant pour objet l’occupation d’une telle dépendance même lorsque l’occupant est un opérateur sur un marché concurrentiel.

Dans son arrêt du 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl, aff. C-458/14, la Cour de justice de l’Union européenne a rappelé le principe selon lequel l’autorisation d’occupation du domaine géré par une personne publique dès lors qu’elle conditionne l’exercice d’une activité à des fins commerciales doit être considérée comme une autorisation au sens de l’article 12 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen. Or, l’article 12 de cette directive prévoit que la délivrance d’une « autorisation » doit être précédée d’une procédure de sélection entre les candidats potentiels lorsque le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limité. Au sens de la directive, une autorisation est un acte délivré par une « autorité compétente » relatif à l’accès à une activité de service ou à son exercice. La Cour de justice de l’Union européenne soumet donc à des principes de transparence et de sélection préalable l’octroi de toute autorisation qui permet l’exercice d’une activité économique dans un secteur concurrentiel, sans opérer de distinction selon que cette activité s’exerce sur le domaine public ou sur le domaine privé des personnes publiques.

L’article L 2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques a transposé en droit interne cette exigence en prévoyant que lorsque le titre permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, l’autorité gestionnaire est tenue d’organiser une procédure de publicité et de mise en concurrence selon des modalités librement définies afin de permettre à tous les candidats potentiels de se manifester. Il va sans dire qu’une telle procédure doit respecter les principes d’égalité, de transparence et de liberté d’accès comme c’est le cas pour les procédures adaptées régies par les dispositions du code de la commande publique.

Dans son arrêt du 2 décembre 2022 Société Paris Tennis, n°455033, le Conseil d’Etat abandonne sa jurisprudence “Jean Bouin” sous la pression de la jurisprudence communautaire et pose désormais l’obligation d’une procédure de publicité et de mise en concurrence pour l’occupation du domaine public en vue d’une exploitation économique conformément aux dispositions de l’article L 2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques.

Ce qu’il faut retenir :
Dès lors que le titre requis permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, l’autorité gestionnaire doit organiser une procédure de publicité et de mise en concurrence selon des modalités librement définies. Cette procédure doit présenter toutes les garanties d’impartialité et de transparence pour permettre à tous les candidats potentiels de se manifester. Cette obligation ne s’impose néanmoins que si le nombre d’autorisations est limité. Si tel n’est pas le cas, alors l’autorité gestionnaire doit simplement procéder à une publicité préalable de nature à informer les candidats potentiels sur les conditions générales d’attribution.

Le critère déterminant à retenir est de savoir si le titre est nécessaire ou pas pour permettre à son titulaire d’exercer une activité économique sur le domaine public.

L’obligation de mise en concurrence des titres d’occupation du domaine privé nécessaire à l’exercice d’une activité économique

Dans son arrêt du 2 décembre 2022 Commune de Biarritz, n°460100, le Conseil d’Etat ne pose aucune obligation de publicité et de mise en concurrence pour la délivrance des titres d’occupation du domaine privé d’une personne publique. Le Conseil d’Etat considère en effet qu’un titre relatif au domaine privé ne constitue pas en soit une autorisation au sens de de l’article 12 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen.

Le Conseil d’État considère qu’il ne résulte ni des termes de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, ni de la jurisprudence de la Cour de justice que des obligations de publicité et mise en concurrence s’appliqueraient aux personnes publiques préalablement à la conclusion de baux portant sur des biens appartenant à leur domaine privé, qui ne constituent pas une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice au sens du 6) de l’article 4 de cette directive.

Pour le Conseil d’Etat, l’accès à l’activité hôtelière ou son exercice n’est pas subordonné à la conclusion de ce bail de sorte qu’il ne s’agit pas d’une autorisation au sens de la 2006/123/CE du 12 décembre 2006 imposant des obligations de publicité et mise en concurrence préalables.

Autrement dit, c’est l’impossibilité d’exercer une activité économique sans accéder au domaine qui crée le régime d’autorisation, et donc l’obligation de de publicité et mise en concurrence préalable. En revanche, si l’accès au domaine privé conditionne l’exercice d’une activité économique, alors une procédure de publicité et de mise en concurrence préalable paraît s’imposer.

Ce qu’il faut retenir :

Les titres domaniaux portant sur le domaine privé dont la délivrance ne conditionne pas, en droit ou en fait, l’accès à une activité de services ne peuvent pas être considérés comme une autorisation au sens de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 et l’autorité gestionnaire n’est de ce fait, pas tenue d’organiser une procédure de publicité et de mise en concurrence selon des modalités librement définies préalablement à leur délivrance.

En revanche, les titres domaniaux portant sur le domaine privé dont la délivrance conditionne, en droit ou en fait, l’accès à une activité économique doivent être considérés comme une autorisation au sens de la directive 2006/123/CE et l’autorité gestionnaire est tenue d’organiser une procédure de publicité et de mise en concurrence selon des modalités librement définies préalablement à leur délivrance.

Dans ce cas, l’entreprise ne peut pas exercer son activité ailleurs que sur le domaine. 

CE 2 décembre 2022, Société Paris Tennis, n°455033

Considérant ce qui suit :

  1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le Sénat a conclu, le 12 janvier 2016, un contrat en vue de l’exploitation des six courts de tennis situés dans le jardin du Luxembourg par la Ligue de Paris de Tennis pour une durée de quinze ans. Par un jugement du 16 mai 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société Paris Tennis tendant à l’annulation de cette convention. Par un arrêt du 10 juillet 2019, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel formé par la société Paris Tennis contre ce jugement. Après que le Conseil d’Etat a annulé cet arrêt par une décision du 10 juillet 2020, la cour administrative d’appel de Paris a de nouveau rejeté cet appel par l’arrêt attaqué du 27 mai 2021.

Sur le pourvoi :

  1. D’une part, indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l’Etat dans le département et les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l’appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif ne peut ainsi, à l’appui d’un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.
  1. Saisi ainsi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l’auteur du recours autre que le représentant de l’Etat dans le département ou qu’un membre de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d’un intérêt susceptible d’être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu’il critique sont de celles qu’il peut utilement invoquer, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier l’importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s’il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu’il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l’indemnisation du préjudice découlant de l’atteinte à des droits lésés.
  1. D’autre part, un tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l’exécution du contrat, est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat. Les tiers ne peuvent utilement soulever, à l’appui de leurs conclusions tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat, que des moyens tirés de ce que la personne publique contractante était tenue de mettre fin à son exécution du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours, de ce que le contrat est entaché d’irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d’office ou encore de ce que la poursuite de l’exécution du contrat est manifestement contraire à l’intérêt général. A cet égard, les requérants peuvent se prévaloir d’inexécutions d’obligations contractuelles qui, par leur gravité, compromettent manifestement l’intérêt général. En revanche, ils ne peuvent se prévaloir d’aucune autre irrégularité, notamment pas celles tenant aux conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise. En outre, les moyens soulevés doivent, sauf lorsqu’ils le sont par le représentant de l’Etat dans le département ou par les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, être en rapport direct avec l’intérêt lésé dont le tiers requérant se prévaut. Si la méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence peut, le cas échéant, être utilement invoquée à l’appui d’un référé précontractuel d’un concurrent évincé ou du recours d’un tiers contestant devant le juge du contrat la validité d’un contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles, cette méconnaissance n’est en revanche pas susceptible, en l’absence de circonstances particulières, d’entacher un contrat d’un vice d’une gravité de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d’office.
  1. La cour administrative d’appel de Paris a jugé que le vice tiré de l’absence de procédure de mise en concurrence avant la signature de la convention en litige invoqué par la société Paris Tennis, à le supposer établi, ne constituait pas un vice d’une particulière gravité que le juge devrait relever d’office, pour en déduire qu’il ne faisait pas obstacle à la poursuite de son exécution et rejeter les conclusions dont elle était saisie. En statuant ainsi, alors qu’elle était saisie d’un recours, mentionné aux points 2 et 3, d’un tiers contestant la validité du contrat et non d’un recours, mentionné au point 4, tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat, et qu’il lui incombait dès lors de rechercher si ce vice ne justifiait pas qu’elle prononçât la résiliation du contrat conformément aux principes mentionnés au point 3, la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit qui justifie l’annulation de son arrêt sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi.
  1. Aux termes du second alinéa de l’article L. 821-2 du code de justice administrative : ” Lorsque l’affaire fait l’objet d’un second pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat statue définitivement sur cette affaire “. Le Conseil d’Etat étant saisi, en l’espèce, d’un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l’affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée.

Sur l’appel de la société Paris Tennis :

S’agissant de l’exception d’incompétence et de la fin de non-recevoir soulevées par le Sénat :

  1. En premier lieu, aux termes de l’article 8 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, dans sa rédaction issue de l’article 60 de la loi du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine : ” L’Etat est responsable des dommages de toute nature causés par les services des assemblées parlementaires. / Les actions en responsabilité sont portées devant les juridictions compétentes pour en connaître. / (…) La juridiction administrative est également compétente pour se prononcer sur les litiges individuels en matière de marchés publics (…) “.
  1. Si l’article 60 de la loi du 1er août 2003 n’a explicitement mentionné, au titre des litiges en matière de contrats sur lesquels la juridiction administrative est compétente pour se prononcer, que les litiges relatifs aux marchés publics, il résulte des travaux parlementaires que l’intention du législateur a été de rendre compatibles les dispositions de l’ordonnance avec les exigences de publicité et de mise en concurrence découlant notamment du droit de l’Union européenne. Elles ne sauraient donc être interprétées comme excluant que le juge administratif puisse connaître de recours en contestation de la validité de contrats susceptibles d’être soumis à des obligations de publicité et de mise en concurrence.
  1. En second lieu, aux termes de l’article R. 412-2 du code de justice administrative : ” Lorsque les parties joignent des pièces à l’appui de leurs requêtes et mémoires, elles en établissent simultanément un inventaire détaillé. (…) “. Aux termes des dispositions de l’article R. 414-5 du même code, le requérant ” (…) est également dispensé de transmettre l’inventaire détaillé des pièces lorsqu’il utilise le téléservice mentionné à l’article R. 414-2 ou recourt à la génération automatique de l’inventaire permise par l’application mentionnée à l’article R. 414-1. / (…) “.
  1. Il résulte des dispositions de l’article R. 412-2 du code de justice administrative qu’elles ne sont pas applicables lorsqu’une seule pièce est jointe à la requête, pas davantage, par suite, que les prescriptions régissant cet inventaire détaillé, rappelées au point 9, lorsque la requête est transmise par l’application Télérecours. Le Sénat n’est donc pas fondé à soutenir que la requête de la société Paris Tennis, à laquelle était seulement jointe la copie du jugement attaqué, serait irrecevable faute de comporter un inventaire détaillé des pièces répondant à ces obligations.

S’agissant des conclusions contestant la validité du contrat :

  1. Il résulte de l’instruction que le Sénat, affectataire du palais du Luxembourg, de l’hôtel du Petit Luxembourg, de leurs jardins et de leurs dépendances historiques, en application de l’article 2 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, a conclu avec la Ligue de Paris de Tennis un contrat ayant pour objet d’autoriser celle-ci à occuper temporairement une partie de ces dépendances domaniales afin d’y exploiter six courts de tennis, ainsi que des locaux d’accueil, des vestiaires et des sanitaires.
  1. Le vice tiré de ce que de ce que ce contrat aurait été conclu sans procédure de sélection ouverte préalable est en rapport direct avec l’intérêt lésé dont se prévaut la société Paris Tennis, qui a fait connaître son intérêt pour la gestion des courts de tennis en cause avant le terme du titre précédemment accordé à la Ligue de Paris de Tennis.
  1. Ainsi qu’il a été jugé dans la décision du 10 juillet 2020 par laquelle le Conseil d’Etat statuant au contentieux a annulé le premier arrêt de la cour administrative d’appel de Paris, d’une part, aucune des stipulations de la convention ne permet de caractériser l’existence d’une mission de service public que le Sénat aurait entendu déléguer à cet organisme. D’autre part, si un certain nombre d’obligations pesaient sur le cocontractant, en termes notamment d’horaires et de travaux d’entretien, le Sénat ne s’est réservé aucun droit de contrôle sur la gestion même de l’activité sportive de la Ligue de Paris de Tennis. Ce contrat doit donc être regardé comme un contrat d’occupation du domaine public et non comme une concession de service public soumise, de ce fait, à des obligations de publicité et de mise en concurrence.
  1. Toutefois, aux termes de l’article 4 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, dont le délai de transposition expirait le 28 décembre 2009 : ” Aux fins de la présente directive, on entend par : / 1) “service”, toute activité économique non salariée, exercée normalement contre rémunération, visée à l’article 50 du traité ; / (…) 6) ” régime d’autorisation “, toute procédure qui a pour effet d’obliger un prestataire ou un destinataire à faire une démarche auprès d’une autorité compétente en vue d’obtenir un acte formel ou une décision implicite relative à l’accès à une activité de service ou à son exercice ; / (…) 9) ” autorité compétente “, tout organe ou toute instance ayant, dans un Etat membre, un rôle de contrôle ou de réglementation des activités de service (…) “. Aux termes du 2 de son article 2 : ” La présente directive ne s’applique pas aux activités suivantes : / a) les services d’intérêt général non économiques (…) “. Selon le 1 de son article 12 : ” Lorsque le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables, les Etats membres appliquent une procédure de sélection entre les candidats potentiels qui prévoit toutes les garanties d’impartialité et de transparence, notamment la publicité adéquate de l’ouverture de la procédure, de son déroulement et de sa clôture “. Ces dispositions, relatives à la liberté d’établissement des prestataires, sont susceptibles de s’appliquer aux autorisations d’occupation du domaine public, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne par son arrêt du 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl (C-458/14 et C-67/15). Par ailleurs, tout justiciable peut se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive, lorsque l’Etat n’as pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transpositions nécessaires.
  1. En premier lieu, d’une part, la convention litigieuse a pour objet, ainsi qu’il ressort des stipulations de son article 1er, de permettre l’exploitation de courts de tennis, laquelle constitue une activité de services au sens de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 et non, contrairement à ce que soutient le Sénat, un service d’intérêt général non économique qui ne relèverait pas de son champ d’application en vertu du a) du paragraphe 2 de son article 2. D’autre part, en autorisant l’occupation d’une partie du jardin du Luxembourg, qui appartient au domaine public, le Sénat doit être regardé comme exerçant un rôle de contrôle ou de réglementation, et donc comme constituant une autorité compétente au sens de cette directive. Le titre d’occupation en litige, qui constitue un acte formel relatif à l’accès à une activité de service ou à son exercice, délivré à la suite d’une démarche auprès d’une autorité compétente, constitue donc une autorisation au sens de la même directive.
  1. En deuxième lieu, l’autorisation d’occuper les six courts de tennis en litige doit être regardée comme étant disponible en nombre limité, pour l’application des dispositions de l’article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, dès lors que les biens qui en font l’objet, eu égard à leur localisation, à la faible disponibilité des installations comparables à Paris, en particulier au centre de cette ville, ainsi qu’à leur notoriété, sont faiblement substituables pour un prestataire offrant un service de location de courts de tennis et d’enseignement de ce sport dans la région parisienne.
  1. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient le Sénat, la spécificité de la Ligue de Paris de Tennis, en tant que délégataire de la Fédération française de tennis, n’implique pas qu’elle constitue le seul attributaire possible de ce titre d’occupation du domaine public et, par suite, que l’organisation d’une procédure de sélection s’avère impossible ou injustifiée. Son argumentaire selon lequel une raison impérieuse d’intérêt général y ferait également obstacle ne peut également qu’être écarté.
  1. Il résulte de ce qui a été dit aux points 15 à 17 que le contrat autorisant l’occupation d’une partie des dépendances domaniales du Sénat pour y exploiter six courts de tennis entrait dans les prévisions de l’article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 et devait, par suite, faire l’objet d’une procédure de sélection préalable comportant toutes les garanties d’impartialité et de transparence. Tel n’a pas été le cas en l’espèce, dès lors qu’il est constant que l’attribution du contrat litigieux n’a fait l’objet d’aucune mise en concurrence.
  1. La méconnaissance de l’obligation d’organiser une procédure de sélection préalable à l’attribution du contrat en litige, qui n’affecte ni le consentement de la personne publique ni la licéité du contenu de la convention, ne justifie pas, en l’absence de circonstances particulières, l’annulation de celui-ci. En revanche, cette méconnaissance fait obstacle à la poursuite de son exécution. Ce contrat doit, par suite, être résilié. Compte tenu des conséquences de la résiliation du contrat pour son bénéficiaire, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de la différer jusqu’au 1er mars 2023.
  1. Il résulte de ce qui précède que la société Paris Tennis est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
  1. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Paris Tennis au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions du même article font obstacle à ce qu’il soit fait droit à celles que présente le Sénat sur son fondement.

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt du 27 mai 2021 de la cour administrative d’appel de Paris et le jugement du 16 mai 2017 du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : La convention, conclue le 12 janvier 2016, par laquelle le Sénat a confié l’exploitation des six courts de tennis situés dans le jardin du Luxembourg à la Ligue de Paris de Tennis, est résiliée à compter du 1er mars 2023.
Article 3 : L’Etat versera à la société Paris Tennis la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées par le Sénat sur le même fondement sont rejetées.

 

CE 2 décembre 2022, Commune de Biarritz n°460100

Considérant ce qui suit :

  1. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que l’hôtel du Palais, situé à Biarritz, a été acquis par cette commune en 1956. Aux termes de deux baux commerciaux portant respectivement sur les murs et sur le fonds de commerce, elle en a confié l’exploitation d’abord à la société Sobadex puis, à compter de l’année 1961, à la société d’économie mixte Socomix, dont elle possédait, jusqu’au 15 octobre 2018, 68 % des actions. Par une délibération du 30 juillet 2018, le conseil municipal de Biarritz a autorisé le maire de la commune à signer avec la société Socomix un bail emphytéotique d’une durée de soixante-quinze ans portant sur les murs et dépendances de l’hôtel du Palais. Par quatre délibérations du 15 octobre 2018, le conseil municipal a également approuvé le traité d’apport du fonds de commerce de l’hôtel du Palais à la société Socomix, approuvé l’entrée au capital de cette société de la société DF collection, approuvé le pacte d’actionnaires devant être conclu entre la société Socomix, la société DF collection et sa société mère, la société JC Decaux, et approuvé la modification des statuts de la société Socomix. Par un jugement du 5 juillet 2019, le tribunal administratif a rejeté les demandes de Mme A… et de M. E…, conseillers municipaux de Biarritz, tendant à l’annulation de ces délibérations. M. D… se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 2 novembre 2021 de la cour administrative de Bordeaux en tant qu’il a rejeté ses conclusions tendant à l’annulation de la délibération du 30 juillet 2018 approuvant la conclusion du bail emphytéotique.
  1. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales : ” Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal “. L’article L. 2121-13 du même code précise que : ” Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d’être informé des affaires de la commune qui font l’objet d’une délibération “. Cette obligation, qui doit être adaptée à la nature et à l’importance des affaires, doit permettre aux intéressés d’appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions. Elle n’impose pas de joindre à la convocation adressée aux intéressés une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises.
  1. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué, dont il n’est pas soutenu qu’elles seraient entachées de dénaturation sur ce point, d’une part, que la convocation à la séance du conseil municipal du 30 juillet 2018 était accompagnée de l’avis du service des domaines concernant le montant du loyer annuel correspondant à ce bail ainsi que d’une note explicative très détaillée, portant sur les éléments essentiels du bail concerné et, d’autre part, que l’ensemble des membres du conseil municipal avait été invité à participer à une réunion d’information qui s’est tenue le 18 juillet 2018, en présence des représentants de la société Socomix, et qui portait précisément sur le descriptif du programme de rénovation de l’hôtel, sur le financement envisagé de celui-ci, sur la présentation du contrat de gestion entre la Socomix et le groupe hôtelier pressenti pour participer à l’exploitation et sur la présentation du projet de bail emphytéotique. C’est par une appréciation souveraine, exempte de dénaturation, que la cour en a déduit que les conseillers municipaux avaient été suffisamment informés sur ce bail et sur les motifs pour lesquels sa signature devait intervenir préalablement aux autres éléments de l’opération.
  1. En deuxième lieu, aux termes de l’article 4 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, dont le délai de transposition s’achevait le 28 décembre 2009 : ” Aux fins de la présente directive, on entend par: / (…) 6) ” régime d’autorisation “, toute procédure qui a pour effet d’obliger un prestataire ou un destinataire à faire une démarche auprès d’une autorité compétente en vue d’obtenir un acte formel ou une décision implicite relative à l’accès à une activité de service ou à son exercice ; / (…) 9) ” autorité compétente “, tout organe ou toute instance ayant, dans un Etat membre, un rôle de contrôle ou de réglementation des activités de service (…) “. Et selon le 1 de son article 12 : ” Lorsque le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables, les États membres appliquent une procédure de sélection entre les candidats potentiels qui prévoit toutes les garanties d’impartialité et de transparence, notamment la publicité adéquate de l’ouverture de la procédure, de son déroulement et de sa clôture “.
  1. Aux termes de l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques, issu de l’article 3 de l’ordonnance du 19 avril 2017 : ” Sauf dispositions législatives contraires, lorsque le titre mentionné à l’article L. 2122-1 permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, l’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester. / Lorsque l’occupation ou l’utilisation autorisée est de courte durée ou que le nombre d’autorisations disponibles pour l’exercice de l’activité économique projetée n’est pas limité, l’autorité compétente n’est tenue que de procéder à une publicité préalable à la délivrance du titre, de nature à permettre la manifestation d’un intérêt pertinent et à informer les candidats potentiels sur les conditions générales d’attribution “.
  1. Tout justiciable peut se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive, lorsque l’Etat n’a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires. Si les dispositions de l’article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, transposées à l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques cité ci-dessus, impliquent des obligations de publicité et mise en concurrence préalablement à la délivrance d’autorisations d’occupation du domaine public permettant l’exercice d’une activité économique, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne par son arrêt du 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl (C-458/14 et C-67/15), il ne résulte ni des termes de cette directive ni de la jurisprudence de la Cour de justice que de telles obligations s’appliqueraient aux personnes publiques préalablement à la conclusion de baux portant sur des biens appartenant à leur domaine privé, qui ne constituent pas une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice au sens du 6) de l’article 4 de cette même directive. Il suit de là qu’en n’imposant pas d’obligations de publicité et mise en concurrence à cette catégorie d’actes, l’Etat ne saurait être regardé comme n’ayant pas pris les mesures de transposition nécessaires de l’article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006. Par suite, en écartant comme inopérant le moyen tiré de ce que la conclusion du bail en litige méconnaîtrait cette directive, la cour administrative d’appel de Bordeaux, qui n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce, n’a pas commis d’erreur de droit.
  1. En troisième lieu, la cour n’ayant relevé qu’à titre surabondant que le bail ne portait pas sur l’utilisation de ressources naturelles ou de capacités techniques rares, les moyens tirés de ce qu’en statuant ainsi, la cour aurait insuffisamment motivé son arrêt ou aurait inexactement qualifié les faits, sont inopérants.
  1. En dernier lieu, aux termes de l’article 49 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : ” (…) les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un État membre. / La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, et notamment de sociétés au sens de l’article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux “. En écartant le moyen tiré de ce que la conclusion du bail emphytéotique en litige méconnaitrait les stipulations de cet article au motif que ce bail ne porte, par lui-même, aucune atteinte à la liberté d’établissement sur le territoire de la commune de Biarritz, la cour n’a pas commis d’erreur de droit.
  1. Il résulte de ce qui précède que M. D… n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque.
  1. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Biarritz et de la SEM Socomix qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. D… une somme au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Le pourvoi de M. D… est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Biarritz et la SEM Socomix au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées


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Table des matières
Code général de la propriété des personnes publiques,
conseil d'état,
Directive européenne 2006/123/CE,
Domaine public,
Droit public français,
Jurisprudence,
Mise en concurrence des titre domaniaux,
Occupation économique,
Procédures de sélection,
Publicité et mise en concurrence,
Titres d'occupation,
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