Cass. soc., 20 avril. 2022, n° 20-12444
Cet arrêt est intéressant en ce qu’il permet de revenir sur l’obligation de reprise du personnel qui peut s’imposer à un pouvoir adjudicateur à l’expiration d’un marché qu’il s’agisse d’une décision de non reconduction , d’une résiliation ou tout simplement de l’échéance normale du contrat lorsque l’activité cédée peut être considérée comme une entité économique autonome. entité économique autonome.
L’article L. 1224-1 du Code du travail prévoit que lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise.
Selon une jurisprudence constante, l’article L. 1224-1 s’applique à tout transfert d’une entité économique conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise. Ainsi, l’application de cet article dépend du seul transfert d’une entité économique autonome qui conserve son identité et poursuit son activité, indépendamment des règles d’organisation, de fonctionnement et de gestion de cette entité (Cass.soc.27 mai 2009, n°08-40.393, CJUE 12 février 2009, Aff.C-466/07).
Dans cette hypothèse, l’article L. 1224-1 prévoit un transfert automatique des contrats de travail lorsque les contrats sont attachés à l’entité économique autonome transférée. Constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre. Le transfert d’une telle entité ne s’opère que si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l’exploitation de l’entité sont repris, directement ou indirectement, par un autre exploitant qui peut être selon les circonstances, le pouvoir adjudicateur lui-même.
En l’espèce, la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines qui était propriétaire d’un centre de vacances avait confié son exploitation à un prestataire privé via un contrat.
Dans cette affaire, la Cour de cassation considère que le centre de vacances peut être considéré comme une entité en état d’être exploitée comprenant les contrats de travail, les locaux et les moyens d’exploitation de sorte et que l’arrivée du terme du contrat ne remet pas en cause par lui même le caractère exploitable du center de vacances de sorte que le retour de l’entité économique entre les mains de son propriétaire, la Caisse en sa qualité de propriétaire, impose le transfert des contrats de travail, peu importe la volonté de cette dernière de vouloir céder à terme le centre de vacances ou de différer l’externalisation de son exploitation de plusieurs mois.
Partant, la Cour de cassation considère que le prestataire qui avait la charge de l’exploitation du centre de vacances qui a été contraint de procéder au licenciement des salariés attachés à l’activité transféré du fait du refus de la Caisse de reprendre les contrats de travail, dispose d’un recours en garantie contre celle-ci, dès lors que ce refus est illicite.
Cass. soc., 20 avril. 2022, n° 20-12444
Faits et procédure
Examen du moyen
Enoncé du moyen
« 1°/ que l’article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001, ne s’applique qu’en cas de transfert d’une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise ; que le transfert d’une telle entité se réalise si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l’exploitation de l’entité peuvent être repris, directement ou indirectement, par un nouvel exploitant ; que la non reconduction d’un marché par lequel une caisse de sécurité sociale spécifique avait confié la gestion d’un centre de vacances relevant du régime de sécurité sociale en question, en raison de la perte de sa compétence en la matière au profit d’un autre organisme par voie de décrets pris en application de l’ordonnance n° 45-2250 du 4 octobre 1945 n’entraîne pas la reprise d’exploitation de cette activité par la caisse ; qu’en retenant qu’il n’était pas démontré que le transfert de la gestion à l’Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM) de l’action sanitaire et sociale du régime minier, comprenant le transfert des compétences relatives à la politique des vacances, caractérisait une impossibilité de continuer l’exploitation du centre de vacances par la caisse, motif pris que le transfert des contrats de travail s’appliquait de plein droit quelle que soit la volonté des parties, en l’espèce celle de transférer la gestion de la politique des vacances, cependant que ce transfert ne résultait nullement de la volonté de la caisse mais, comme l’a admis la cour, des décrets 2012-434 du 30 mars 2012 et 2013-260 du 28 mars 2013, ce qui s’opposait en droit à ce que la caisse pût reprendre l’exploitation du centre de vacances, directement ou par l’intermédiaire d’un tiers, et caractérisait l’impossibilité de poursuivre l’exploitation du centre et partant le transfert des contrats de travail, la cour d’appel a violé l’article L. 1224-1 du code du travail, ensemble l’article 1382 devenu 1240 du code civil ;
2°/ qu’il incombe à celui qui invoque le bénéfice de l’article L. 1224-1 du code du travail d’établir que les conditions en sont remplies ; qu’en reprochant à la caisse de ne pas démontrer que le transfert de la gestion à l’ANGDM de l’action sanitaire et sociale du régime minier, comprenant le transfert des compétences relatives à la politique des vacances, caractérisait une impossibilité de continuer l’exploitation du centre de vacances par la Caisse ou que ce transfert s’opposait au caractère exploitable de cette entité autonome, cependant qu’il appartenait à la société qui invoquait le transfert de plein droit des contrats de travail des salariés affectés au centre de démontrer la possibilité de la poursuite de l’exploitation, la cour d’appel a violé le texte susvisé, ensemble l’article 1315 devenu 1353 du code civil ;
3°/ que le juge doit respecter l’objet du litige ; que pour dire que la résiliation de la convention de gestion du centre de vacances n’empêchait pas la continuation de son exploitation par la caisse, la cour d’appel a retenu qu’il n’était pas contesté que l’activité en cause avait été ultérieurement reprise par un établissement hôtelier ; qu’en statuant ainsi, quand la caisse contestait précisément, au contraire, que l’activité en cause, c’est-à-dire un centre de vacances organisé par les mines et au bénéfice des personnels miniers, avait été reprise, la cour d’appel, qui a méconnu l’objet du litige, a violé l’article 4 du code de procédure civile ;
4°/ que tenus de motiver leur décision, les juges du fond ne peuvent statuer par affirmation péremptoire ; que pour dire que la résiliation de la convention de gestion du centre de vacances n’empêchait pas la continuation de son exploitation par la caisse, la cour d’appel a retenu qu’il n’était pas contesté que l’activité en cause avait été ultérieurement reprise par un établissement hôtelier, lequel avait maintenu, selon les productions de la société, l’activité d’accueil et de logement de vacanciers dans l’établissement, ainsi que les prestations associées ; qu’en statuant ainsi, par simple affirmation péremptoire sans préciser quels éléments de preuve pouvaient fonder son appréciation, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
5°/ qu’en se fondant sur l’exploitation du Centre Latournerie par un établissement hôtelier à partir du mois d’octobre 2015 pour affirmer que la résiliation de la convention d’exploitation entre la caisse et la société n’avait pas empêché la poursuite de l’exploitation dudit centre, sans caractériser le degré de similarité et d’identité entre les deux exploitations successives, autre que la seule exploitation des locaux, de nature à démontrer la possibilité d’un transfert, cependant que l’activité initiale constituait une modalité de la gestion de la politique de vacances du régime minier, qui avait été retirée à la caisse à compter du 1er janvier 2014, ce qui constituait une identité spécifique dont il n’a pas été constaté qu’elle avait été conservée, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard de l’article L. 1224-1 du code du travail, ensemble l’article 1382 devenu 1240 du code civil ;
6°/ que le juge ne doit pas méconnaître la loi du contrat ; que l’article 4.2 du cahier des clauses particulières valant cahier des clauses administratives et techniques au sens de l’article 13 du code des marchés publics prévoyait que les obligations de gestionnaire consistaient notamment en la gestion du personnel employé sur le site « et toutes les conséquences financières qui y sont attachées : embauches, avancements, promotions, salaires, congés payés, indemnités de toutes sortes, y compris licenciements , etc. (…) » ; qu’il appartenait donc à la société de supporter les conséquences financières des licenciements du personnel employé sur le site ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 4.2 susvisé, ensemble l’article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 ;
7°/ que dans le cadre d’une substitution d’employeurs intervenue sans qu’il y ait de convention entre eux, le nouvel employeur n’est pas tenu, à l’égard des salariés dont les contrats de travail sont repris, des dettes et obligations nées antérieurement à cette substitution ; que le nouvel employeur ne peut donc être condamné à garantir l’ancien employeur des condamnations indemnitaires mises à sa charge au profit des salariés ; qu’à supposer que les conditions d’application de l’article L. 1224-1 du code du travail fussent remplies, en condamnant la caisse à garantir la société de « tous les coûts et conséquences des procédures judiciaires engagées par les salariés du centre de vacances », cependant qu’elle ne constatait aucune convention de transfert d’entreprise entre la caisse et la société , dont l’existence n’a d’ailleurs été invoquée par aucune partie, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles L. 1224-1 et L. 1224-2 du code du travail ;
8°/ que ce n’est qu’à l’égard des salariés dont les contrats de travail subsistent que le nouvel employeur est tenu en application de l’article L. 1224-2 du code du travail, aux obligations qui incombaient à l’ancien employeur à la date du transfert ; que le premier employeur qui est tenu de rembourser les sommes acquittées par le nouvel employeur dues à la date du transfert, ne peut en conséquence, sur le fondement de ce texte, solliciter la garantie du nouvel employeur au titre des condamnations indemnitaires mises à sa charge au profit des salariés ; qu’en condamnant la caisse à garantir la société de l’ensemble des éventuelles condamnations qui pourraient être prononcées à l’encontre de cette dernière, la cour d’appel a violé l’article L. 1224-2 du code du travail ;
9°/ que le nouvel employeur n’est pas garant à l’égard de l’ancien employeur des fautes commises par celui-ci avant la rupture du contrat de travail, si bien qu’en condamnant la caisse à garantir la société de tous les coûts et conséquences des procédures judiciaires engagées par vingt-et-un salariés du centre de vacances, la cour d’appel a violé l’article L. 1224-1 du code du travail, ensemble l’article 1147 du code civil, devenu l’article 1231-1. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
Bien-fondé du moyen
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi