CE 2 août 2023 communauté de communes de Rahin et Chérimont, n°472976,
Dans son arrêt du 2 août 2023 communauté de communes de Rahin et Chérimont, n°472976, le Conseil d’Etat rappelle (1) d’une part, l’absence d’obligation de pondération des éléments d’appréciations utilisés pour la notation des offres, (2) d’autre part, l’absence d’obligation de donner les notes obtenues pour chaque sous-critère de jugement des offres.
Pas d’obligation de pondération des éléments d’appréciation des offres
L’article R. 2152-11 du code de la commande publique rappelle que « Les critères d’attribution ainsi que les modalités de leur mise en œuvre sont indiqués dans les documents de la consultation ». La jurisprudence du Conseil d’Etat considère que l’acheteur a l’obligation de porter à la connaissance des candidats non seulement les critères de jugement des offres mais également leur pondération (obligatoire pour les procédures formalisées) ou leur hiérarchisation (pour les procédures adaptées). S’il décide, pour mettre en œuvre ces critères de jugement des offres, de faire usage de sous-critères également pondérés (obligatoire pour les procédures formalisées) ou hiérarchisés (pour les procédures adaptées), il doit alors porter à la connaissance des candidats leur pondération ou leur hiérarchisation dès lors que, eu égard à leur nature et à l’importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats et doivent, en conséquence, être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection.
En revanche, le Conseil d’Etat considère que l’acheteur n’est jamais tenu de pondérer les sous-sous-critère de jugement des offres ou les éléments d’appréciation des critères ou sous-critères qui sont utilisés pour noter les offres ou, selon l’expression du Conseil d’Etat qui sont rattachés au barème de notation des offres.
Ce qu’il faut retenir :
- Pour les procédures formalisées : obligation de pondérer les critères de jugement des offres pour les marchés publics ainsi que les sous-critères s’ils n’ont pas la même importance.
- Pour les procédures adaptées et les concessions de service public : obligation de hiérarchiser les critères de jugement des offres pour les marchés publics ainsi que les sous-critères s’ils n’ont pas la même importance.
- Aucune obligation de pondérer ou de hiérarchiser les sous-sous-critère de jugement des offres ou les éléments d’appréciation des critères ou sous-critères qui sont utilisés pour noter les offres
- Aucune obligation de publier la méthode de notation des offres avant la signature du contrat.
Pas d’obligation de donner les notes obtenues pour chaque sous-critère de jugement des offres
Le Conseil d’Etat considère également qu’en procédure adaptée, l’acheteur peut se contenter de communiquer aux candidats évincés : (1) le nom de l’attributaire, (2) le classement de son offre et celle de l’attributaire, (3) les notes attribuées pour chaque critère ainsi que celle de l’attributaire. En revanche, le Conseil d’Etat considère « inutile de communiquer le détail de la notation par sous-critères ». Il convient de rester prudent car le Conseil d’Etat prend soin de se placer dans le cadre d’une procédure adaptée.
Cela étant, la solution rendue est quelque peu étrange car le Conseil d’Etat vise les dispositions de l’article R2121-2 du CCP qui impose de communiquer les caractéristiques et avantages de l’offre retenue. Or, celles-ci ne peuvent pas ressortir de simples notes mathématiques mais doivent être accompagner d’explication littérales pour expliquer justement les « avantages » de l’offre retenue au regard de ses caractéristiques particulières.
La solution rendue n’est donc pas satisfaisante tant elle l’encontre de la jurisprudence antérieure du Conseil d’Etat (Voir en cela CE 7 novembre 2014, ValorAisne, n°384014, considérant n°7 sur l’obligation de fournir les notes obtenues pour chaque sous-critère) mais également de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE 7 septembre 2021 Klaipėdos regiono atliekų tvarkymo centras, Aff. C 927/19 :posant la règle selon laquelle lorsque le pouvoir adjudicateur attache à des critères ou sous-critères un poids spécifique manifestement pertinent pour la note globale d’une offre, la motivation du rejet de cette offre doit faire apparaître de manière précise et non équivoque le raisonnement ayant conduit à la note obtenue (points n°120 à n°124).
Elle n’est surtout pas compréhensible puisque si l’acheteur a bien fait son travail d’analyse, on comprend mal pourquoi le Conseil d’Etat réduit la portée de l’information des candidats évincés avant la signature du contrat.
CE 2 août 2023 communauté de communes de Rahin et Chérimont, n°472976,
Considérant ce qui suit :
- Il ressort des énonciations de l’ordonnance attaquée que la communauté de communes de Rahin et Chérimont a engagé la passation d’un marché public selon la procédure adaptée portant sur des travaux relatifs à la création de passerelles dans le cadre de travaux connexes à la réalisation d’une voie verte. La société de travaux publics et industriels, membre d’un groupement dont l’offre classée troisième a été rejetée, a demandé au juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Besançon de suspendre ou, à défaut, d’annuler la procédure de passation de ce marché. Par une ordonnance du 24 mars 2023 contre laquelle la communauté de communes de Rahin et Chérimont se pourvoit en cassation, la juge des référés du tribunal administratif de Besançon a annulé cette procédure et lui a enjoint de la reprendre au stade de l’analyse des offres.
- En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l’article L. 2152-7 du code de la commande publique : ” Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base d’un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution. Les modalités d’application du présent alinéa sont prévues par voie réglementaire “. Aux termes de l’article R. 2152-11 du même code : ” Les critères d’attribution ainsi que les modalités de leur mise en œuvre sont indiqués dans les documents de la consultation “.
- Il résulte des dispositions précitées que, pour assurer le respect des principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l’information appropriée des candidats sur les critères d’attribution d’un marché public est nécessaire dès l’engagement de la procédure d’attribution. Le pouvoir adjudicateur est ainsi tenu d’informer dans les documents de consultation les candidats des critères de sélection des offres ainsi que de leur pondération ou hiérarchisation. S’il décide, pour mettre en œuvre ces critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères également pondérés ou hiérarchisés, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l’importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats et doivent, en conséquence, être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. En revanche, il n’est pas tenu d’informer les candidats de la méthode de notation des offres lorsqu’il se borne à mettre en œuvre les critères annoncés.
- Il ressort des pièces du dossier soumis à la juge des référés que les candidats ont été informés de la pondération des onze sous-critères que le pouvoir adjudicateur a déterminés pour l’appréciation du critère de la valeur technique. Pour juger que la communauté de communes de Rahin et Chérimont avait méconnu le principe de transparence des procédures, la juge des référés a estimé qu’auraient dû également être portés à leur connaissance les éléments d’appréciation associés à un barème de notation que le pouvoir adjudicateur a utilisé pour évaluer trois de ces sous-critères, à savoir, d’une part, pour le sous-critère n° 1 ” organisation du chantier ” noté sur dix points, la présentation des intervenants et du chantier, notée sur deux points, la prise en compte des contraintes du site et leurs traitements, notée sur quatre points, la préparation du chantier, notée sur deux points, et le phasage général, noté sur deux points, d’autre part, pour le sous-critère n° 6 ” fiches techniques “, les fiches techniques notées sur un point et l’adéquation de ces dernières avec le cahier des clauses techniques particulières, notée sur quatre points, et, enfin, pour le sous-critère n° 8 ” planning ” noté sur dix points, le respect des délais d’exécution et l’adéquation avec le calendrier, notés sur cinq points chacun. En regardant ainsi comme des critères de sélection ce qui n’était, eu égard à leur objet et à leur pondération, que des éléments d’appréciation de ces trois sous-critères, insusceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats et relevant par conséquent de la méthode de notation des offres, la juge des référés du tribunal administratif de Besançon a inexactement qualifié les faits de l’espèce.
- En second lieu, l’ordonnance attaquée a annulé la procédure de mise en concurrence lancée par la communauté de communes de Rahin et Chérimont en se fondant également sur un second motif tiré de ce que cet acheteur n’a pas communiqué au groupement évincé le motif du rejet de sa candidature, en violation des dispositions de l’article R. 2181-2 du code de la commande publique, applicable aux marchés passés selon une procédure adaptée comme en l’espèce, aux termes desquelles : ” Tout candidat ou soumissionnaire dont la candidature ou l’offre a été rejetée peut obtenir les motifs de ce rejet dans un délai de quinze jours à compter de la réception de sa demande à l’acheteur. / Lorsque l’offre de ce soumissionnaire n’était ni inappropriée, ni irrégulière, ni inacceptable, l’acheteur lui communique en outre les caractéristiques et avantages de l’offre retenue ainsi que le nom de l’attributaire du marché “. Il ressort toutefois des pièces du dossier soumis à la juge des référés que, par deux courriers datés des 24 janvier et 2 février 2023, la communauté de communes de Rahin et Chérimont a informé le groupement évincé du nom de l’attributaire du marché, du classement de son offre et de celle de l’attributaire, des notes qui lui avaient été attribuées et de celles qu’avait reçues l’offre retenue, inférieure à la sienne pour le critère du prix mais supérieure pour le critère de la valeur technique au titre de laquelle la société attributaire a obtenu la note maximale, ce qui rendait au demeurant inutile de communiquer le détail de sa notation par sous-critères, et de ce que l’offre retenue était la mieux-disante au regard des critères du marché. Par suite, en jugeant que la communauté de communes avait méconnu les dispositions de l’article R. 2181-2 précitées du code de la commande publique faute d’avoir communiqué le rapport d’analyse des offres et les modalités d’application de la méthode de notation, la juge des référés a commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier.
- Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la communauté de communes de Rahin et Chérimont est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée du 24 mars 2023.
- Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société de travaux publics et industriels, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative. 8. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que le moyen tiré de l’irrégularité de l’information de la société de travaux publics et industriels sur les motifs du rejet de son offre ne peut qu’être écarté.
- En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la société de travaux publics et industriels n’est pas fondée à soutenir que la communauté de communes de Rahin et Chérimont aurait méconnu le principe de transparence des procédures, en omettant d’informer les candidats sur les modalités de mise en œuvre des critères de sélection des offres, lesquels étaient exprimés de façon suffisamment claire. Pour les mêmes motifs, elle n’est pas plus fondée à soutenir que les éléments d’appréciation des offres, dont aucun ne saurait être regardé comme un sous-critère, entacheraient d’irrégularité la méthode de notation retenue par l’acheteur.
- En troisième lieu, contrairement à ce que soutient la société requérante, qui se borne à produire un article de presse qui ne mentionne pas le nom de la société attributaire mais celui d’une autre société, il ne résulte pas de l’instruction que la communauté de communes de Rahin et Chérimont aurait désigné la société attributaire avant même l’analyse des offres des candidats. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’égalité de traitement des candidats ne peut qu’être écarté.
- En quatrième lieu, il n’appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d’un contrat, de se prononcer sur l’appréciation portée sur la valeur d’une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu’il est saisi d’un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n’a pas dénaturé le contenu d’une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l’attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d’égalité de traitement des candidats. Contrairement à ce qu’allègue la société de travaux publics et industriels, il ne résulte pas de l’instruction que la communauté de communes de Rahin et Chérimont aurait dénaturé le contenu de l’offre du groupement dont elle était membre.
- En cinquième lieu, aux termes de la première phrase du premier alinéa de l’article L. 1414-2 du code général des collectivités territoriales : ” Pour les marchés publics passés selon une procédure formalisée dont la valeur estimée hors taxe prise individuellement est égale ou supérieure aux seuils européens qui figurent en annexe du code de la commande publique, à l’exception des marchés publics passés par les établissements publics sociaux ou médico-sociaux, le titulaire est choisi par une commission d’appel d’offres composée conformément aux dispositions de l’article L. 1411-5 “. Il résulte de l’instruction que le marché en litige a été passé selon la procédure adaptée et non selon une procédure formalisée, et que le choix de la société attributaire a été effectué par le conseil communautaire de la communauté de communes de Rahin et Chérimont, qui n’était pas tenue de réunir une commission d’appel d’offres en application des dispositions précitées, lors de sa séance du 16 décembre 2022. Par suite, d’une part, la société requérante ne peut utilement soutenir que des irrégularités entacheraient la désignation, la convocation et l’information des membres de la commission d’appel d’offres, qui n’a pas été réunie. D’autre part, par sa délibération du 16 décembre 2022, le conseil communautaire a habilité son président à conclure le marché, contrairement à ce qu’allègue la société requérante.
- Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la demande présentée par la société de travaux publics et industriels devant la juge des référés du tribunal administratif de Besançon doit être rejetée.
- Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société de travaux publics et industriels la somme de 4 000 euros à verser à la communauté de communes de Rahin et Chérimont au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la communauté de communes de Rahin et Chérimont qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
Décide
Article 1er : L’ordonnance du 24 mars 2023 de la juge des référés du tribunal administratif de Besançon est annulée.