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Publié le 21 Juin 2024

Peut-on encore se référer aux CCAG de 2009 ?

TA Poitiers 18 avril 2024, Société Travaux publics Pays de la Loire, n°2200016

Ce qu’il faut retenir :

Le marché public peut toujours faire référence à une version abrogée d’un cahier des clauses administratives générales dès lors qu’il vise expressément cette version. Les travaux supplémentaires indispensables à l’exécution dans les règles de l’art sont ceux que l’entreprise ne pouvaient prévoir dès la signature du marché.

Enseignement n°1 : Le marché public peut se référer à une version abrogée d’un CCAG, sous réserve de visa exprès de cette version

L’article R2112-2 du code de la commande publique prévoit que « les clauses du marché peuvent être déterminées par référence à des documents généraux tels que : 1° Les cahiers des clauses administratives générales, qui fixent les stipulations de nature administrative applicables à une catégorie de marchés ; (…) approuvés par arrêté du ministre chargé de l’économie et des ministres intéressés ».

Dans un jugement du 18 avril 2024, le tribunal administratif de Poitiers a confirmé qu’il « est toujours loisible aux cocontractants d’un marché public de choisir d’appliquer une version antérieure du CCAG, sous réserve de le mentionner explicitement dans la liste des documents contractuels ».

En l’espèce, le marché se référait à la version initiale du CCAG-Travaux de 2009, partiellement abrogée et modifiée par un arrêté du 3 mars 2014. Cette position se transpose toutefois parfaitement à l’état du droit actuel, dans lequel certains acheteurs ne se réfèrent pas aux nouveaux CCAG de 2021, mais à leur version antérieure de 2009, notamment aux fins d’assurer la cohérence d’une opération de travaux en cours dont certains lots auraient été relancés. Bien que la Direction des affaires juridiques ait communiqué en précisant que les acheteurs publics « peuvent encore se référer aux versions 2009 jusqu’au 30 septembre 2021 », le principe de liberté contractuelle (CE, sect., 28 janvier 1998. Sté Borg-Warner, n°138650) et le caractère désormais facultatif des CCAG fondent la possibilité de continuer de s’y référer… sous réserve d’un visa explicite de la version utilisée !

Enseignement n°2 : Les travaux supplémentaires indispensables sont ceux que l’entreprise ne pouvait prévoir au moment de la signature

De jurisprudence constante, les travaux supplémentaires réalisés en dehors des prévisions du marché ne peuvent être rémunérés qu’à la condition d’avoir été prescrit par ordre de service, ou de présenter un caractère indispensable à la réalisation de l’ouvrage dans les règles de l’art (CE, 4 mars 1987, Association foncière de Monnaie-Crotelles et Cne de Monnaie, n°55491 ; CE, 27 mars 2020, Sté Géomat, n°426955). En l’espèce, la société de travaux réclamait la rémunération de prestations accessoires (amenée et repli de l’atelier pour le rechargement des accotements), non expressément prévues au bordereau des prix unitaires.

Si le tribunal reconnait le caractère nécessaire de ces prestations, il oppose cependant à la requérante que ledit B.P.U. du marché, dans son descriptif des prestations accessoires de la prestation principale en cause (exécution d’une couche d’assise de chaussée, accotement et terre-pleins), ne se présentait pas comme exhaustif : « ce prix comprend notamment » différents frais.

Il oppose également que « l’amenée et le repli du matériel sont des prestations de base nécessaires à l’exécution du contrat dans les règles de l’art, dont elle avait nécessairement connaissance au moment de la signature du contrat », et conclut en dernière analyse qu’il n’est pas en présence de travaux supplémentaires indispensables à la réalisation d’un ouvrage dans les règles de l’art.

 


TA Poitiers 18 avril 2024, Société Travaux publics Pays de la Loire, n°2200016

 

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 2200016 et 2300951 concernent la même requérante, présentent à juger les mêmes questions et ont fait l’objet d’une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement.

2. Par acte d’engagement du 12 août 2019, le département des Deux-Sèvres a attribué à la société TTPL un marché de travaux structurels sur routes départementales pour un montant de 1 655 996,50 euros HT, soit 1 987 195,80 euros TTC. Les travaux ont commencé le 7 octobre 2019, mais des difficultés ont eu lieu dans le déroulement des chantiers. Le 28 juin 2021, la société TTPL a déposé un projet de situation avec demande de paiement final faisant apparaitre des prestations complémentaires pour un montant total de 107 000 euros HT, soit 128 400 euros TTC. Par courrier du 30 juillet 2021, la société TTPL a notifié au maitre d’ouvrage et maitre d’œuvre son projet de décompte final. Par courrier du 16 août 2021, le département des Deux-Sèvres a rejeté la demande de paiement de prestations complémentaires. Par courrier du 26 octobre 2021, la société TTPL a mis en demeure le département des Deux-Sèvres de procéder au règlement du solde du marché à hauteur de 128 400 euros TTC. Cette demande a été rejetée le 25 novembre 2021. Par une ordonnance du 23 août 2022, le juge des référés a rejeté la demande de la société TPPL tendant au versement d’une provision. Le 15 septembre 2022, le département des Deux-Sèvres a notifié à la société requérante le décompte général. Par les présentes requêtes, la société TPPL demande au tribunal de condamner le département des Deux-Sèvres à lui verser la somme totale de 128 400 euros TTC au titre des surcoûts générés par les chantiers.

Sur la version du CCAG travaux applicable

3. D’une part, un arrêté du 3 mars 2014 a modifié certaines dispositions du CCAG travaux issue de l’arrêté du 8 septembre 2009. Cette nouvelle version du CCAG travaux est applicable aux marchés dont la procédure de passation a été engagée à compter du 1er avril 2014. Toutefois, il est toujours loisible aux cocontractants d’un marché public de choisir d’appliquer une version antérieure du CCAG, sous réserve de le mentionner explicitement dans la liste des documents contractuels.

4. D’autre part, il résulte de l’instruction, en particulier de l’article 5 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP), que le département des Deux-Sèvres a entendu se référer à la version du cahier des clauses administratives générales (CCAG) approuvé par arrêté du 8 septembre 2009 dans sa version initiale.

5. Par suite, la version du CCAG travaux applicable au marché en litige est celle issue de l’arrêté du 8 septembre 2009 dans sa version initiale.

Sur la détermination du solde du marché

6. D’une part, l’entrepreneur a le droit d’être indemnisé du coût des travaux supplémentaires réalisés sur ordre de service ou indispensables à la réalisation d’un ouvrage dans les règles de l’art. D’autre part, ne peuvent être regardées comme des sujétions techniques imprévues que des difficultés matérielles rencontrées lors de l’exécution d’un marché, présentant un caractère exceptionnel, imprévisibles lors de la conclusion du contrat et dont la cause est extérieure aux parties. S’agissant d’un marché à prix unitaires, leur indemnisation par le maître d’ouvrage n’est pas subordonnée à un bouleversement de l’économie du contrat.

7. La société requérante soutient qu’elle a droit au paiement d’une somme supplémentaire totale de 128 400 euros TTC. Elle fait tout d’abord valoir que le bordereau de prix unitaires ne prévoyait pas l’amenée et le repli de l’atelier pour le rechargement des accotements. Toutefois, il ressort des termes mêmes de ce bordereau que les prix 13 et 14 rémunèrent, à la tonne de grave calcaire ou de grave non traitée de type B, l’exécution d’une couche d’assise de chaussée, accotement et terre-pleins centraux, et que ce prix comprend notamment les frais de fourniture de stockage, le chargement et pesage des camions, le transport et déchargement sur la chaussée et le compactage et l’humidification. Ainsi, d’une part, cette liste n’est pas exhaustive, et d’autre part, l’amenée et le repli du matériel sont des prestations de base nécessaires à l’exécution du contrat dans les règles de l’art, dont elle avait nécessairement connaissance au moment de la signature du contrat.

8. Ensuite, la société TTPL fait valoir qu’elle a dû modifier à plusieurs reprises son planning d’intervention, pour tenir compte des exigences de l’agence technique territoriale (ATT) du Niortais concernant en particulier la RD 948. Il résulte de l’instruction que du fait de la forte circulation sur cette route départementale, le chef de l’ATT lui a demandé de ne pas débuter les travaux avant 9 heures le matin et de ne réaliser qu’une bande à la fois. En outre, la société TPPL fait valoir que son planning d’intervention a été affecté par les échanges avec l’ATT qui ont nécessité de produire de nouveaux plannings et par une météo précocement pluvieuse. Toutefois, il résulte de l’instruction que par ordres de service des 18 novembre 2019 et 10 décembre 2019, les délais d’exécution ont été prolongés, puis suspendus afin justement de tenir compte de la météo. Enfin, la société requérante fait valoir que du fait du décalage de chantier, les travaux ont été impactés par les mesures de confinement prises dans le cadre de l’épidémie de covid-19, sans toutefois produire aucun élément permettant de l’établir. Ainsi, par ces éléments, la requérante n’établit l’existence d’aucune faute du département des Deux-Sèvres dans la direction du chantier, alors au contraire qu’il résulte de l’instruction que la société est elle-même à l’origine de nombreuses défaillances. Il résulte d’un échange de mails du 11 octobre 2019 entre le chef de service des routes du département des Deux-Sèvres et le chef d’agence de la société TPPL que les griefs suivants relevés par le maitre d’ouvrage sont reconnus par le titulaire : ” horaires de fin de chantier non maitrisés ; travaux de nuit sans organisation adaptée ; retard sur l’engagement des chantiers suivants ; pannes de matériels ; délais importants entre chargement des enrobés et application ; présence de mottes d’enrobés refroidis ; non anticipation des devers de RD ; travaux à la main sur RD 744 “. Le chef d’agence de la société ajoute que ” notre préparation de chantier était ambitieuse mais imparfaite. De plus nous ne l’avons pas appliquée avec rigueur. () Nous ne manquons pas de moyens, il convient que nous les employons avec méthode “. Par ailleurs, il ressort d’un constat d’événement établi contradictoirement le 7 novembre 2019 que, le mardi 5 novembre 2019, la balayeuse de l’entreprise RTL a glissé dans le fossé en croisant un camion TPPL de rabotage et que cet arrêt a perturbé le fonctionnement de l’application car les purges n’étaient pas toutes balayées entrainant un retard dans les tâches prévues. Le constat fait également état de ce que le mardi 10 novembre 2019, la balayeuse remplaçante a eu une fuite hydraulique décalant une nouvelle fois le travail de l’équipe d’application et qu’un véhicule a percuté le cylindre de l’entreprise. Enfin, il résulte d’un échange de mails des 13 et 14 novembre 2019 entre le chef de l’agence technique territoriale Gâtine et le chef d’agence de la société TPPL qu’il a été constaté sur les chantiers une absence de matériel éclairant à la tombée de la nuit, ” ce qui signifie que les conditions de sécurité ne sont plus assurées à partir de 17h30 ” ainsi que ” des problèmes de signalisation déjà soulevés (pas de gyrophare, cônes de chantier qui ne sont plus rétroréfléchissants) “. Le chef d’agence de la société TPPL reconnait que ” la majorité des non conformités constatées trouvent leur origine dans le manque de personnel dû à l’absence d’intérimaires programmés à la signalisation par piquets K10 “.

9. Il résulte de ce qui précède que les difficultés matérielles rencontrées lors de l’exécution du marché à prix unitaire ne peuvent pas être qualifiées de sujétions imprévues. Il ne s’agit pas non plus de travaux supplémentaires non prévus au contrat et réalisés sur ordre de service ou indispensables à la réalisation d’un ouvrage dans les règles de l’art.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes de la société TPPL doivent être rejetées, y compris ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :
Article 1er : Les requêtes n°2200016 et 2300951 de la société Travaux publics Pays de la Loire sont rejetées.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société Travaux publics Pays de la Loire et au département des Deux-Sèvres.


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Table des matières
Avocat marché public,
CCAG de 2009,
CCAG de référence,
n°2200016,
R2112-2 du code de la commande publique,
Société Travaux publics Pays de la Loire,
Soumission volontaire à un CCAG,
TA Poitiers 18 avril 2024,
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