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Publié le 21 Mar 2024

Quid de la durée appropriée d’exclusion en cas de condamnation pour des faits de corruption ?

CE 16 février 2024, Dpt des Bouches-du-Rhône c. Sté Rénovation peinture, n°488524

Ce qu’il faut retenir :

Le Conseil d’État a déduit de la directive 2014/24/UE la durée appropriée d’exclusion des marchés publics lorsqu’une condamnation pour corruption est prononcée par un jugement non définitif. Cette durée est de 3 ans et court à compter de la condamnation, dans l’attente du jugement définitif ou de la preuve rapportée par l’entreprise de sa nouvelle probité.

Enseignement n°1 : L’acheteur ne peut exclure les entreprises condamnées pour corruption pendant une durée illimitée

L’article L2141-8 du code de la commande publique prévoit notamment que l’acheteur peut exclure du processus de passation du marché les personnes qui ont tenté d’influencer indument sur le processus décisionnel d’attribution d’un marché.

Sur cette base, le juge administratif décide que ces dispositions permettent à l’acheteur de prendre en comptes des comportements dans le cadre de procédures antérieures à celle du marché à attribuer. Précisément, d’autres procédures « récentes » (CE, 24 juin 2019, Département des Bouches-du-Rhône, n°428866).

Afin de limiter l’effet exclusif de ces dispositions, la règlementation prévoit deux garde-fous : premièrement, l’acheteur doit permettre à l’entreprise exclue de rapporter la preuve qu’elle a pris des mesures tendant à démontrer sa fiabilité ; secondement, il existe une durée maximale au-delà de laquelle les faits répréhensibles ne peuvent plus être pris en compte.

Enseignement n°2 : Lorsqu’une entreprise est condamnée par jugement non définitif, la durée maximale d’exclusion est de 3 ans à compter du jugement

La directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics a prévu que si cette durée maximale n’est pas fixée « par jugement définitif », alors elle ne peut dépasser cinq ans à compter de la date de la condamnation « par jugement définitif » et trois ans à compter de la date de l’événement concerné.

La difficulté tenant au cas, non expressément prévu, où un jugement de condamnation a été prononcé mais n’est pas encore devenu définitif.

Un délai de 3 ans à compter des faits pourrait être préjudiciable à l’acheteur qui n’a pu véritablement avoir connaissance du caractère délictueux des faits qu’après que le jugement a été prononcé.

Un délai de 5 ans à compter du jugement parait tout aussi dommageable dans la mesure où une nouvelle décision de justice pourrait contredire la première, et ainsi démontrer que l’entreprise a été injustement exclu de la commande publique pendant une durée relativement longue.

Dans un esprit de juste milieu, le Conseil d’État a dès lors décidé que lorsqu’une condamnation non définitive a été prononcée à raison de faits justifiant une exclusion des marchés, la durée maximale d’exclusion est de 3 ans, et cette durée court à compter de la condamnation de l’entreprise.

Cette entreprise conserve, pendant cette durée, la possibilité de rapporter la preuve qu’elle a pris des mesures de nature à démontrer sa fiabilité et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du marché n’est pas susceptible de porter atteinte à l’égalité de traitement des candidats.

 


Conseil d’État, Chambres réunies, 16 février 2024, 488524

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Marseille que la société Rénovation peinture a déposé une offre au titre du lot 2.04 portant sur les peintures et revêtements de sol dans le cadre de la procédure de passation d’un marché public engagée par un avis d’appel public à la concurrence publié le 24 mars 2023 par le département des Bouches-du-Rhône, en vue de la construction d’un collège à Châteauneuf-les-Martigues. Par une décision du 2 août 2023 notifiée le 11 août suivant, la présidente du conseil départemental l’a exclue de la procédure de passation sur le fondement des dispositions du 1° de l’article L. 2141-8 du code de la commande publique. Par une ordonnance du 7 septembre 2023, contre laquelle le département des Bouches-du-Rhône se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, saisi par la société Rénovation peinture, a annulé cette décision et enjoint au département d’examiner son offre, sous réserve que sa candidature ne soit pas irrecevable pour un autre motif que celui censuré.

2. Aux termes du paragraphe 4 de l’article 57 de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics : ” Les pouvoirs adjudicateurs peuvent exclure ou être obligés par les Etats membres à exclure tout opérateur économique de la participation à une procédure de passation de marché dans l’un des cas suivants : / (…) i) l’opérateur économique a entrepris d’influer indûment sur le processus décisionnel du pouvoir adjudicateur ou d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de lui donner un avantage indu lors de la procédure de passation de marché (…) “. Aux termes du paragraphe 7 du même article : ” Par disposition législative, réglementaire ou administrative et dans le respect du droit de l’Union, les Etats membres arrêtent les conditions d’application du présent article. Ils déterminent notamment la durée maximale de la période d’exclusion si aucune des mesures visées au paragraphe 6 n’a été prise par l’opérateur économique pour démontrer sa fiabilité. Lorsque la durée de la période d’exclusion n’a pas été fixée par jugement définitif, elle ne peut dépasser cinq ans à compter de la date de la condamnation par jugement définitif dans les cas visés au paragraphe 1 et trois ans à compter de la date de l’événement concerné dans les cas visés au paragraphe 4 “.

3. Aux termes de l’article L. 2141-8 du code de la commande publique : ” L’acheteur peut exclure de la procédure de passation d’un marché les personnes qui : / 1° Soit ont entrepris d’influer indûment sur le processus décisionnel de l’acheteur ou d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu lors de la procédure de passation du marché (…) “. Aux termes de l’article L. 2141-11 du même code : ” L’acheteur qui envisage d’exclure une personne en application de la présente section doit la mettre à même de fournir des preuves qu’elle a pris des mesures de nature à démontrer sa fiabilité et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du marché n’est pas susceptible de porter atteinte à l’égalité de traitement des candidats. / La personne établit notamment qu’elle a, le cas échéant, entrepris de verser une indemnité en réparation des manquements précédemment énoncés, qu’elle a clarifié totalement les faits et les circonstances en collaborant activement avec les autorités chargées de l’enquête et qu’elle a pris des mesures concrètes propres à régulariser sa situation et à prévenir toute nouvelle situation mentionnée aux articles L. 2141-7 à L. 2141-10. Ces mesures sont évaluées en tenant compte de la gravité et des circonstances particulières attachées à ces situations. / Si l’acheteur estime que ces preuves sont suffisantes, la personne concernée n’est pas exclue de la procédure de passation de marché “.

4. Les dispositions citées au point 3 permettent aux acheteurs d’exclure de la procédure de passation d’un marché public une personne qui peut être regardée, au vu d’éléments précis et circonstanciés, comme ayant, dans le cadre de la procédure de passation en cause ou dans le cadre d’autres procédures récentes de la commande publique, entrepris d’influencer la prise de décision de l’acheteur et qui n’a pas établi, en réponse à la demande que l’acheteur lui a adressée à cette fin, que son professionnalisme et sa fiabilité ne peuvent plus être mis en cause et que sa participation à la procédure n’est pas de nature à porter atteinte à l’égalité de traitement entre les candidats.

5. Il résulte de ces mêmes dispositions, qui doivent être interprétées à la lumière des dispositions de l’article 57 de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 qu’elles transposent en droit national, lesquelles limitent à trois ans la période pendant laquelle un opérateur peut être exclu dans les cas visés au paragraphe 4 de cet article, que l’acheteur ne peut pas prendre en compte, pour prononcer une telle exclusion, des faits commis depuis plus de trois ans. Toutefois, lorsqu’une condamnation non définitive a été prononcée à raison de ceux-ci, cette durée de trois ans court à compter de cette condamnation.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, notamment des termes de la décision du 2 août 2023 de la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, que, pour exclure la société Rénovation peinture de la procédure de passation en litige sur le fondement des dispositions citées au point 3, le département des Bouches-du-Rhône s’est fondé sur la condamnation de l’associé majoritaire de cette société, par un jugement du tribunal correctionnel de Marseille du 2 décembre 2022, pour des faits de corruption active commis dans le cadre de procédures de passation de marchés publics entre le 1er janvier 2012 et le 26 mai 2016 alors qu’il était gérant de cette même société. Dès lors, en se fondant, pour apprécier le caractère récent des procédures de passation au cours desquelles cette société ou son associé majoritaire avaient entrepris d’influer indûment sur le processus décisionnel de l’acheteur, sur les dates des tentatives d’influence alors qu’il résulte de ce qui a été dit au point 5 que, dès lors qu’une condamnation par le juge pénal avait été prononcée à raison de celles-ci, la durée de l’exclusion devait s’apprécier au regard de la date de cette condamnation même non définitive, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’autre moyen du pourvoi, que le département des Bouches-du-Rhône est fondé à demander l’annulation de l’ordonnance qu’il attaque.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

9. En premier lieu, si la société Rénovation peinture soutient que les dispositions du code de la commande publique, sur lesquelles est fondée la décision d’exclusion en litige, méconnaissent les dispositions des paragraphes 4 et 7 de l’article 57 de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics, mentionnées au point 2, en ce qu’elles ne prévoient pas de limitation dans le temps de la durée de l’exclusion qu’elles prévoient, ce moyen doit être écarté pour le motif mentionné au point 5 de la présente décision.

10. En deuxième lieu, dès lors que l’associé majoritaire de cette société avait été, ainsi qu’il a été dit au point 6, condamné pour des faits qui peuvent être regardés comme une tentative d’influer indûment sur le processus décisionnel de l’acheteur, et que ces faits avaient été sanctionnés moins d’un an auparavant par un jugement du tribunal correctionnel de Marseille du 2 décembre 2022, le département des Bouches-du-Rhône pouvait légalement, sans méconnaître les règles énoncées aux points 4 et 5, estimer que la société Rénovation peinture avait entrepris d’influencer la prise de décision de l’acheteur dans le cadre d’autres procédures récentes de la commande publique.

11. En troisième lieu, il résulte de l’instruction que, invitée par le département des Bouches-du-Rhône à établir, en application des dispositions de l’article L. 2141-11 du code de la commande publique citées au point 3, que son professionnalisme et sa fiabilité ne pouvaient plus être remis en cause, la société Rénovation peinture a, par un courrier du 18 juillet 2023, fait valoir que la personne reconnue coupable des faits de corruption active par le jugement du tribunal correctionnel de Marseille du 2 décembre 2022 n’a désormais plus la qualité de gérant. Toutefois, la société Rénovation peinture n’établit pas avoir pris des mesures afin que cette personne, qui détient toujours un pouvoir de contrôle de cette société en sa qualité d’associé majoritaire, ne puisse plus s’immiscer dans sa gestion. Dès lors, le département des Bouches-du-Rhône pouvait légalement estimer que les preuves ainsi apportées par la société Rénovation peinture ne sont pas de nature à démontrer sa fiabilité.

12. En dernier lieu, les dispositions mentionnées au point 3 n’ouvrant qu’une simple faculté à l’acheteur d’exclure des candidats qui remplissent les conditions qu’elles fixent, la circonstance tirée de ce que le département des Bouches-du-Rhône n’a pas exclu la société Rénovation peinture d’autres procédures de passation de marchés publics conduites postérieurement au jugement du tribunal correctionnel de Marseille du 2 décembre 2022 est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de la décision en litige.

13. Il résulte de ce qui précède que la demande de la société Rénovation peinture doit être rejetée.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Rénovation peinture la somme de 3 500 euros à verser au département des Bouches-du-Rhône au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées par la société Rénovation peinture au même titre devant le juge des référés du tribunal administratif de Marseille.

 


D É C I D E :
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Article 1er : L’ordonnance du 7 septembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société Rénovation peinture devant le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, y compris ses conclusions au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, est rejetée.
Article 3 : La société Rénovation peinture versera au département des Bouches-du-Rhône la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au département des Bouches-du-Rhône et à la société Rénovation peinture.

Copie en sera adressée au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.


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