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Publié le 10 Sep 2021

Refus de prolongation du délai de remise des offres et respect de l’égalité entre les candidats

CE 18 juin 2021, Société Eiffage, n°450283

Le refus de l’autorité concédante de prolonger le délai de remise des offres ne constitue pas une atteinte au principe d’égalité de traitement des candidats dès lors que le requérant n’établit pas, d’une part, la preuve de l’insuffisance manifeste du délai accordé au regard des caractéristiques globales du contrat de concession et des circonstances particulières liées à la crise sanitaire et, d’autre part, la preuve de la transmission tardive d’informations essentielles pour la préparation des offres.


Ce qu’il faut retenir :


Point n°1 : Rappel des règles de compétence territoriale

Le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord qu’en matière précontractuelle, contractuelle et quasi contractuelle, le tribunal administratif compétent est celui dans le ressort duquel se trouve le lieu d’exécution du contrat, à moins que les parties y dérogent d’un commun accord prévu au contrat conformément aux dispositions de l’article R 312-11 du Code de justice administrative (point n°2).

En l’espèce, la société Eiffage et l’État n’ayant pas conclu de contrat, le tribunal administratif de Toulouse ne pouvait pas décliner sa compétence territoriale en se fondant sur les stipulations du projet de cahier des charges de la concession, reprises au sein des avis de concession, qui prévoyaient que le tribunal administratif de Paris était compétent pour régler les litiges entre les parties (point n°3).


Point n°2 : Rappel des règles de fixation du délai de remise des offres

Le Conseil d’Etat rappelle ensuite que l’autorité concédante doit fixer le délai de remise des offres en tenant compte de la nature, du montant et des caractéristiques des travaux ou services demandés au concessionnaire dans le respect des délais minimums mentionnés à l’article R 3124-2 du code de la commande publique.

En l’espèce, il considère que le délai de remise des offres de 5,5 mois fixé par l’État n’apparaît pas manifestement insuffisant aussi bien au regard des caractéristiques du contrat que des circonstances particulières liées à la crise sanitaire. De même, la société Eiffage n’établit pas la transmission tardive des informations relatives aux conditions d’exécution de la concession aux soumissionnaires par l’État.

L’arrêt est intéressant en ce qu’il revient sur les critères à prendre en compte par l’autorité concédante pour fixer le délai de remise des offres par les soumissionnaires. En se fondant sur les dispositions du premier alinéa de l’article R. 3124-2 du Code de la commande publique (CCP), le Conseil d’Etat rappelle que pour fixer le délai de remise des offres, l’autorité concédante prend « notamment » en compte la nature, le montant et les caractéristiques des prestations (travaux ou services) demandés au concessionnaire, ainsi que « l’impossibilité d’offrir un accès dématérialisé aux documents de la consultation » si besoin est.

Ainsi, ces dispositions prévoient des critères minima à prendre en compte pour fixer le délai, mais ceux-ci peuvent être plus nombreux, ou plus précis, comme en témoigne l’utilisation de l’adverbe « notamment ». Le second alinéa précise quant à lui le délai minimum de remise des offres, auquel l’autorité concédante ne saurait déroger. Ces dispositions combinées permettent à cette dernière de mettre en œuvre un délai suffisant, notamment faisant en sorte que les soumissionnaires puissent accéder aux informations nécessaires à la préparation des offres. Sur ce point, le juge administratif se limite au contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation (point n°6).

Par ailleurs, si une ou plusieurs prolongations du délai de remise des offres peuvent être demandées à l’autorité concédante, celle ou ces prolongations doivent être justifiées de manière objective, dans le respect des principes fondamentaux de la commande publique de l’article L. 3 du CCP. C’est ce que le Conseil d’État avait pu préciser récemment dans une affaire Port autonome de Nouvelle-Calédonie et Société d’économie mixte de la baie de la Moselle (CE 18 déc. 2019, n°432590). Il avait indiqué dans cette affaire qu’il résultait de l’instruction que « si le port autonome de Nouvelle-Calédonie a été saisi d’une demande de prolongation du délai de remise des offres par la SEM de la baie de la Moselle, une telle prolongation était objectivement justifiée par la nécessité d’assurer une information égale des candidats ». Dès lors, il avait conclu que « dans ces conditions, les moyens tirés de ce que la procédure de passation de la délégation de service public aurait méconnu le principe d’impartialité doivent être écartés ».


Point n°3 : La conclusion à l’absence de l’inégalité de traitement des candidats

En l’espèce, le Conseil d’État considère d’une part, que le délai de cinq mois et demi laissé aux soumissionnaires pour élaborer leurs offres « n’apparaît pas manifestement insuffisant au regard tant des caractéristiques du contrat que des circonstances particulières liées à l’épidémie de covid-19 » (point n°7). D’autre part, la société requérante n’a pas rapporté la preuve de la transmission tardive par l’État des informations nécessaires à la préparation des offres (point n°7 : « n’établit pas davantage que l’autorité concédante aurait tardé à transmettre certains éléments relatifs aux données de trafic, aux études géotechniques et hydrauliques, utiles à l’élaboration des offres »).

Par voie de conséquence, le Conseil d’Etat considère que la demande de prolongation du délai de remise des offres n’était pas justifiée de manière objective, et ne portait donc pas atteinte au principe d’égalité de traitement entre les candidats.


CE 18 juin 2021, Société Eiffage, n°450283

Considérant ce qui suit :

  1. Aux termes de l’article R. 312-11 du code de justice administrative : ” En matière précontractuelle, contractuelle et quasi contractuelle le tribunal administratif compétent est celui dans le ressort duquel se trouve le lieu prévu pour l’exécution du contrat. Si son exécution s’étend au-delà du ressort d’un seul tribunal administratif ou si le lieu de cette exécution n’est pas désigné dans le contrat ou quasi-contrat, le tribunal administratif compétent est celui dans le ressort duquel l’autorité publique compétente pour signer le contrat ou la première des autorités publiques dénommées dans le contrat a son siège, sans que, dans ce cas, il y ait à tenir compte d’une approbation par l’autorité supérieure, si cette approbation est nécessaire./ Toutefois, si l’intérêt public ne s’y oppose pas, les parties peuvent, soit dans le contrat primitif, soit dans un avenant antérieur à la naissance du litige, convenir que leurs différends seront soumis à un tribunal administratif autre que celui qui serait compétent en vertu des dispositions de l’alinéa précédent “.
  2. Il résulte des dispositions citées au point précédent qu’il ne peut être dérogé aux règles de compétence territoriale du tribunal administratif en matière de contrats que d’un commun accord des parties prévu au contrat primitif ou consigné dans un avenant antérieur à la naissance du litige. Il ne saurait, par suite, y être dérogé antérieurement à la conclusion d’un tel contrat ou avenant. Dès lors, en se fondant, pour décliner sa compétence territoriale pour statuer sur le référé précontractuel formé par la société Eiffage, candidate à l’attribution de la concession, sur les stipulations de l’article 43 du projet de cahier des charges de la concession, reprises dans les avis de concession, qui prévoyaient que les contestations qui s’élèveraient entre les parties au sujet du contrat seraient portées devant le tribunal administratif de Paris alors que la compétence de ce tribunal n’était pas fixée par un contrat, conformément aux dispositions de l’article R. 312-11 du code de justice administrative, dès lors que ce contrat n’était précisément pas encore conclu, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a commis une erreur de droit. Son ordonnance doit être annulée pour ce motif, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi.
  3. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

[…]

  1. Aux termes de l’article R. 3124-2 du code de la commande publique : ” L’autorité concédante fixe le délai de remise des offres en fonction notamment de la nature, du montant et des caractéristiques des travaux ou services demandés au concessionnaire, et, lorsqu’il y a lieu, conformément aux dispositions de l’article R. 3122-11, de l’impossibilité d’offrir un accès dématérialisé aux documents de la consultation./ Sous réserve des dispositions de l’article R. 3123-14, le délai minimum de remise des offres est de :/ 1° Vingt-deux jours à compter de la date d’envoi de l’invitation à présenter une offre ;/ 2° Dix-sept jours lorsque l’autorité concédante accepte que les offres lui soient transmises par voie électronique “. Aux termes de l’article R. 3122-8 du même code : ” Toute modification des documents de la consultation est communiquée à l’ensemble des opérateurs économiques, aux candidats admis à présenter une offre ou à tous les soumissionnaires, dans des conditions garantissant leur égalité et leur permettant de disposer d’un délai suffisant pour remettre leurs candidatures ou leurs offres “.
  2. Il résulte de l’instruction que l’Etat a fixé en dernier lieu au 9 février 2021 la date de remise des offres, laissant aux candidats un délai de 5,5 mois pour les élaborer. Contrairement à ce que soutient la société requérante, un tel délai n’apparaît pas manifestement insuffisant au regard tant des caractéristiques du contrat que des circonstances particulières liées à l’épidémie de covid-19. La société requérante n’établit pas davantage que l’autorité concédante aurait tardé à transmettre certains éléments relatifs aux données de trafic, aux études géotechniques et hydrauliques, utiles à l’élaboration des offres.
  3. Il ne résulte enfin pas de l’instruction que certains concurrents de la société Eiffage auraient bénéficié d’informations privilégiées, la seule circonstance que l’article 2.5 du règlement de consultation ferait obligation aux équipes candidates de tenir à jour une liste des études non publiques relatives au projet de liaison autoroutière Castres-Toulouse auxquelles les entités qui les composent auraient contribué ou eu accès dans le cadre de leur éventuelle participation à la préparation de ce projet ne pouvant être regardée comme établissant l’existence de telles informations privilégiées. Par suite, la requérante n’est pas fondée à soutenir que le refus de l’autorité concédante de prolonger davantage le délai de remise des offres l’aurait conduite à méconnaître l’égalité entre candidats, en ne permettant pas de corriger un avantage concurrentiel résultant de la détention de telles informations.

[…]

D E C I D E :

Article 1er : L’ordonnance du 25 février 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse est annulée.
Article 2 : La demande de la société Eiffage est rejetée.

 


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