CE 12 septembre 2018, Syndicat mixte des ordures ménagères de la vallée de Chevreuse, req.n°420454
La sanction de la rupture d’égalité entre les candidats n’est pas sanctionnée de la même manière selon qu’elle résulte du comportement de l’acheteur public ou d’un candidat
L’acheteur public qui met en œuvre une procédure de mise en concurrence afin d’attribuer un contrat doit assurer le respect du principe d’égalité entre les candidats. Le juge du référé précontractuel doit annuler la procédure s’il relève une cause affectant l’impartialité de l’acheteur ou s’il constate une rupture d’égalité entre les candidats du fait des informations privilégiées dont a bénéficié l’un d’entre eux. Dans le premier cas, le doute est suffisant pour emporter l’annulation tandis que dans le second, la rupture d’égalité doit être établie.
Le principe d’impartialité de l’acheteur public et un principe général du droit (CE 14 octobre 2015, Région Nord Pas de Calais, req.n°390968). Il implique que l’acheteur public reste neutre vis à vis des candidats à l’obtention du marché, c’est à dire qu’il n’ait aucun intérêt à privilégier l’un d’eux dans des conditions de nature à caractériser une situation de conflits d’intérêts.
L’article 48-I-5 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics définitif le conflit d’intérêts de la manière suivante: “Constitue une situation de conflit d’intérêts toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché public ou est susceptible d’en influencer l’issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché public.” Il résulte de cette définition que l’obligation d’impartialité ne pèse que sur l’acheteur public qui doit veiller à ce qu’aucune des personnes qui concourent à l’exécution de ses missions dans la préparation et la conduite de la procédure de sélection n’aient un intérêt particulier à son issue.
Dans une telle hypothèse, le Conseil d’Etat rappelle que le juge administratif doit retenir une interprétation objective de la notion d’impartialité : il n’est pas nécessaire de démontrer que l’égalité entre les candidats a été rompue par la présence d’une personne en situation de potentiel conflit d’intérêts mais simplement de constater que la présence de celle-ci est de nature « à faire naître un doute » légitime quant à l’impartialité de la procédure.
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a considéré qu’était illégale la procédure de passation d’un marché ayant pour objet la mise en place d’une carté dématérialisée dès lors que l’assistant à maîtrise d’ouvrage de l’acheteur public avait par le passé exercé des fonctions au sein de la société désignée comme attributaire du marché. Bien que cette personne ait quitté ladite société depuis près de deux ans, le Conseil d’Etat a considéré que « s’il ne résulte pas de l’instruction que l’intéressé détiendrait encore des intérêts au sein de l’entreprise, le caractère encore très récent de leur collaboration, à un haut niveau de responsabilité, pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance de tels intérêts et par voie de conséquence sur l’impartialité de la procédure suivie par la région Nord-Pas-de-Calais».
Dans son arrêt, le Conseil d’Etat souligne que les liens professionnels ou d’affaires, y compris passés, n’excluent pas le risque de conflits d’intérêts dans la mesure où ils peuvent perdurer au-delà des liens matériels qui les ont fait naître, de sorte que la seule circonstance que le lien soit rompu ne suffit pas à écarter tout risque d’intéressement.
L’acheteur public doit veiller à ce qu’aucune des personnes qui concourent à l’exécution de ses missions dans la préparation et la conduite de la procédure de sélection n’aient un intérêt particulier à son issue en faveur d’un candidat. Un manquement au principe d’impartialité résulte de ce qu’une personne participant au processus de désignation de l’attributaire peut être raisonnablement soupçonnée d’avoir un intérêt particulier à ce que l’un des candidats obtienne le marché.
Dans ses conclusions sur cet arrêt, le Rapporteur public Gilles Pelissier rappelle que :« L’irrégularité de la procédure n’est donc pas subordonnée à la preuve de ce qu’un candidat a été avantagé ou désavantagé, mais de ce que la participation d’une personne ayant un intérêt particulier à l’issue de la procédure avec la possibilité de l’influencer permette légitimement de penser qu’il en a peut- être été ainsi […..] Cet intérêt n’a pas à être démontré. Il doit seulement exister des éléments suffisants pour qu’il apparaisse possible ».
Et de conclure que : Un mot pour clore cet exposé de la méthode sur les conséquences quant à la régularité de la procédure d’un conflit d’intérêts au sein du pouvoir adjudicateur. Quelles que soient les possibilités qu’avait le pouvoir adjudicateur de l’éviter, il entache toujours d’irrégularité la procédure, comme toute atteinte aux principes d’égalité, de transparence et de mise en concurrence. Si la définition du conflit d’intérêt et les modalités de son identification doivent être réalistes afin d’aboutir à des solutions proportionnées qui permettent aux pouvoirs adjudicateurs de prendre des mesures utiles pour prévenir les conflits d’intérêts, comme ils doivent le faire en tant que responsables de la procédure de passation (CJUE, arrêt précité, § 42-43), ils ont à cet égard une obligation de résultat : la circonstance que le pouvoir adjudicateur ait ignoré, même légitimement, l’existence d’un conflit d’intérêts qui a pu affecter la neutralité de la procédure est sans incidence sur l’irrégularité de cette dernière ».
La seule circonstance qu’une personne ayant assisté un acheteur public dans une procédure de mise en concurrence rejoigne un candidat n’est pas susceptible de créer une situation de conflit d’intérêts au sein de l’acheteur sauf si comme le souligne le Rapporteur public Gilles Pelissier « anticipant sa mutation, il a exercé les missions qui lui ont été confiées par l’acheteur public de manière à avantager son futur employeur, par exemple en insérant des conditions d’exécution ou des critères de sélection qu’il serait plus facile à ce dernier de satisfaire ». Hormis cette hypothèse, le fait pour un candidat de bénéficier d’informations susceptibles de lui conférer un avantage dans la procédure de mise en concurrence, y compris s’il les a obtenues grâce à la collaboration antérieure de l’un de ses salariés avec l’acheteur public, s’il est susceptible de rompre l’égalité entre les candidats, ne constitue pas un manquement de l’acheteur public au principe d’impartialité. La personne qui aurait pu ainsi influencer le choix de l’attributaire a en effet quitté l’acheteur public avant que le processus de décision ne soit engagé.
Dans cette seconde hypothèse, comme l’indique le Rapporteur public Gilles Pelissier « le juge du référé ne doit pas, comme il l’a fait, se contenter de relever que les informations auxquelles a eu accès un candidat sont susceptibles de créer une distorsion de concurrence, c’est-à-dire se placer au niveau du doute qui suffit à entacher l’impartialité de l’acheteur public, mais rechercher si effectivement elles ont conféré à leur détenteur un avantage sur son concurrent ».
Au cas présent, en avril 2017, l’acheteur public avait conclu un marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage avec une société pour l’assister dans le lancement d’un marché de collecte de déchets ménagers. En décembre 2017, postérieurement à la date limite de remise des offres, le chef de projet affecté par cette société à la mission d’assistance avait rejoint un des candidats à l’attribution du marché de collecte qui a été déclaré in fine attributaire du contrat. Selon le juge des référés du tribunal administratif, l’acheteur public avait, dans ces circonstances, porté atteinte au principe d’impartialité du SIOM.
Ce raisonnement n’est pas suivi par le Conseil d’Etat qui considère qu’en «retenant un manquement à l’obligation d’impartialité de l’acheteur public du seul fait qu’il existait un risque que la société Sepur, attributaire du marché, ait pu obtenir des informations confidentielles à l’occasion de la participation de l’un de ses salariés à la mission d’assistance à la maîtrise d’ouvrage », alors que « cette circonstance était en elle-même insusceptible d’affecter l’impartialité de l’acheteur public », le juge a commis une erreur de droit.
La personne en question n’avait travaillé pour l’assistant à maîtrise d’ouvrage qu’au cours des mois d’avril à juin 2017 et avait quitté ses fonctions avant que n’ait commencé l’élaboration du dossier de consultation des entreprises. En outre, durant cette période, l’ancien titulaire du lot avait refusé de transmettre à l’assistant à maîtrise d’ouvrage les données générales sur le marché, estimant que celles-ci étaient couvertes par le secret industriel et commercial. Dans ces circonstances, le Conseil d’Etat considère qu’il ne résulte pas de l’instruction que les informations détenues cette personne étaient de nature à avantager un des candidats » de nature à rompre l’égalité entre les candidats.
Conseil d’État
N°420454
Lecture du lundi 22 janvier 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
D E C I D E :
Article 1er : L’ordonnance du 25 avril 2018 du tribunal administratif de Versailles est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société Otus devant le juge des référés du tribunal administratif de Versailles et ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative devant le Conseil d’Etat sont rejetées.
Article 3 : La société Otus versera au syndicat intercommunal des ordures ménagères de la vallée de Chevreuse une somme de 3 000 euros et à la société Sepur une même somme de 3 000 euros, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au syndicat intercommunal des ordures ménagères de la vallée de Chevreuse, à la société Sepur et à la société Otus.
Résumé : Chef de projet au sein d’une société à laquelle a été confiée une mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage en avril 2017 par une personne publique, ayant rejoint en décembre 2017, préalablement à la remise des offres, la société désignée attributaire n° 1 du marché correspondant…. ,,Si les informations confidentielles que l’intéressé aurait éventuellement pu obtenir à l’occasion de sa mission d’assistant à maîtrise d’ouvrage pouvaient, le cas échéant, conférer à son nouvel employeur un avantage de nature à rompre l’égalité entre les concurrents et obliger l’acheteur public à prendre les mesures propres à la rétablir, cette circonstance était en elle-même insusceptible d’affecter l’impartialité de l’acheteur public. Par suite, erreur de droit du juge des référés à avoir retenu un manquement à l’obligation d’impartialité de l’acheteur public du seul fait qu’il existait un risque que la société, attributaire du marché, ait pu obtenir des informations confidentielles à l’occasion de la participation de l’un de ses salariés à la mission d’assistance à la maîtrise d’ouvrage lorsque celui-ci travaillait antérieurement pour la société mandataire du syndicat.