CE 3 juin 2020, Département de la Loire Atlantique, req. n°426938
Le conseil national des architectes et le conseil régional de l’ordre des architectes ont qualité pour contester la validité d’un contrat passé en violation de la loi n°77-2 de la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture. En revanche, ils n’ont qualité pour contester les motifs retenus par un acheteur public pour recourir légalement à un marché de conception réalisation
Enseignement n°1 : Le conseil national des architectes et le conseil régional de l’ordre des architectes ont qualité pour contester la validité d’un contrat passé en violation de la loi n°77-2 de la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture
Selon l’article 26 de la loi n°77-2 de la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture, le conseil national des architectes et le conseil régional de l’ordre des architectes, sont chargés de représenter la profession des architectes notamment auprès des pouvoirs publics. Ils ont également qualité pour agir en justice en vue notamment de la protection du titre d’architecte et du respect des droits conférés et des obligations imposées aux architectes par les lois et règlements. En particulier, ils ont qualité pour agir sur toute question relative aux modalités d’exercice de la profession ainsi que pour assurer le respect de l’obligation de recourir à un architecte.
Sur ce fondement, ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession d’architectes.
Ainsi, la signature d’un contrat en violation des prescriptions d’ordre public de la loi n°77-2 de la loi du 3 janvier 1977 peut porter atteinte aux intérêts des architectes qu’il appartient aux le conseil national des architectes et le conseil régional de l’ordre des architectes de protéger et de défendre devant toutes les juridictions.
Le conseil national des architectes et/ou le conseil régional de l’ordre des architectes sont donc recevables et bien fondés à intervenir pour contester l’attribution du marché litigieux à un opérateur économique en violation de loi n°77-2 de la loi du 3 janvier 1977 modifiée qu’ils sont chargés de faire respecter ou pour contester une procédure qui méconnaît les prescriptions d’ordre public de cette loi.
Dans son arrêt du 3 juin 2020, le Conseil d’Etat rappelle ainsi que « les conseils régionaux de l’ordre des architectes ont qualité pour agir en justice en vue notamment d’assurer le respect de l’obligation de recourir à un architecte ».
Dans un arrêt en date du 17 mai 2017, Communauté de communes de Petite Camargue, n°396034, le Conseil d’Etat avait déjà eu l’occasion de considérer que le conseil national des architectes et le conseil régional de l’ordre des architectes peuvent former un recours en contestation de la validité du contrat dès lors dès lors que les irrégularités invoquées sont susceptibles d’affecter les intérêts des membres qu’il représente. « 3. Considérant que [….] dans le cas de marchés de maîtrise d’œuvre passés en procédure adaptée, toute remise de prestations donne lieu au versement d’une prime (…) ” ;4. Considérant qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour administrative d’appel de Marseille, sans rechercher si, en l’espèce, l’investissement que devait consentir les architectes candidats pour établir leur offre était significatif, a jugé que l’absence, dans l’avis d’appel à concurrence du marché litigieux, de dispositions prévoyant l’allocation de primes pour les candidats non retenus était de nature à limiter l’accès des architectes à ce marché et qu’elle était ainsi susceptible d’affecter les modalités d’exercice de cette profession ; qu’elle en a déduit que le conseil régional de l’ordre des architectes justifiait d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation de l’attribution du marché de maîtrise d’œuvre litigieux ; qu’en statuant ainsi, la cour n’a entaché son arrêt ni d’erreur de droit ni d’insuffisance de motivation» (CE 17 mai 2017, Communauté de communes de Petite Camargue, n°396034).
Enseignement n°2 : Le conseil national des architectes et le conseil régional de l’ordre des architectes n’ont pas qualité pour contester les motifs du recours à un marché de conception réalisation
Si le conseil national des architectes et le conseil régional de l’ordre des architectes ont qualité pour contester la validité d’un contrat passé en violation de la loi n°77-2 de la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture, en revanche, ils n’ont qualité pour contester les motifs retenus par un acheteur public pour recourir légalement à un marché de conception réalisation.
Dans cette affaire, le conseil régional contestait la possibilité pour le département de la Loire-Atlantique de recourir à un marché de conception-réalisation en considérant que les conditions requises par la réglementation des marchés publics alors en vigueur n’étaient pas réunies.
Pour le Conseil d’Etat, la passation d’un marché de conception réalisation ne modifie pas les conditions d’exercice de la mission de maîtrise d’œuvre en considérant que : « la seule passation, par une collectivité territoriale, d’un marché public confiant à un opérateur économique déterminé une mission portant à la fois sur l’établissement d’études et l’exécution de travaux ne saurait être regardée comme susceptible de léser de façon suffisamment directe et certaine les intérêts collectifs dont ils ont la charge ».
CE 3 juin 2020, Département de la Loire Atlantique, req. n°426938
Considérant ce qui suit :
- Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité. Les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours d’une demande tendant, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l’exécution du contrat.
- Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que par avis d’appel public à la concurrence publié au journal officiel de l’Union européenne le 26 octobre 2013, le département de la Loire-Atlantique a lancé une procédure d’attribution d’un marché de conception-réalisation, en vue de la construction d’un collège à Saint Joseph de Porterie, sur le territoire de la commune de Nantes, comportant vingt divisions, extensibles à vingt-quatre, ainsi que quatre logements de fonctions. A l’issue de l’analyse des offres, le marché a été attribué au groupement d’entreprises “ Eiffage-Linéa “, constitué des sociétés Eiffage Construction Pays de la Loire, Linéa Architectes, In Situ, BH, Serba, Albdo, Synergie Bois, Itac, Process cuisines, Zephir Paysages et Urbaterra, et a été conclu le 11 mars 2015. Le conseil régional de l’ordre des architectes des Pays de la Loire a fait appel du jugement du 23 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l’annulation, ou à défaut à la résiliation de ce marché de conception-réalisation. Par un arrêt du 9 novembre 2018, contre lequel le département de la Loire-Atlantique se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Nantes a annulé ce jugement et ce marché.
- D’une part, selon l’article 26 de la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture : “ Le conseil national et le conseil régional de l’ordre des architectes concourent à la représentation de la profession auprès des pouvoirs publics. / Ils ont qualité pour agir en justice en vue notamment de la protection du titre d’architecte et du respect des droits conférés et des obligations imposées aux architectes par les lois et règlements. En particulier, ils ont qualité pour agir sur toute question relative aux modalités d’exercice de la profession ainsi que pour assurer le respect de l’obligation de recourir à un architecte. / (…) “.
- D’autre part, aux termes de l’article 7 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et ses rapports avec la maîtrise d’oeuvre privée applicable au litige : “ La mission de maîtrise d’oeuvre que le maître de l’ouvrage peut confier à une personne de droit privé ou à un groupement de personnes de droit privé doit permettre d’apporter une réponse architecturale, technique et économique au programme mentionné à l’article 2. / Pour la réalisation d’un ouvrage, la mission de maîtrise d’oeuvre est distincte de celle d’entrepreneur. / (…) “. Selon le I de l’article 18 de la même loi : “ Nonobstant les dispositions du titre II de la présente loi, le maître de l’ouvrage peut confier par contrat à un groupement de personnes de droit privé ou, pour les seuls ouvrages d’infrastructure, à une personne de droit privé, une mission portant à la fois sur l’établissement des études et l’exécution des travaux, lorsque des motifs d’ordre technique ou d’engagement contractuel sur un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique ou la construction d’un bâtiment neuf dépassant la réglementation thermique en vigueur rendent nécessaire l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage. Un décret précise les conditions d’application du présent alinéa en modifiant, en tant que de besoin, pour les personnes publiques régies par le code des marchés publics, les dispositions de ce code “. Aux termes de l’article 37 du code des marchés publics applicable au litige, dont la substance a été reprise à l’article L. 2171-2 du code la commande publique : “ Un marché de conception-réalisation est un marché de travaux qui permet au pouvoir adjudicateur de confier à un groupement d’opérateurs économiques ou, pour les seuls ouvrages d’infrastructure, à un seul opérateur économique, une mission portant à la fois sur l’établissement des études et l’exécution des travaux. / Les pouvoirs adjudicateurs soumis aux dispositions de la loi du 12 juillet 1985 susmentionnée ne peuvent, en application du I de son article 18, recourir à un marché de conception-réalisation, quel qu’en soit le montant, que si un engagement contractuel sur un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique ou des motifs d’ordre technique rendent nécessaire l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage. / (…) “.
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Un tiers à un contrat administratif n’est recevable à contester la validité d’un contrat, ainsi qu’il a été dit au point 1, que s’il est susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou par ses clauses. Si, en vertu des dispositions de l’article 26 précité de la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture, les conseils régionaux de l’ordre des architectes ont qualité pour agir en justice en vue notamment d’assurer le respect de l’obligation de recourir à un architecte, la seule passation, par une collectivité territoriale, d’un marché public confiant à un opérateur économique déterminé une mission portant à la fois sur l’établissement d’études et l’exécution de travaux ne saurait être regardée comme susceptible de léser de façon suffisamment directe et certaine les intérêts collectifs dont ils ont la charge.
- Par suite le conseil régional de l’ordre des architectes des Pays de la Loire n’était pas recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du marché de conception-réalisation en litige.
- Il résulte de ce qui précède que le département de la Loire-Atlantique est fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué.
- Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
- Ainsi qu’il a été dit aux points 5 et 6, les conclusions du conseil régional de l’ordre des architectes des Pays de la Loire tendant à l’annulation du marché de conception-réalisation en litige étaient irrecevables dans le cadre d’un recours en contestation de la validité de ce marché. Par suite, le conseil régional de l’ordre des architectes des Pays de la Loire n’est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
- Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du conseil régional de l’ordre des architectes des Pays de la Loire la somme de 3 000 euros à verser au département de la Loire-Atlantique au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge du département de la Loire-Atlantique qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt du 9 novembre 2018 de la cour administrative d’appel de Nantes est annulé.
Article 2 : La requête du conseil régional de l’ordre des architectes des Pays de la Loire présentée devant la cour administrative d’appel de Nantes est rejetée.
Article 3 : Le conseil régional de l’ordre des architectes des Pays de la Loire versera au département de la Loire-Atlantique une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions du conseil régional de l’ordre des architectes des Pays de la Loire présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au département de la Loire-Atlantique et au conseil régional de l’ordre des architectes des Pays de la Loire.