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Publié le 09 Sep 2022

Un acheteur public ne peut écarter lui-même l’application d’une clause « nulle et non écrite » que pour l’avenir

CE 13 juin 2022, Centre hospitalier d’Ajaccio, n°453769

Ce qu’il faut retenir :

Une personne publique peut parfaitement écarter l’application d’une clause d’un contrat qu’elle estimerait « nulle et non écrite » pour l’avenir. En revanche, elle est tenue de saisir le juge du contrat pour en demander l’annulation rétroactive.

A l’occasion d’une convention conclue sur le fondement de l’article L. 6146-2 du code de la santé publique, fixant les conditions et modalités dans lesquelles un professionnel de santé exerçant à titre libéral participe aux missions d’un établissement de santé, le Conseil d’Etat a rappelé qu’une personne publique partie à un contrat administratif ne peut d’elle-même qu’en prononcer la résiliation et doit en revanche saisir le juge du contrat d’un recours de plein contentieux en contestant la validité pour en demander le cas échéant l’annulation.

Pour obtenir la disparition rétroactive d’une clause contractuelle ou du contrat dans son ensemble, l’administration est donc tenue de saisir le juge d’un recours de plein contentieux.

Ce faisant, le Conseil d’Etat n’a fait qu’appliquer sa jurisprudence ancienne et constante selon laquelle l’administration ne peut pas décider seule de remettre en cause un contrat de manière rétroactive (CE 2 avril 1971, Tlatli Salah Eddine, req. n° 78203, rec. T. p. 923).

Dans ses conclusions sur la décision du 9 juillet 2020, Commune de la Remaudière, req. n°429522, le rapporteur public, Gilles Pelissier, avait ainsi indiqué : « si nous ne voyons a priori pas d’obstacle à ce qu’une personne publique émette un titre exécutoire pour recouvrer une créance née d’un enrichissement sans cause, il nous semble plus douteux qu’elle puisse elle-même générer cette situation en constatant la nullité d’un contrat auquel elle est partie. Elle peut résilier un contrat, mais pas l’annuler, il faut pour cela qu’elle saisisse le juge ».

Une clause illégale pourra donc être isolément résiliée par l’administration, une telle résiliation n’ayant d’effets que pour l’avenir. Mais pour le passé, seul le juge du contrat est compétent pour en prononcer l’annulation.

 


CE 13 juin 2022, Centre hospitalier d’Ajaccio, n°453769

 

Considérant ce qui suit :

  1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une convention signée le 28 décembre 2009, M. A… a été recruté en qualité de praticien attaché au centre hospitalier d’Ajaccio à compter du 1er janvier 2010, pour une durée d’un an renouvelable, pour y effectuer une journée et demi de travail par semaine au sein du service d’oto-rhino-laryngologie et participer aux tours de garde et d’astreintes dans sa spécialité. Cette convention prévoyait en outre la perception d’une redevance de seize pour cent sur les actes réalisés au titre de l’activité libérale de ce praticien au sein de l’établissement. Le 11 juillet 2017, le centre hospitalier d’Ajaccio a émis à l’encontre de M. A… un titre exécutoire pour un montant de 83 540 euros correspondant à la différence entre une redevance d’un montant de trente pour cent, que le centre hospitalier estimait devoir être perçue, et le montant de la redevance effectivement versée par l’intéressé pour la période 2012-2016 en application de la convention signée. Par une lettre du 20 septembre 2017, le centre hospitalier d’Ajaccio a mis en demeure M. A… de cesser toute activité libérale au sein de l’établissement et l’a informé de ce que la clause de la convention fixant la redevance à un taux de seize pour cent devait être regardée comme ” nulle et non écrite “. Un second titre exécutoire, se substituant à celui du 11 juillet 2017, a été émis le 16 avril 2018 pour un montant de 75 786 euros correspondant à la différence du montant de redevance due au taux de trente pour cent et celui versé au taux de seize pour cent au titre de l’activité libérale au cours de la période 2013-2016. Le centre hospitalier d’Ajaccio se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 15 avril 2021 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté son appel dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Bastia du 17 octobre 2019 ayant annulé le titre exécutoire émis le 16 avril 2018 et déchargé M. A… de l’obligation de payer la somme procédant de ce titre de recettes.
  2. Aux termes de l’article L. 6146-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction en vigueur à la date de la signature de la convention du 28 décembre 2009 : ” Dans des conditions fixées par voie réglementaire, le directeur d’un établissement public de santé peut, sur proposition du chef de pôle, après avis du président de la commission médicale d’établissement, admettre des médecins (…) exerçant à titre libéral, autres que les praticiens statutaires exerçant dans le cadre des dispositions de l’article L. 6154-1[c’est-à-dire les praticiens dont le statut est défini aux articles R. 6152-1 et suivants du code de la santé publique exerçant à temps plein dans les établissements publics de santé], à participer à l’exercice des missions de service public mentionnées à l’article L. 6112-1 attribuées à cet établissement ainsi qu’aux activités de soins de l’établissement. (…). Les honoraires de ces professionnels de santé sont à la charge de l’établissement public de santé (…). Par exception aux dispositions de l’article L. 162-2 du code de la sécurité sociale, l’établissement public de santé verse aux intéressés les honoraires aux tarifs prévus au 1° du I de l’article L. 162-14-1 du même code, minorés, le cas échéant, d’une redevance./ Les professionnels de santé mentionnés au premier alinéa participent aux missions de l’établissement dans le cadre d’un contrat conclu avec l’établissement de santé, qui fixe les conditions et modalités de leur participation et assure le respect des garanties mentionnées à l’article L. 6112-3 du présent code. Ce contrat est approuvé par le directeur général de l’agence régionale de santé “. Selon l’article R. 6146-21 du même code, créé par le décret du 28 mars 2011, la redevance prévue par l’article L. 6146-2 représente la part des frais des professionnels de santé supportée par l’établissement pour les moyens matériels et humains qu’il met à leur disposition. Un arrêté du 28 mars 2011 prévoit que cette redevance est égale à trente pour cent des honoraires pour les actes pratiqués dans l’établissement de santé autres que des actes de consultation, de radiologie interventionnelle, de radiothérapie ou de médecine nucléaire nécessitant une hospitalisation.
  3. Pour rejeter la requête du centre hospitalier d’Ajaccio, la cour administrative d’appel a jugé que si le titre de recettes était entaché d’une erreur de droit en ce que le montant de la créance y était déterminé par référence aux dispositions de l’article D. 6154-10-3 du code de la santé publique, qui ne sont applicables qu’aux praticiens hospitaliers exerçant à temps plein, ce qui n’est pas le cas de M. A…, ce titre aurait également pu être émis sur le fondement des dispositions de l’article L. 6146-2 du code de la santé publique, mais que, les praticiens autorisés à exercer une activité libérale sur ce fondement étant placés, vis-à-vis de l’administration, dans une situation réglementaire et non contractuelle, le titre émis à l’encontre de M. A… trouvait en tout état de cause sa cause, non dans le contrat liant M. A… au centre hospitalier, mais dans les droits définitivement acquis par celui-ci en application de la décision individuelle dont il avait fait l’objet, qui ne pouvait être retirée après l’expiration d’un délai de quatre mois suivant sa date. En statuant ainsi, alors qu’une convention conclue sur le fondement de l’article L. 6146-2 du code de la santé publique, qui fixe les conditions et modalités dans lesquelles un professionnel de santé exerçant à titre libéral participe aux missions d’un établissement de santé, revêt, eu égard à la nature des liens qu’elle établit entre les parties, une nature contractuelle, la cour a commis une erreur de droit.
  4. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier d’Ajaccio est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque, en tant qu’il rejette ses conclusions d’appel.
  5. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond dans la même mesure en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
  6. Eu égard à la nature des liens établis par la convention signée le 28 décembre 2009 entre le centre hospitalier d’Ajaccio et M. A…, qui n’y exerçait pas en qualité de praticien statutaire à temps plein et auquel les dispositions de l’article L. 6154-1 du code de la santé publique, régissant la seule activité libérale au sein des établissements publics de santé des praticiens statutaires y exerçant à temps plein, ne s’appliquaient donc pas, cette convention revêtait une nature contractuelle. Si le centre hospitalier d’Ajaccio soutient qu’il s’était, par sa décision du 20 septembre 2017 ayant indiqué à M. A… que la clause de la convention fixant la redevance à un taux de seize pour cent devait être regardée comme ” nulle et non écrite “, mis en mesure de rechercher, sur le fondement de l’enrichissement sans cause, le remboursement de la part non versée de la redevance qui lui était due au titre de l’exercice irrégulier d’une activité libérale, cette décision ne pouvait s’appliquer qu’à l’exercice par M. A… d’une activité libérale au sein du centre hospitalier pour l’avenir et n’a pu entraîner la disparition rétroactive de la clause de la convention conclue entre les parties, fût-elle illicite, une personne publique partie à un contrat administratif ne pouvant d’elle-même qu’en prononcer la résiliation et devant saisir le juge d’un recours de plein contentieux contestant la validité de ce contrat pour en demander le cas échéant l’annulation. Par suite, et alors que le centre hospitalier n’avait pas, avant d’émettre le titre de recettes contesté, saisi le juge d’une demande d’annulation de la clause litigieuse, M. A… est fondé à se prévaloir, pour la période antérieure à la décision du 20 décembre 2017, des stipulations de la convention qu’il avait conclue et à soutenir que le titre de recettes ne pouvait être émis au titre d’un enrichissement résultant, pour lui, de l’exécution de cette clause.
  7. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier d’Ajaccio n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Bastia, dont le jugement est suffisamment motivé sur ce point, a jugé que M. A… était fondé à demander l’annulation du titre exécutoire en litige et à être déchargé de l’obligation de payer la somme en procédant.
  8. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées tant en appel qu’en cassation au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

DECIDE :

Article 1er : L’arrêt du 15 avril 2021 de la cour administrative d’appel de Marseille est annulé en tant qu’il rejette la requête du centre hospitalier d’Ajaccio.
Article 2 : La requête du centre hospitalier d’Ajaccio est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par les parties au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier d’Ajaccio et à M. B… A….


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