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Publié le 31 Août 2022

Un membre d’un groupement solidaire est toujours recevable à demander le paiement des prestations qu’il a effectuées même en l’absence de répartition des tâches entre les membres du groupement

CE 19 mai 2022, Sté Patriarche,n° 454637

Ce qu’il faut retenir:

L’absence d’information relative à la répartition des tâches entre les membres d’un groupement solidaire n’entraîne pas l’irrecevabilité des demandes formulées par un membre de ce groupement en son nom propre tendant au paiement des prestations qu’il a lui-même effectuées.

Enseignement n°1 :

Alors que le CCAG Travaux a prévu depuis 1976 les règles de représentation des membres d’un groupement conjoint dans une action contentieuse, les stipulations du CCAG ont toujours, malgré ses modifications, été silencieuses sur les règles de représentation des membres d’un groupement solidaire.

C’est donc le Conseil d’Etat qui a fixé celles-ci.

Ainsi, par une décision Société Entreprise Solétanche du 15 juin 1983 (req. n° 27329, rec. p. 258), le Conseil d’Etat a jugé que « les entreprises qui se sont engagées conjointement et solidairement par un même marché (…) à participer à l’exécution d’un même ouvrage, sans qu’aucune répartition des tâches soit faite entre elles par le marché, doivent être regardées comme s’étant donné mandat mutuel de se représenter dans tous les actes administratifs et techniques relatifs à l’exécution du marché qui interviennent dans les relations contractuelles du maître de l’ouvrage et des entreprises signataires du marché ». Il n’y a donc aucun besoin de le mentionner expressément dans la convention de groupement (CE 11 mai 2011, req. n° 327452).

 Par conséquent, chacune d’entre elles peut agir en justice pour réclamer au maître de l’ouvrage des sommes dues au groupement, notamment en cas de carence du mandataire commun (CE25 juin 2004, Syndicat intercommunal de la vallée de l’Ondaine, req. n° 250573, rec. T. p. 770-805) et leurs conclusions doivent, en principe, être regardées comme présentées au nom et pour le compte des membres du groupement et peuvent tendre au paiement du solde global du marché.

Cependant, cette représentation mutuelle cesse lorsque les membres du groupement, présents à l’instance, formulent des conclusions divergentes (CE 31 mai 2010, Sté d’études, de recherche er de développement d’automatismes, req. n° 323948).

Dans son arrêt du 19 mai 2022, le Conseil d’Etat confirme sa jurisprudence antérieure et indique que « les entreprises ayant formé un groupement solidaire pour l’exécution du marché dont elles sont titulaires sont réputées, dès lors qu’aucune répartition des tâches n’a été faite entre elles par le marché, se représenter mutuellement. Il en résulte que leurs conclusions doivent être regardées comme présentées au nom et pour le compte des membres du groupement et qu’elles peuvent tendre au paiement du solde global du marché » ; « Toutefois, d’une part, la représentation mutuelle de membres de groupement cesse lorsque, présents dans l’instance, ils formulent des conclusions divergentes ».

Enseignement n°2 :

Précisant les modalités de la représentation mutuelle au sein du groupement, le Conseil d’Etat juge qu’ « un membre d’un groupement solidaire, qu’il soit mandataire ou non de ce groupement, est toujours recevable à demander le paiement, pour son propre compte, des prestations qu’il a lui-même effectuées, même en l’absence de répartition des tâches entre les membres de ce groupement ».

Le Conseil d’Etat ajoute que quand le maître d’ouvrage paie les sommes relatives à ces prestations, ou quand le juge le condamne à les verser, ce dernier est alors libéré de sa dette à concurrence du montant des sommes correspondantes à l’égard de l’ensemble des membres du groupement.

La solution adoptée antérieurement par une cour administrative d’appel qui avait jugé que le membre d’un groupement solidaire ne pouvait demander la condamnation du maître de l’ouvrage à payer le solde des travaux qu’il avait effectués à titre personnel si l’acte d’engagement ne répartissait pas les paiements (CAA Nantes, 14 novembre 2014, req. n° 13NT01018), est donc remise en cause.


CE 19 mai 2022, Sté Patriarche,n° 454637

Considérant ce qui suit :

  1. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, par un acte d’engagement signé le 6 juin 2003, le groupement solidaire d’entreprises constitué par la société BDM Architectes, la société Socotrap Ingénierie International, la société AEC Ingénierie, la société TLR Architectures, dont le mandataire était la société BDM Architectes, s’est vu confier la maîtrise d’œuvre des travaux de construction du centre hospitalier François Dunan à Saint-Pierre-et-Miquelon. Par un jugement du 13 juillet 2018, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a rejeté la demande de la société BDM Architectes tendant à la condamnation du centre hospitalier François Dunan à lui verser la somme de 27 624,67 euros correspondant au règlement de l’une de ses notes d’honoraires. La société Patriarche, venant aux droits de la société BDM Architectes, se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 17 mai 2021 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux, statuant par la voie de l’évocation après avoir annulé le jugement de première instance, a rejeté la demande comme irrecevable.
  2. Les entreprises ayant formé un groupement solidaire pour l’exécution du marché dont elles sont titulaires sont réputées, dès lors qu’aucune répartition des tâches n’a été faite entre elles par le marché, se représenter mutuellement. Il en résulte que leurs conclusions doivent être regardées comme présentées au nom et pour le compte des membres du groupement et qu’elles peuvent tendre au paiement du solde global du marché.
  3. Toutefois, d’une part, la représentation mutuelle de membres de groupement cesse lorsque, présents dans l’instance, ils formulent des conclusions divergentes. D’autre part, un membre d’un groupement solidaire, qu’il en soit ou non le mandataire, est recevable à demander le paiement, pour son propre compte, des seules prestations qu’il a personnellement effectuées, y compris lorsque le marché ne précise pas la répartition des tâches entre les membres de ce groupement. Lorsque le maître d’ouvrage acquitte les sommes correspondant à ces prestations ou est condamné par le juge du contrat à les verser, il est libéré de sa dette à concurrence du montant des sommes correspondantes à l’égard de l’ensemble des membres du groupement.
  4. Il en résulte qu’en se fondant sur la circonstance qu’aucune répartition des tâches n’avait été prévue par le marché entre les membres du groupement solidaire dont était membre la société BDM Architectes, pour en déduire que cette société n’était pas recevable à demander le paiement des seules prestations qu’elle avait elle-même effectuées, la cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit. Il suit de là que la société Patriarche est fondée, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.
  5. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Patriarche qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier François Dunan la somme de 3 000 euros à verser à la société Patriarche au titre de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : L’arrêt du 17 mai 2021 de la cour administrative d’appel de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel de Bordeaux.
Article 3 : Le centre hospitalier François Dunan versera à la société Patriarche la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


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