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Publié le 14 Mai 2024

Une association contrôlée et financée par l’État est-elle transparente ?

CAA Paris, 19 mars 2024, AFT, n°22PA00764

 

Ce qu’il faut retenir :

La cour administrative d’appel de Paris rappelle que la « transparence » d’une personne morale de droit privé s’apprécie au regard de critères cumulatifs. À défaut d’une personne publique partie directement ou indirectement au contrat, ce dernier ne peut être qualifié d’administratif quel que soit son contenu.

Enseignement n°1 : La « personnalité transparente » permet de regarder le contrat comme conclu par une personne publique

L’article 3 de l’ordonnance « marchés » n° 2015-899 du 23 juillet 2015, aujourd’hui article L6 du code de la commande publique (CCP), prévoit que sont administratifs les contrats conclus en application de ces textes par une personne publique. Il s’agit là d’une mise en exergue du critère organique qui baigne tout le droit des contrats administratifs : la présence d’au moins une personne publique au contrat est une condition nécessaire, quoi que non suffisante, pour écarter le droit privé (TC 3 mars 1969, Sté Interlait, n°01926). En matière de commande publique, cette condition se suffit à elle-même par détermination de la loi.

Confronté à un mouvement de démembrement fictif des collectivités, visant justement à s’affranchir des règles contraignantes relatives aux marchés publics, le Conseil d’État a initié la construction jurisprudentielle dite de la « personnalité transparente » afin de paralyser ces détournements. Les critères ont depuis été confirmés (CE, 21 mars 2007, Cne de Boulogne-Billancourt, n° 281796). En application de cette théorie, les actes et actions de la personne privée sont regardés comme ceux de la personne publique elle-même.

Ainsi, une personne privée peut être qualifiée de transparente si plusieurs conditions sont remplies : elle doit avoir été créé à l’initiative d’une personne publique ; cette dernière doit contrôler son organisation et son fonctionnement ; elle doit lui procurer l’essentiel de ses ressources ; enfin, en matière de contrats, il doit lui être confiée une mission de service public pour l’exercice de laquelle ces contrats sont conclus.

Enseignement n°2 : Les critères de qualification d’une personne « transparente » sont cumulatifs

Dans l’affaire présentée à la CAA de Paris, l’Association pour le développement de la formation professionnelle dans le transport (AFT) avait confié par contrat des prestations de service à la société Stratis. Insatisfaite, l’AFT avait conclu un marché de substitution et un litige sur le décompte de résiliation s’était élevé entre elle et la société Stratis. Si le statut d’association ne fait plus du tout aujourd’hui obstacle à la qualification de marché public (art. L1211-1 du CCP), la question de la compétence du juge se posait sérieusement.

En application de la grille de lecture précédente, la CAA de Paris rejette la compétence du juge administratif, puisque si l’État assure un contrôle effectif et un financement certain de l’association, celle-ci n’a pas pour autant été créé à son initiative, ni à celle d’aucune autre personne publique. La cour rappelle ainsi le caractère éminemment cumulatif des critères de la transparence.

Enseignement n°3 : Un contrat conclu entre deux personnes privées relève du droit privé, quel que soit son contenu

Lorsqu’un contrat est conclu entre deux personnes privées, hors le cas où l’une est mandataire d’une personne publique, le contrat qui en ressort sera a priori de droit privé. Les exceptions à ce principe qui demeurent sont tenues. La théorie de l’accessoire ne suppose pas une simple interdépendance de deux contrats mais une véritable subordination de l’un à l’autre (TC, 8 juillet 2013, n° 3906). De plus, la décision Rispal a tout à la fois mis fin à la théorie des contrats administratifs « par nature » et allègrement resserré celle du mandat administratif (ou implicite), posant une forte présomption d’action du concessionnaire pour son propre compte (TC, 9 mars 2015, Rispal, n°C3984). Un tel mandat administratif suppose l’existence d’un mandat non exprès ayant une assise légale (loi MOP, art. L300-1 du code de l’urbanisme). Dès lors, la CAA écarte en l’espèce, pour des motifs tus mais évidents, la possibilité que le contrat puisse être conclu dans le cadre d’un tel mandat « pour le compte de l’État ».

Elle ajoute enfin que l’association ne peut pas utilement soutenir que son contrat contiendrait des clauses exorbitantes ou ferait participer la société Stratis à sa mission de service public. En effet, le caractère utile d’un tel moyen supposerait que la nature juridique du contrat puisse en dépendre. Or, un contrat conclu entre deux personnes privés relève du droit privé peu importe son contenu. La cour ne procède donc pas à l’examen dudit contenu.

 


CAA Paris, 19 mars 2024, AFT, n°22PA00764

 

Considérant ce qui suit :

1. Le 23 mars 2017, l’association pour le développement de la formation professionnelle dans les transports (AFT) a conclu avec la société Stratis un marché public divisé en trois lots portant sur la transformation de son site internet et l’amélioration d’un de ses sites satellites. Après avoir prorogé à plusieurs reprises les délais pour la livraison des lots 1 et 2, l’association AFT a, le 19 octobre 2018, mis la société Stratis en demeure d’exécuter ses obligations contractuelles. En l’absence de réponse, elle lui a notifié son intention de résilier le contrat et de conclure un marché de substitution avec une autre entreprise et lui a par la suite notifié un décompte de résiliation. L’association AFT a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la société Stratis à lui verser la somme de 100 238,60 euros correspondant au montant de ce décompte. Elle fait appel du jugement du 17 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

2. Il est constant qu’ainsi que le tribunal administratif l’a jugé à bon droit, le marché conclu entre l’association AFT et la société Stratis ne peut être qualifié de contrat administratif par application des dispositions de l’article 3 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, visée ci-dessus, et ne peut être regardé comme ayant été conclu pour le compte de l’Etat.

3. Lorsqu’une personne privée est créée à l’initiative d’une personne publique qui en contrôle l’organisation et le fonctionnement et qui lui procure l’essentiel de ses ressources, cette personne privée doit être regardée comme “transparente” et les contrats qu’elle conclut pour l’exécution de la mission de service public qui lui est confiée sont des contrats administratifs.

4. Si l’association AFT fait état de l’origine de ses ressources et du contrôle dont elle ferait l’objet de la part de l’Etat, il est constant qu’elle n’a pas été créée à l’initiative d’une personne publique. Elle ne peut, pour ce motif, être regardée comme une association “transparente”. C’est donc à bon droit que le tribunal administratif a regardé le marché qu’elle a conclu avec la société Stratis, comme un contrat de droit privé dont le contentieux relève de la compétence du juge judiciaire.

5. Enfin, l’association AFT ne peut utilement soutenir que le marché conclu avec la société Stratis faisait participer cette société à sa mission de service public, et qu’il comportait des clauses exorbitantes du droit commun.

6. Il résulte de ce qui précède que l’association AFT n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

7. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Stratis, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l’association AFT demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l’association AFT une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Stratis et non compris dans les dépens.

 

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l’association AFT est rejetée.
Article 2 : L’association AFT versera une somme de 1 500 euros à la société Stratis sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l’association pour le développement de la formation professionnelle dans le transport et à la société Stratis.

 


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Table des matières
Article L6 du code de la commande publique,
Association contrôlée et financée par l’État,
Association transparente et avocat,
Avocat droit public,
CAA Paris n°22PA00764,
Contrat conclu entre deux personnes privées,
Qualification contrat conclu entre deux personnes privées,
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