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Publié le 22 Mar 2015

Précision sur l’évaluation du manque à gagner d’un candidat irrégulièrement évincé d’une procédure de passation d’un marché public

Avocat Marchés Publics

Précision sur l'évaluation du manque à gagner d'un candidat irrégulièrement évincé d'une procédure de passation d'un marché publicRègle n°1 :

Lorsqu’une entreprise candidate à l’attribution d’un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d’abord si l’entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter ce marché. Dans l’affirmative, l’entreprise n’a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit, en principe, au remboursement des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre.

Le juge doit ensuite rechercher si l’entreprise avait des chances sérieuses d’emporter le marché. Si tel est le cas, l’entreprise a alors droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre qui n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique (CE 18 juin 2003, Groupement d’entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, Société Biwater et Société Aqua TP, Req.n° 249630, CE 8 février 2010, Commune de la Rochelle, req.n° 314075).

Au final, l’entreprise candidate à l’attribution d’un marché public qui a été irrégulièrement évincée d’un marché public qu’elle avait des chances sérieuses d’emporter à droit à être indemnisée de son manque à gagner. En revanche, celle qui n’était pas dépourvue de toute chance de remporter le marché a simplement droit au remboursement des frais de présentation de son offre (temps passé pour préparer le dossier de candidature, élaborer l’offre, frais éventuels de transports en cas de négociation, frais divers d’envois du dossier etc…).

Pour déterminer ou placer le curseur, il appartient au juge, une fois que l’irrégularité est établie, de vérifier qu’elle est la cause directe de l’éviction du candidat et, par suite, qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et le préjudice dont le candidat demande l’indemnisation.

Règle n°2 :

Ce manque à gagner doit être déterminé en prenant en compte le bénéfice net qu’aurait procuré ce marché à l’entreprise. L’indemnité due à ce titre, qui ne constitue pas la contrepartie de la perte d’un élément d’actif mais est destinée à compenser une perte de recettes commerciales, doit être regardée comme un profit de l’exercice au cours duquel elle a été allouée et soumise, à ce titre, à l’impôt sur les sociétés. Par suite, Le Conseil d’Etat considère que le manque à gagner doit être calculé à partir du bénéfice net sans déduction de l’impôt sur les sociétés.

Observations :

Dans cette espèce, la société qui avait des chances sérieuses de remporter le marché contestait l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Marseille en tant qu’elle avait ramené son préjudice à 23.817,91 euros considérant que son manque à gagner devait être calculé à partir de son résultat d’exploitation, après déduction de l’impôt sur les sociétés. Or, le Conseil d’Etat censure cette position pour erreur de droit. En effet, il relève que : « […] ce manque à gagner doit être déterminé en prenant en compte le bénéfice net qu’aurait procuré ce marché à l’entreprise ; que l’indemnité due à ce titre, qui ne constitue pas la contrepartie de la perte d’un élément d’actif mais est destinée à compenser une perte de recettes commerciales, doit être regardée comme un profit de l’exercice au cours duquel elle a été allouée et soumise, à ce titre, à l’impôt sur les sociétés ». Autrement dit, le manque à gagner doit être calculé à partir du bénéfice net sans déduction de l’impôt sur les sociétés

Conseils :

Pour avoir une chance d’être indemnisé du manque à gagner, il est fortement recommandé de constituer un dossier de préjudice à partir de sa comptabilité analytique. Ce document doit impérativement être certifié par votre Commissaire aux comptes et produit dans le cadre de l’instance. Par ailleurs, il est judicieux de proposer au juge administratif d’ordonner une expertise s’il estime que les justificatifs fournis ne lui paraissent pas suffisants pour établir le montant du préjudice. Ce faisant, le juge ne pourra pas écarter la demande indemnitaire au terme d’une motivation stéréotype selon laquelle la société requérante ne produit aucun document pertinent établissant la réalité de son préjudice. Dans ce cas en effet, l’utilité de l’expertise s’imposera et à défaut le jugement sera entaché d’erreur de droit.

Conseil d’État

N° 384653
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
7ème et 2ème sous-sections réunies
M. François Lelièvre, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO, avocat(s)

lecture du lundi 19 janvier 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi, enregistré le 22 septembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présenté pour la société Spie Est, dont le siège est 2 route de Lingolsheim à Geispolsheim (67118) ; la société Spie Est demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt n° 13NC01775 du 25 juillet 2014 en tant que la cour administrative d’appel de Nancy a ramené à 23 817,81 euros la somme que l’Office public de l’habitat (OPH) de Thionville avait été condamné à lui verser au titre de son éviction irrégulière d’un marché par le jugement n° 0906004 du 3 juillet 2013 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la requête d’appel de l’OPH de Thionville ;

3°) de mettre à la charge de l’OPH de Thionville le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vue le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la société Spie Est ;

1. Considérant que la société Spie Est demande l’annulation de l’arrêt du 25 juillet 2014 de la cour administrative d’appel de Nancy en tant qu’il a ramené à 23 817,81 euros la somme que l’Office public de l’habitat (OPH) de Thionville a été condamné à lui verser par jugement du 3 juillet 2013 du tribunal administratif de Strasbourg en réparation du manque à gagner consécutif à son éviction irrégulière d’un marché relatif à l’exploitation d’installations de chauffage collectif ;

2. Considérant que l’entreprise candidate à l’attribution d’un marché public qui a été irrégulièrement évincée de ce marché qu’elle avait des chances sérieuses d’emporter a droit à être indemnisée de son manque à gagner ; que ce manque à gagner doit être déterminé en prenant en compte le bénéfice net qu’aurait procuré ce marché à l’entreprise ; que l’indemnité due à ce titre, qui ne constitue pas la contrepartie de la perte d’un élément d’actif mais est destinée à compenser une perte de recettes commerciales, doit être regardée comme un profit de l’exercice au cours duquel elle a été allouée et soumise, à ce titre, à l’impôt sur les sociétés ;

3. Considérant qu’il suit de là qu’en jugeant qu’il convenait d’évaluer le manque à gagner de la société Spie Est à partir de son résultat d’exploitation, après déduction de l’impôt sur les sociétés, la cour administrative d’appel de Nancy a entaché son arrêt d’erreur de droit ; qu’ainsi, la société Spie Est est fondée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, à demander l’annulation de l’arrêt attaqué en tant qu’il a réformé le jugement du tribunal administratif de Strasbourg ;

4. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l’OPH de Thionville la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :
————–
Article 1er : L’arrêt du 25 juillet 2014 de la cour administrative d’appel de Nancy est annulé en tant qu’il a ramené à 23 817,81 euros la somme que l’Office public de l’habitat (OPH) de Thionville a été condamné à lui verser par jugement du 3 juillet 2013 du tribunal administratif de Strasbourg.
Article 2 : L’affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée, à la cour administrative d’appel de Nancy.
Article 3 : L’OPH de Thionville versera à la société Spie Est la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Spie Est et à l’office public de l’habitat de Thionville.

Résumé :

L’entreprise candidate à l’attribution d’un marché public qui a été irrégulièrement évincée de ce marché qu’elle avait des chances sérieuses d’emporter a droit à être indemnisée de son manque à gagner. Ce manque à gagner doit être déterminé en prenant en compte le bénéfice net qu’aurait procuré ce marché à l’entreprise. L’indemnité due à ce titre, qui ne constitue pas la contrepartie de la perte d’un élément d’actif mais est destinée à compenser une perte de recettes commerciales, doit être regardée comme un profit de l’exercice au cours duquel elle a été allouée et soumise, à ce titre, à l’impôt sur les sociétés. Par suite, commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui évalue le manque à gagner du candidat évincé à partir du résultat d’exploitation après déduction de l’impôt sur les sociétés.

L’entreprise candidate à l’attribution d’un marché public qui a été irrégulièrement évincée de ce marché qu’elle avait des chances sérieuses d’emporter a droit à être indemnisée de son manque à gagner. Ce manque à gagner doit être déterminé en prenant en compte le bénéfice net qu’aurait procuré ce marché à l’entreprise. L’indemnité due à ce titre, qui ne constitue pas la contrepartie de la perte d’un élément d’actif mais est destinée à compenser une perte de recettes commerciales, doit être regardée comme un profit de l’exercice au cours duquel elle a été allouée et soumise, à ce titre, à l’impôt sur les sociétés. Par suite, commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui évalue le manque à gagner du candidat évincé à partir du résultat d’exploitation après déduction de l’impôt sur les sociétés.


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