CE 28 février 2020, Sté Régal des Iles, n°426162
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat apporte d’utiles précisions sur l’étendue du droit à indemnisation d’un candidat évincé lorsque l’irrégularité affecte le choix même de la procédure de passation d’un contrat lancée par l’acheteur public, comme par exemple, en cas de recours irrégulier à la procédure du dialogue compétitif pour l’attribution d’un marché public ou, comme en l’espèce, en d’attribution d’un contrat selon la procédure de délégation de service public au lieu d’une procédure de marché public.
Dans son arrêt du 28 février 2020, Sté Régal des Iles, le Conseil d’Etat précise le cadre juridique des droits à indemnisation des candidats irrégulièrement évincés de l’attribution d’un contrat public.
Dans la continuité de sa précédente jurisprudence (CE 14 octobre 2019, Sté les Téléskis de la Croix Fry, n°418317), le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord que la perte de chance d’obtenir le contrat n’est indemnisable qu’en tant qu’elle est la conséquence direct de l’irrégularité commise : le juge doit ainsi vérifier d’une part, que l’irrégularité invoquée est la cause directe de l’éviction du candidat évincé ; d’autre part, qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et le préjudice dont le candidat demande l’indemnisation.
Si ces conditions sont remplies, alors le juge peut apprécier souverainement la graduation du droit à indemnisation selon la grille suivante : si l’irrégularité commise (1) si le candidat évincé n’était pas dépourvu de toute chance d’emporter le contrat, lui ouvrant un droit au remboursement des frais qu’il a engagés pour présenter son offre, ou (2) si cette chance était sérieuse, lui ouvrant ainsi un droit à être indemnisé de son manque à gagner incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre.
Le Conseil d’Etat profite de l’occasion pour rappeler que dans l’hypothèse ou l’acheteur public renonce à conclure le contrat pour un motif d’intérêt général, le candidat perd alors tout droit à indemnité.
L’évaluation de la perte de chance d’obtenir un contrat au terme d’une procédure aussi radicalement différente que celle qui s’applique aux marchés publics lorsque la procédure suivie était celle applicable aux concessions paraît difficile voire impossible.
Cela étant, l’impossibilité d’évaluer des chances sérieuses d’obtenir un contrat de nature différente ou soumis à une procédure complètement différente n’empêche pas de constater que l’irrégularité du choix de la procédure a conduit les candidats à présenter des offres en vain et donc à engager des frais dans une compétition qui ne pouvait aboutir par la faute de la personne publique.
C’est la raison pour laquelle le Conseil d’Etat considère que l’irrégularité tenant au choix de la procédure ne saurait conduire le juge à exclure par principe tout lien direct de causalité entre l’irrégularité et le préjudice provoqué par l’éviction et peut ouvrir droit, à minima, au remboursement des frais engagés par le candidat évincé dès lors qu’il n’est pas acquis que sa candidature ou son offre aurait été rejetée.
CE 28 février 2020, Sté Régal des Iles, n°426162
Considérant ce qui suit :
Lorsqu’un candidat à l’attribution d’un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l’irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l’absence de toute chance, il n’a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu’il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d’emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre, lesquels n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique. En revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d’intérêt général.
Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, par des motifs non contestés dans le cadre du présent pourvoi, la cour administrative d’appel de Bordeaux a requalifié le contrat de délégation de service public en marché public et a relevé que ce contrat, conclu sans que le contenu et les conditions de mise en oeuvre des critères de sélection des offres n’aient été définis et sans publication d’un avis d’attribution de niveau européen, était affecté de plusieurs vices présentant un caractère d’une particulière gravité.
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt du 8 octobre 2018 de la cour administrative d’appel de Bordeaux est annulé en tant qu’il a rejeté les conclusions de la société Régal des Iles tendant à l’indemnisation des frais engagés pour la présentation de son offre.
Article 2 : L’affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d’appel de Bordeaux.
Article 3 : La commune de Saint-Benoît versera à la société Régal des Iles une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ses conclusions présentées sur le même fondement sont rejetées.