Pour l’attribution d’un marché de conception-réalisation, l’acheteur a l’obligation de prévoir un critère d’attribution permettant de tenir compte de la part d’exécution confiée à des PME ou à des artisans lorsque le titulaire ne relève pas lui-même de ces catégories. En cas d’omission, l’acheteur s’expose à une annulation totale de sa procédure.
L’article R. 2171-23 du code de la commande publique prévoit des dispositions particulières concernant certains marchés globaux, dont les machés de conception-réalisation : une part minimale du montant prévisionnel du marché doit être effectuée par une petite ou moyenne entreprise (PME) ou un artisan. Cette part minimale est fixée à 20% depuis le 30 décembre 2024. Ainsi, si le titulaire n’est pas lui-même une PME ou un artisan, le marché doit prévoir qu’il s’engage à confier cette part minimale à un opérateur répondant à ces critères.
Le code de la commande publique ne prescrit pas que cette prévision du marché doit nécessairement s’inscrire dans les documents de la consultation et pas simplement dans l’offre des opérateurs candidats à l’attribution. Néanmoins, l’article L.2152-9 du code de la commande publique prévoit par ailleurs que « l’acheteur tient compte parmi les critères d’attribution des marchés globaux » de cette part minimale de marché à confier à des PME ou à des artisans.
Dans une affaire portée à la connaissance du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, la commune de Bois-Colombes avait précisément lancé une procédure de mise en concurrence pour l’attribution d’un marché de conception-réalisation. La société Urbaine de Travaux, mandataire d’un groupement candidat, a contesté le rejet de son offre après avoir relevé que la commune n’avait inséré, dans les documents du marché, aucune clause relative à la part d’exécution du marché que le soumissionnaire s’engage à confier à des PME ou à des artisans.
Le TA convient tout d’abord que cette omission s’est faite « en méconnaissance d’une obligation figurant à l’article L. 2152-9 du code de la commande publique ». Autrement dit, le tribunal reproche à l’acheteur d’avoir failli à l’obligation de prévoir au moins un critère de choix des offres relatif à cette part minimale d’exécution. « En s’abstenant de prendre en compte un critère rendu obligatoire par la loi, le pouvoir adjudicateur a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence ».
Reste que conformément à la jurisprudence SMIRGEOMES (CE, sect., 3 oct. 2008, n°305420), il appartient au juge du référéprécontractuel de rechercher si le requérant se prévaut de manquements en rapport avec un intérêt lésé, notamment en ce qu’ils avantagent une entreprise concurrente.
En l’espèce, l’offre du groupement auteur du recours avait dûment pris en considération l’exigence légale de confier une part minimale du montant du marché à des PME ou à des artisans. La commune arguait toutefois du fait que cet élément n’avait pu influer que sur le prix de l’offre, et que le groupement évincé avait en l’occurrence obtenu la note maximale au critère « prix », son manquement devenant dès lors insusceptible d’avoir réellement lésé l’entreprise.
Le tribunal administratif balaie cette argumentation en temps. D’une part, « une telle clause affecte nécessairement toute la construction d’une offre et pas seulement son prix ». D’autre part, la commune n’a pas démontré que les offres retenues auraient, elles aussi, compris une part réservée aux PME et artisans, de sorte qu’il est impossible de soutenir que le groupement évincé n’a pas été lésé par l’inapplication d’un critère par ailleurs inappliqué aux autres candidats.
Le tribunal conclut en annulant la totalité de la procédure puisque corriger le manquement en cause implique de rédiger de nouveaux documents de la consultation. Oubli malheureux, oubli douloureux…
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis publié au BOAMP le 22 octobre 2023, la commune de Bois-Colombes a lancé une procédure de mise en concurrence, sous la forme d’une procédure avec négociation, en vue de la passation d’un marché de conception-réalisation ayant pour objet la restructuration lourde, l’extension et la surélévation du groupe scolaire Paul Bert « ainsi que » la création d’un centre administratif et d’un parking associé “. La société Urbaine de Travaux en tant que mandataire d’un groupement composé des sociétés LEHOUX-PHILY ARCHITECTES, R+D ARCHITECTES ASSOCIES, EPDC, IETI, MEBI, ETABLISSEMENTS CANCE, AKOUSTIK INGENIERIE et CONSEILS, STUDIO FAHRENHEIT a déposé une candidature qui a été admise pour pouvoir présenter une offre et participer aux négociations parmi 5 candidatures retenues à ce stade. Ce groupement a déposé une offre initiale dans le délai expirant le 31 mai 2024 et, après négociation, a été invité à présenter une seconde offre négociée qui a été déposée le 21 juin 2024. Par un courrier du 18 décembre 2024, la commune de Bois-Colombes, pouvoir adjudicateur, a informé le groupement du rejet de son offre négociée portant sur le marché relatif à la conception-réalisation pour l’aménagement partiel de l’îlot Paul Bert en application de l’article 7.3 du règlement de consultation « phase offre » à l’occasion d’un classement intermédiaire des offres et de la réduction du nombre de candidats admis à négocier de 5 à 2. Par la présente requête, la SAS Société urbaine de travaux demande au juge des référés, statuant par application de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, d’annuler la procédure de passation du marché de conception-réalisation pour l’aménagement partiel de l’ilot Paul Bert (n° 223M031) de Bois-Colombes et, de la décision de rejet l’offre de la requérante du 18 décembre 2024.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative : « Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, ou la délégation d’un service public. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ». Aux termes de l’article L. 551-2 du même code : « I. Le juge peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. () ». Aux termes de son article L. 551-3 : « Le président du tribunal administratif ou son déléguéstatue en premier et dernier ressort en la forme des référés ».
3. En vertu des dispositions précitées de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d’être lésées par de tels manquements. Il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l’opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur concurrent. Le choix de l’offre d’un candidat irrégulièrement retenu est susceptible d’avoir lésé le candidat qui invoque ce manquement, à moins qu’il ne résulte de l’instruction que sa candidature devait elle-même être écartée, ou que l’offre qu’il présentait ne pouvait qu’être éliminée comme inappropriée, irrégulière ou inacceptable.
En ce qui concerne la méconnaissance de l’obligation de confier une part de l’exécution à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans :
4. Aux termes de l’article L. 2152-9 du code de la commande publique : « L’acheteur tient compte parmi les critères d’attribution des marchés globaux mentionnés à l’article L. 2171-1 de la part d’exécution du marché que le soumissionnaire s’engage à confier à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans. ». Aux termes de l’article L. 2171-1 de ce code : « Sont des marchés globaux passés par dérogation au principe d’allotissement :1° Les marchés de conception-réalisation () ». L’article R. 2171-23 de ce code précise que : « Si le titulaire d’un marché global n’est pas lui-même une petite ou moyenne entreprise ou un artisan, la part minimale qu’il s’engage à confier, directement ou indirectement, à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans, en application de l’article L. 2171-8, est fixée à 10 % du montant prévisionnel du marché, sauf lorsque la structure économique du secteur concerné ne le permet pas () ».
5. Il est constant que la commune de Bois-Colombes n’a inséré dans les documents de ce marché aucune clause relative à la part d’exécution du marché que le soumissionnaire s’engage à confier à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans en méconnaissance d’une obligation figurant à l’article L. 2152-9 du code de la commande publique. En s’abstenant de prendre en compte un critère rendu obligatoire par la loi, le pouvoir adjudicateur a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence.
6. Aux termes de l’article L. 551-10 du code de justice administrative : « Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat () et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué () ». Il appartient au juge du référé précontractuel de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte, en avantageant une entreprise concurrente.
7. Il résulte de l’instruction que l’offre déposée par le groupement dont la société requérante est mandataire comprenait une part assurée par des PME/artisans de plus de 13 %. Si la commune de Bois-Colombes soutient que ce manquement n’a pu influer que sur le critère afférent au prix pour lequel la société requérante a présenté une meilleure offre, une telle clause affecte nécessairement toute la construction d’une offre et pas seulement son prix. En outre, la commune n’allègue, ni n’établit que les deux offres retenues comprenaient une part réservée aux PME et artisans, alors qu’elle est la seule partie détentrice de cette information. Eu égard au fait que le groupement a obtenu la note maximale au critère « prix » et a présenté une offre conforme à l’article L. 2152-9 du code de la commande publique, la société requérante établit que ce manquement était susceptible de l’avoir été lésée, fût-ce de façon indirecte, en avantageant une entreprise concurrente.
S’agissant du moyen tiré de la dénaturation de l’offre du groupement :
8. S’il n’appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d’un contrat, de se prononcer sur l’appréciation portée sur la valeur d’une offre ou les mérites respectifs des différentes offres, celui-ci est en revanche tenu de vérifier, lorsqu’il est saisi d’un moyen en ce sens, que le pouvoir adjudicateur n’a pas dénaturé le contenu d’une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l’attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d’égalité de traitement des candidats.
9. Il ressort de l’analyse de l’offre du groupement dont la société requérante est mandataire que cette offre a été jugé non conforme aux exigences du programme au motif que « Tous les sanitaires Elémentaire du RDC sont uniquement accessibles depuis la cour (sauf sanitaire adulte) alors qu’une salle de classe et la salle polyvalente sont présentes à ce niveau », alors que les réquisitions du programme exigeaient : « Un bloc sanitaire pour filles et garçons spacieux et suffisamment capacitaire pour l’élémentaire sera prévu, accessible uniquement depuis la cour ». En estimant que l’offre du groupement était non conforme sur ce point aux exigences du programme, le pouvoir adjudicateur a dénaturé l’offre présentée par le groupement.
10. Il ressort de l’analyse de l’offre du groupement dont la société requérante est mandataire que cette offre a été jugé non conforme aux exigences du programme au motif que la cour élémentaire qui comprend « 1120 m² annoncés pour les jeux sur les 1680 m² de cour (1750 m² programmé) » est sous-dimensionnée. Cette appréciation, qui procède à l’exclusion des zones comprenant des plantations, est erronée, alors qu’aucune clause du programme n’exclut ces zones du calcul de la superficie de cour élémentaire. Si la commune de Bois-Colombes soutient en défense que la surface de 1750 m² excluait les zones comprenant des plantations, ce moyen de défense ne s’appuie pas sur une clause figurant dans les documents applicables à ce marché. En estimant que l’offre du groupement était sur ce point non conforme aux exigences du programme, le pouvoir adjudicateur a dénaturé l’offre présentée par le groupement.
11. Il ressort de l’analyse de l’offre du groupement dont la société requérante est mandataire que son offre a été jugé non conforme aux exigences du programme au motif que le préau maternelle est jugé « peu éclairé naturellement », alors que l’offre du groupement comporte un préau avec une façade vitrée sur la moitié de sa superficie, qui est conforme aux exigences sur ce point du programme. En estimant que l’offre du groupement était sur ce point non conforme aux exigences du programme, le pouvoir adjudicateur a dénaturé l’offre présentée par le groupement.
12. Il ressort de l’analyse de l’offre du groupement dont la société requérante est mandataire que cette offre a été jugé non conforme aux exigences du programme au motif qu’elle comprenait ” trois grandes salles de réunion en second jour en RDC et R+2 “, alors qu’aucune clause du programme défini par la commune n’imposait un éclairage naturel pour les surfaces dévolues aux salles de réunion et que cette exigence était exclusivement prévue par les bureaux.
13. Il résulte de ce qui précède que la société requérante est fondée à soutenir que la pouvoir adjudicateur a dénaturé son offre. Eu égard au fait que le groupement a obtenu la note maximale au critère « prix », la société requérante établit que ce manquement était susceptible de l’avoir été lésée, fût-ce de façon indirecte, en avantageant une entreprise concurrente.
14. Eu égard à la nature du manquement tiré de la méconnaissance de l’article L. 2152-9 du code de la commande publique qui implique de compléter les documents du marché en ajoutant un critère d’appréciation de la valeur des offres prenant en compte la part réservée aux PME et artisans, cette irrégularité implique l’annulation de la totalité de la procédure de passation du marché de conception-réalisation pour l’aménagement partiel de l’ilot Paul Bert (n° 223M031) à Bois-Colombes.
Sur les frais liés au litige :
15. La SAS Société urbaine de travaux n’étant pas la partie perdante à l’instance, les conclusions de la commune de Bois-Colombes présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Bois-Colombes la somme de 1 500 euros à verser à la SAS Société urbaine de travaux sur le fondement de ces mêmes dispositions.
O R D O N N E :