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Publié le 15 Août 2024

Concessions : une méthode de notation ne peut pas faire prévaloir le rang de classement sur la note obtenue

CE, 7 juin 2024, société RATP Développement, n° 489404

Ce qu’il faut retenir :

Si l’autorité concédante est libre dans la détermination de sa méthode de notation des critères, c’est sous réserve d’une absence de neutralisation de ces derniers ou de leur hiérarchisation. À ce titre, est illégale la méthode de notation qui consiste à faire prévaloir le rang de classement obtenu sur la note obtenue au titre de chacun des critères d’attribution.

Enseignement n° 1 : Le constat d’une méthode de notation irrégulière ne suffit pas à fonder une sanction de la procédure d’attribution

L’article L. 551-10 du code de justice administrative ouvre le référé précontractuel aux personnes « qui ont un intérêt à conclure le contrat (…) et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué ». Dans son arrêt SMIRGEOMES, le Conseil d’État a posé une règle d’interprétation stricte de cet article (CE, 3 oct. 2008, n°305420), en jugeant qu’il appartient au juge du référé précontractuel de vérifier que le vice allégué est susceptible d’avoir lésé l’entreprise qui l’invoque eu égard à sa portée et au stade de la procédure auquel il se rapporte.

Bien que largement assouplie par la jurisprudence plus récente, qui admet notamment qu’un soumissionnaire ayant déposé une offre irrégulière puisse contester la régularité de l’offre attributaire alors même que cela ne rendrait pas son offre régulière pour autant (CE, 27 mai 2020, Sté Clean Building, n° 435982), cette condition persiste. Le Conseil d’État le rappelle d’ailleurs au premier juge de l’affaire en l’espèce.

Le tribunal administratif s’était arrêté au constat de l’irrégularité de la méthode de notation mise en œuvre pour accueillir la demande en référé. Or, ce juge du référé aurait dû rechercher si, eu égard aux appréciations portées sur les offres des sociétés requérantes, celles-ci n’étaient pas, en tout état de cause, insusceptibles de se voir attribuer le contrat. Car le cas échéant, le moyen, bien que fondé, n’aurait pu prospérer et entraîner la sanction de la procédure.

Enseignement n° 2 : Est illégale la méthode de notation qui consiste à faire prévaloir le rang de classement obtenu sur la note obtenue au titre de chaque critère

En l’occurrence, la critique portait sur la méconnaissance de l’article L. 3124-5 du code de la commande publique, qui prévoit que la concession doit être attribué à l’offre qui présente le meilleur avantage économique global au regard d’une pluralité de critères, et dont l’article R. 3124-5 précise que ces critères doivent être hiérarchisés.

De jurisprudence constante, et à l’instar de la règle en matière de marchés, l’autorité concédante peut fixer librement sa méthode de notation des critères d’attribution de la concession, du moment que celle-ci n’aboutit pas à priver de leur portée les critères – pour la mise en œuvre de chaque critère, la meilleure offre doit être la mieux classée – ou à neutraliser leur hiérarchisation – l’offre présentant le meilleur avantage économique globale au regard de l’ensemble des critères doit être retenue. Une méthode de notation irrégulière à cet égard ne peut être purgée de son vice par le fait qu’elle a été communiquée aux candidats à l’attribution (CE, 3 mai 2022, Cne de Saint-Cyr-sur-Mer, n°460090).

En l’espèce, la méthode de notation retenue consistait à classer les offres au regard de chacun des critères d’appréciation, autrement dit à attribuer un rang de classement aux différentes offres, au titre de chaque critère, et au lieu d’une note chiffrée. Ainsi que le rappelle le Conseil d’État, l’autorité concédante n’a aucune obligation de traduire en notes chiffrées l’appréciation qu’elle porte sur la valeur d’une offre (CE, 3 mai 2022, précité). Cependant l’autorité en l’espèce avait également associé des coefficients de pondération à chaque critère, qu’elle avait appliqués aux différents rangs de classement obtenus pour ensuite convertir la moyenne ainsi obtenue en note globale. Or, par ce choix d’une attribution sur la moyenne pondérée des rangs de classement, « qui ne reflètent que très imparfaitement les écarts de valeur entre les offres », l’autorité concédante a ainsi neutralisé la hiérarchisation des critères qu’elle avait retenue.

S’il fallait encore s’en convaincre, le juge relève que les entreprises requérantes pouvaient se démontrer susceptibles d’avoir été lésé par cette irrégularité, dans la mesure où leurs offres étaient mieux classées sur l’un au moins des critères d’appréciation. La procédure est donc annulée dans son intégralité.


CE, 7 juin 2024, société RATP Développement, n° 489404

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois de la communauté d’agglomération Quimper Bretagne Occidentale et de la société RATP Développement sont dirigés contre la même ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rennes. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par avis d’appel public à la concurrence publié le 8 juillet 2022, la communauté d’agglomération Quimper Bretagne Occidentale a lancé une procédure de consultation en vue du renouvellement de la délégation de service public portant sur la gestion des services de mobilités de la communauté d’agglomération pour la période 2024-2030. Les sociétés Keolis et Transdev ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes d’annuler les décisions de la communauté d’agglomération rejetant leurs offres et attribuant la délégation de service public à la société RATP Développement, ainsi que l’ensemble de la procédure tendant à la passation de ce contrat. Par une ordonnance du 31 octobre 2023, contre laquelle la communauté d’agglomération et la société RATP Développement se pourvoient en cassation, le juge des référés a fait droit à cette demande.

Sur les pourvois :

3. Aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative : ” Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat “. Selon le I de l’article L. 551-2 du même code : ” Le juge peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations “. Aux termes de l’article L. 551-10 du même code : ” Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat ou à entrer au capital de la société d’économie mixte à opération unique et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué, ainsi que le représentant de l’Etat dans le cas où le contrat doit être conclu par une collectivité territoriale, un groupement de collectivités territoriales ou un établissement public local. () “.

4. En vertu des dispositions de l’article L. 551-10 du code de justice administrative, les personnes habilitées à engager le recours prévu à l’article L. 551-1 en cas de manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué. Il appartient dès lors au juge du référé précontractuel de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.

5. Il ressort des énonciations de l’ordonnance attaquée que le juge des référés a estimé que la méthode d’évaluation des offres utilisée par l’autorité délégante était entachée d’irrégularité au motif que la notation exclusivement fondée sur le classement des offres sur chaque critère ne permettait pas de garantir que l’offre présentant le meilleur avantage économique global soit choisie. En se fondant, pour accueillir le recours des sociétés Keolis et Transdev, sur ce que ces sociétés avaient nécessairement été lésées par un tel manquement, sans rechercher si, eu égard aux appréciations portées par cette autorité sur leurs offres, ces sociétés n’étaient pas, en toute hypothèse, insusceptibles de se voir attribuer le contrat litigieux, le juge des référés a commis une erreur de droit et a ainsi méconnu son office.

6. Par suite, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés par les deux pourvois, la communauté d’agglomération Quimper Bretagne Occidentale et la société RATP Développement sont fondées à demander l’annulation de l’ordonnance qu’elles attaquent.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur le règlement de l’affaire au titre de la procédure de référé engagée :

8. En premier lieu, aux termes de l’article L. 3124-5 du code de la commande publique : ” Le contrat de concession est attribué au soumissionnaire qui a présenté la meilleure offre au regard de l’avantage économique global pour l’autorité concédante sur la base de plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet du contrat de concession ou à ses conditions d’exécution. Lorsque la gestion d’un service public est concédée, l’autorité concédante se fonde également sur la qualité du service rendu aux usagers. / Les critères d’attribution n’ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l’autorité concédante et garantissent une concurrence effective. Ils sont rendus publics dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat. / Les modalités d’application du présent article sont prévues par voie réglementaire “. Selon l’article R. 3124-5 de ce code : ” L’autorité concédante fixe les critères d’attribution par ordre décroissant d’importance. Leur hiérarchisation est indiquée dans l’avis de concession, dans l’invitation à présenter une offre ou dans tout autre document de la consultation. () “. Aux termes de l’article R. 3124-6 du même code : ” Les offres qui n’ont pas été éliminées en application de l’article L. 3124-2 sont classées par ordre décroissant sur la base des critères prévus aux articles R. 3124-4 et R. 3124-5. / L’offre la mieux classée est retenue “.

9. L’autorité concédante définit librement la méthode d’évaluation des offres au regard de chacun des critères d’attribution qu’elle a définis et rendus publics. Elle peut ainsi déterminer tant les éléments d’appréciation pris en compte pour son évaluation des offres que les modalités de leur combinaison. Une méthode d’évaluation est toutefois entachée d’irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d’appréciation pris en compte pour évaluer les offres au titre de chaque critère d’attribution sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l’évaluation ou si les modalités d’évaluation des critères d’attribution par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l’ensemble des critères, à ce que l’offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que l’autorité concédante, qui n’y est pas tenue, aurait rendu publique, dans l’avis d’appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode d’évaluation.

10. Il résulte de l’instruction que la méthode d’évaluation mise en œuvre en l’espèce par l’autorité concédante a consisté, conformément aux dispositions du règlement de la consultation, à classer les offres au regard de chacun des critères d’appréciation puis à attribuer à chaque offre une note correspondant à la moyenne des rangs de classement obtenus sur chaque critère, pondérée par le coefficient associé à chaque critère. L’offre retenue est celle ayant obtenu, en application de cette méthode, la note la plus basse. En faisant ainsi le choix, alors même qu’elle n’était en rien tenue de traduire en notes chiffrées l’appréciation qu’elle portait sur la valeur respective des offres, d’un mode d’attribution de la concession litigieuse fondé sur la moyenne pondérée des rangs de classement des offres au regard de chacun des critères d’attribution, alors que le classement ne reflète que très imparfaitement les écarts de valeur entre les offres, l’autorité concédante a retenu une méthode d’évaluation susceptible de conduire à ce que, au regard de l’ensemble des critères, l’offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie. Dans ces conditions, les sociétés Keolis et Transdev sont fondées à soutenir que la méthode d’évaluation mise en œuvre par l’autorité concédante est entachée d’irrégularité.

11. Dès lors que les offres de ces deux sociétés étaient mieux classées, sur l’un au moins des critères d’appréciation, que celle de la société RATP Développement retenue par l’autorité concédante, l’utilisation de cette méthode d’évaluation est susceptible de les avoir lésées.

12. Eu égard à la nature et à la portée du manquement constaté, qui affecte le règlement de la consultation, les sociétés Keolis et Transdev sont fondées à demander l’annulation de la procédure contestée dans son intégralité.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la communauté d’agglomération Quimper Bretagne Occidentale et de la société RATP Développement, pour l’ensemble de la procédure, une somme de 2 000 euros chacune à verser, d’une part, à la société Keolis et, d’autre part, à la société Transdev au titre de l’article 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de ces deux dernières sociétés qui ne sont pas, dans les présentes instances, les parties perdantes.

D E C I D E :
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  • Article 1er : L’ordonnance du 31 octobre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Rennes est annulée.
  • Article 2 : La procédure de consultation et de mise en concurrence engagée par la communauté d’agglomération Quimper Bretagne Occidentale pour le renouvellement de la délégation de service public portant sur la gestion des services de mobilités de la communauté d’agglomération est annulée.
  • Article 3 : La communauté d’agglomération Quimper Bretagne Occidentale et la société RATP Développement verseront une somme de 2 000 euros chacune, d’une part, à la société Keolis et, d’autre part, à la société Transdev au titre de l’article 761-1 du code de justice administrative. Leurs conclusions présentées sur le même fondement sont rejetées.
  • Article 4 : La présente décision sera notifiée à la communauté d’agglomération Quimper Bretagne Occidentale, à la société RATP Développement, à la société Keolis et à la société Transdev.

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Table des matières
attribution de contrat,
classement des offres,
concession publique,
Concession service public,
critères d'attribution,
hiérarchisation des critères,
Méthode de notation,
Méthode de notation irrégulière,
n° 489404,
procédure d'attribution,
société RATP Développement,
transparence des marchés publics,
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