Les commentaires publics et négatifs des agents prenant part à la procédure d’attribution, visant un des candidats à l’attribution, ne constituent pas automatiquement une violation du principe d’impartialité. Le juge administratif tient compte de la modération des propos et de leur contexte pour déterminer s’il existe un parti pris ou une animosité personnelle.
Depuis un arrêt Applicam du 14 octobre 2015, le Conseil d’État juge avec constance que « le principe d’impartialité, principe général du droit, s’impose au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative » et que « sa méconnaissance est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence » (CE, 14 octobre 2015, Sté Applicam et Revetsens, n°390968).
Dans une ordonnance du 12 janvier 2014 (n°2315368), le tribunal administratif de Montreuil avait annulé sur ce fondement la procédure de passation d’une délégation de service public. En l’espèce, le candidat évincé était aussi le délégataire sortant. Le président délégué de la commission de délégation de service public qui avait signé le rapport d’analyse des offres avait également tenu, sur un réseau social, des propos négatifs à son encontre.
En réponse au message d’un internaute relatif au marché de Sevran, le président délégué de la commission avait déclaré en commentaire que : ” Ce marché est mal géré. C’est dommage car il est très fréquenté. Et les incivilités font fuir les clients du centre-ville. Le bail de concessionnaire du marché doit être renouvelé en janvier prochain, c’est l’occasion de le réformer pour qu’il soit plus diversifié et qu’on y trouve plus de commerces de qualité “.
Saisi de l’affaire, le Conseil d’État est venu casser la décision du tribunal administratif. L’appréciation d’une violation du principe d’impartialité se veut en effet concrète et non pas arrêtée à la seule théorie des apparences. Il est ainsi tenu compte de ce que « la modération des propos et le contexte de cette publication ne révélaient ni parti pris ni animosité personnelle à l’encontre de » la société requérante.
Poursuivant son examen de l’affaire, le Conseil d’État se prononce sur les autres moyens et notamment celui tiré de l’irrégularité de la méthode de notation des critères d’attribution. À ce titre, il rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’autorité concédante peut fixer librement sa méthode de notation, du moment que celle-ci n’aboutit pas à priver de leur portée les critères – pour la mise en œuvre de chaque critère, la meilleure offre doit être la mieux classée – ou à neutraliser leur hiérarchisation – l’offre présentant le meilleur avantage économique global au regard de l’ensemble des critères doit être retenue (CE, 7 juin 2024, Communauté d’agglomération Quimper Bretagne Occidentale et société RATP Développement, n° 489404).
Écartant le moyen, il précise que si la société requérante soutient « que la méthode d’évaluation du critère financier mise en œuvre par la commune conduirait, selon elle, à évaluer plus favorablement un candidat qui aurait moins bien construit son programme de travaux et moins bien négocié le prix de ceux-ci, elle n’établit pas que cette méthode serait irrégulière ». La question de la régularité des méthodes de notation est ainsi dissociée de la question de leur pertinence, toute méthode irrégulière étant nécessairement impertinente mais toute méthode impertinente n’étant pas nécessairement irrégulière !
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un avis d’appel public à la concurrence publié le 30 juin 2023, la commune de Sevran a lancé une procédure ouverte tendant à la conclusion d’une délégation de service public pour la gestion du marché forain de la ville pour une durée de soixante mois non renouvelable. Deux candidatures ont été déposées, émanant de la société SOMAREP, délégataire sortant, et de la société Les Fils de Madame A…. Ces deux sociétés ont été admises à présenter des offres. Le conseil municipal de Sevran a décidé d’attribuer cette délégation à la seconde de ces sociétés par une délibération adoptée le 14 décembre 2023. Saisi par la société SOMAREP, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a, sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, annulé cette procédure de passation par une ordonnance du 12 janvier 2024. Le pourvoi de la commune de Sevran doit être regardé comme dirigé contre les articles 1er et 2 de cette ordonnance, qui seuls lui font grief.
2. Aux termes, d’une part, de l’article L. 3 du code de la commande publique : ” Les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d’égalité de traitement des candidats à l’attribution d’un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d’accès et de transparence des procédures, dans les conditions définies dans le présent code (…) “.
3. Aux termes, d’autre part, de l’article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales : ” I. – Une commission analyse les dossiers de candidature et dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières, de leur respect de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés prévue aux articles L. 5212-1 à L. 5212-4 du code du travail et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l’égalité des usagers devant le service public. / Au vu de l’avis de la commission, l’autorité habilitée à signer la convention de délégation de service public peut organiser librement une négociation avec un ou plusieurs soumissionnaires dans les conditions prévues par l’article L. 3124-1 du code de la commande publique. Elle saisit l’assemblée délibérante du choix de l’entreprise auquel elle a procédé. Elle lui transmet le rapport de la commission présentant notamment la liste des entreprises admises à présenter une offre et l’analyse des propositions de celles-ci, ainsi que les motifs du choix de la candidate et l’économie générale du contrat. / II. – La commission est composée : / a) Lorsqu’il s’agit (…) d’une commune de 3 500 habitants et plus (…), par l’autorité habilitée à signer la convention de délégation de service public ou son représentant, président, et par cinq membres de l’assemblée délibérante élus en son sein à la représentation proportionnelle au plus fort reste ; (…) “. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 1411-7 de ce même code : ” Deux mois au moins après la saisine de la commission prévue à l’article L. 1411-5, l’assemblée délibérante se prononce sur le choix du délégataire et la convention de délégation de service public “.
4. Au nombre des principes généraux du droit qui s’imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d’impartialité, dont la méconnaissance est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.
5. Il résulte des pièces du dossier soumis au juge des référés que le message d’un internaute publié sur le réseau social ” Facebook ” le 7 août 2023, relatif au marché de Sevran, a suscité une réaction du conseiller municipal, président délégué de la commission prévue par l’article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales, lequel a déclaré en commentaire sous ce message que : ” Ce marché est mal géré. C’est dommage car il est très fréquenté. Et les incivilités font fuir les clients du centre-ville. Le bail de concessionnaire du marché doit être renouvelé en janvier prochain, c’est l’occasion de le réformer pour qu’il soit plus diversifié et qu’on y trouve plus de commerces de qualité “.
6. En jugeant que ce commentaire constituait une atteinte à l’impartialité de l’autorité concédante, alors que la modération des propos et le contexte de cette publication ne révélaient ni parti pris ni animosité personnelle à l’encontre de la société SOMAREP, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’autre moyen du pourvoi, que la commune de Sevran est fondée à demander l’annulation des articles 1er et 2 de l’ordonnance qu’elle attaque.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
9. En premier lieu, ainsi qu’il a été dit au point 6, le commentaire publié par le conseiller municipal, président délégué de la commission prévue par l’article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales, ne constitue pas un manquement à l’impartialité.
10. En deuxième lieu, il résulte de l’instruction que l’avis de concession publié par la commune de Sevran estimait une valeur de la concession à 1 euro. Toutefois, le moyen tiré de ce que la commune n’a pas mentionné la valeur estimée du contrat de concession ne peut être regardé, dans les circonstances de l’espèce, comme ayant été susceptible de léser la société SOMAREP qui n’a pas été dissuadée de remettre une candidature, et qui était, au surplus, en mesure de demander des précisions au cours des négociations.
11. En troisième lieu, aux termes de l’article R. 3123-16 du code de la commande publique : ” Le candidat produit, à l’appui de sa candidature, une déclaration sur l’honneur attestant : / 1° Qu’il ne fait l’objet d’aucune exclusion de la participation à la procédure de passation des contrats de concession prévue aux articles L. 3123-1 à L. 3123-14 ; / 2° Que les renseignements et documents relatifs à ses capacités et à ses aptitudes, exigés en application des articles L. 3123-18, L. 3123-19 et L. 3123-21 et dans les conditions fixées aux articles R. 3123-1 à R. 3123-8, sont exacts “. Aux termes de l’article R. 3123-17 du même code : ” Le candidat produit, au plus tard avant l’attribution du contrat, tout document attestant qu’il ne fait l’objet d’aucune exclusion de la participation à la procédure de passation des contrats de concession prévue aux articles L. 3123-1 à L. 3123-14 “. Aux termes de l’article R. 3123-20 du même code : ” Avant de procéder à l’examen des candidatures, l’autorité concédante qui constate que manquent des pièces ou informations dont la production était obligatoire conformément aux dispositions des articles R. 3123-1 à R. 3123-8 et aux articles R. 3123-16 à R. 3123-19 peut demander aux candidats concernés de compléter leur dossier de candidature dans un délai approprié. (…) “.
12. Il résulte de l’instruction que, contrairement à ce que soutient la société SOMAREP, la société Les fils de Madame A…, attributaire de la concession en litige, a remis, en temps utile, la déclaration sur l’honneur prévue à l’article R. 3123-16 du code de la commande publique et les documents requis par l’article R. 3123-17 du même code. Par ailleurs, aucun texte ni aucun principe n’impose aux acheteurs publics de reproduire dans le règlement de la consultation les dispositions de ce code. Enfin, il résulte de l’article 23 du règlement de la consultation que, sauf dans le cas où la commune en demandait la production sous huit jours, le candidat attributaire pouvait produire jusqu’à la signature du contrat les certificats délivrés par les administrations et organismes compétents prouvant qu’il a satisfait à ses obligations fiscales et sociales. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de ces dispositions et stipulations doivent être écartés.
13. En quatrième lieu, la société SOMAREP n’apporte aucun élément qui permettrait d’estimer qu’un manquement de la commune à son obligation, prévue à l’article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales, de vérification du respect, par les entreprises candidates, de leurs obligations d’emploi de travailleurs handicapés, eu égard à sa portée et au stade de la procédure auquel ce manquement se rapporte, l’avait lésée ou était susceptible de la léser, fût-ce de façon indirecte, en avantageant une entreprise concurrente. Il en résulte que le moyen tiré de ce que la procédure de passation de la concession serait irrégulière pour s’être déroulée en méconnaissance des dispositions de cet article doit être écarté, y compris en ce qu’il est tiré de ce que l’attestation de l’URSSAF produite ne concerne pas la société Les fils de Madame A…, attributaire, mais la société A… gestion sur les capacités de laquelle elle avait au demeurant déclaré s’appuyer pour présenter sa candidature.
14. En cinquième lieu, contrairement à ce que soutient la société SOMAREP, il résulte de l’instruction que c’est le maire de la commune qui a saisi le conseil municipal du choix de l’entreprise auquel il avait procédé et non la commission prévue à l’article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit dès lors, et en tout état de cause, être écarté.
15. En sixième lieu, il n’appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par l’autorité concédante, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d’un contrat, de se prononcer sur l’appréciation portée sur la valeur d’une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu’il est saisi d’un moyen en ce sens, de vérifier que l’autorité concédante n’a pas dénaturé le contenu d’une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l’attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d’égalité de traitement des candidats. Il ne résulte pas de l’instruction que le contenu de l’offre finale de la société SOMAREP aurait été dénaturé par la commune de Sevran.
16. En septième lieu, l’autorité concédante définit librement la méthode d’évaluation des offres au regard de chacun des critères d’attribution qu’elle a définis et rendus publics. Elle peut ainsi déterminer tant les éléments d’appréciation pris en compte pour son évaluation des offres que les modalités de leur combinaison. Une méthode d’évaluation est toutefois entachée d’irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d’appréciation pris en compte pour évaluer les offres au titre de chaque critère d’attribution sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l’évaluation ou si les modalités d’évaluation des critères d’attribution par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l’ensemble des critères, à ce que l’offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que l’autorité concédante, qui n’y est pas tenue, aurait rendu publique, dans l’avis d’appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode d’évaluation. Si la société SOMAREP soutient que la méthode d’évaluation du critère financier mise en œuvre par la commune conduirait, selon elle, à évaluer plus favorablement un candidat qui aurait moins bien construit son programme de travaux et moins bien négocié le prix de ceux-ci, elle n’établit pas que cette méthode serait irrégulière.
17. Il résulte de ce qui précède que la demande présentée par la société SOMAREP devant le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil doit être rejetée.
18. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société SOMAREP la somme de 3 000 euros à verser à la commune de Sevran au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
DÉCIDE :
————–
Article 1er : Les articles 1er et 2 de l’ordonnance du 12 janvier 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Montreuil sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par la société SOMAREP devant le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil est rejetée.
Article 3 : La société SOMAREP versera à la commune de Sevran la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ses conclusions présentées au même titre devant le Conseil d’Etat sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Sevran, à la société des marchés de la région parisienne et à la société Les fils de Madame A….