Les « sanctions comparables » à une résiliation ou une condamnation à des dommages et intérêts ne peuvent inclure les actions de la victime dans le cadre d’une procédure pénale tant que celle-ci est en cours. Les simples mises en demeure, les sanctions infligées par un tiers et les amendes de faible montant ne peuvent pas non plus être qualifiées de « sanctions comparables » propres à fonder une exclusion de procédure.
L’article L.2141-7 du code de la commande publique prévoit un cas d’exclusion de la procédure de passation d’un marché à l’appréciation de l’acheteur. L’article L3123-7 en reprend la substance au profit des autorités concédantes. Cette disposition autorise les pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices à exclure toute personne ayant, au cours des trois dernières années, été condamnée à verser des dommages et intérêts, sanctionnée par une résiliation ou une mesure comparable en raison d’un manquement grave ou répété à ses obligations contractuelles lors de l’exécution d’un précédent contrat de la commande publique.
Peu appliquées, ces dispositions ont néanmoins été mises en œuvre, dans des conditions particulières, dans l’affaire portée devant le Tribunal administratif de Marseille le 2 décembre 2024.
La communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles avait entendu exclure de sa procédure de marché la société ENSO au motif d’un manquement gravement à ses obligations contractuelles envers la métropole de Nice dans l’exécution d’un marché précédent. Toutefois, ce motif reposait uniquement sur le contenu d’un reportage télévisé qui faisait état d’une information judiciaire (procédure pénale) …
Dans son ordonnance, le tribunal administratif interroge la notion de « sanction comparable » à des dommages et intérêts ou une résiliation, évoquée par l’article L. 2141-7 du code. En l’occurrence, il note qu’aucune mesure de résiliation ni aucune condamnation pécuniaire n’a été adoptée ou demandée par la métropole de Nice à la suite du reportage en question.
De plus, concernant la procédure pénale, le fait que celle-ci soit toujours en cours s’oppose à la qualification, éventuelle, de « sanction comparable » s’agissant d’un dépôt de plainte ou de la constitution de partie civile. Une solution inverse semble pouvoir être retenue aux yeux du tribunal, dans le cas où la procédure pénale aurait abouti à une condamnation. Cette hypothèse viendrait ainsi s’ajouter à la liste des mesures comparables à une résiliation ou une condamnation pécuniaire pour manquements graves aux obligations nées d’un contrat de commande publique.
Reste qu’en l’espèce, le contenu du reportage n’est absolument pas pertinent pour fonder l’exclusion de l’opérateur économique.
Dans un second temps, le tribunal administratif rejette sans nuance la qualification de « sanction comparable » s’agissant d’une mise en demeure adressée par le préfet des Alpes-Maritimes dans le cadre de l’exécution d’un précédent marché public.
Il procède de même s’agissant d’une amende administrative d’un montant de 5.000 euros, infligée par ailleurs non pas à la société ENSO directement mais à la société ENSO Aix-la-Duranne, dont les personnalités juridiques ne se confondent pas. Son rejet se fonde sur un double argument, qui disqualifie ce faisant deux types de mesures de la catégorie des « sanctions comparables ».
Tout d’abord, il souligne que l’amende n’a pas été infligée par le cocontractant, quand bien même elle vient sanctionner des manquements dans le cadre de l’exécution d’un marché public. Cette lecture restrictive n’est pourtant pas imposée, ni par le code de la commande publique, ni par l’article 57 de la directive du 26 février 2014 d’ailleurs mentionnée par le tribunal. En effet, ces dispositions n’évoquent expressément que la nature du manquement et la nature de la sanction, mais pas l’auteur de cette dernière !
Ensuite, le tribunal que l’amende administrative, à supposer qu’elle pourrait par sa nature prétendre à la qualification de « sanction comparable », ne peut pas en l’espèce, « au regard de son montant modique » être regardée comme comparable à une résiliation ou à des dommages-intérêts. Si une telle interprétation, là encore, ne découle pas de la lettre-même des dispositions examinées, elle se déduit néanmoins directement de leur finalité.
Dans ces conditions, le tribunal conclut à l’annulation partielle de la procédure de passation en ordonnant la réintégration de la candidature de la société ENSO, sauf autre motif valable d’exclusion de candidature.
Considérant ce qui suit :
1. La communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles a soumis à la concurrence un marché portant sur le transport et le traitement de déchets de déchetterie. La société ENSO a candidaté pour le lot n° 10 relatif au traitement des encombrants. Par un courrier du 6 novembre 2024, la communauté de communes a informé la société ENSO qu’elle l’excluait du marché sur le fondement des dispositions de l’article L. 2141-7 du code de la commande publique. La société ENSO demande à titre principal l’annulation de cette décision.
2. Aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative : ” Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique () “. Aux termes de l’article L. 551-2 du même code : ” I.- Le juge peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations () “.
3. Aux termes de l’article L. 2141-7 du code de la commande publique : ” L’acheteur peut exclure de la procédure de passation d’un marché les personnes qui, au cours des trois années précédentes, ont dû verser des dommages et intérêts, ont été sanctionnées par une résiliation ou ont fait l’objet d’une sanction comparable du fait d’un manquement grave ou persistant à leurs obligations contractuelles lors de l’exécution d’un contrat de la commande publique antérieur “. Aux termes de l’article 57 de la directive du 26 février 2014 : ” () 4. Les pouvoirs adjudicateurs peuvent exclure ou être obligés par les États membres à exclure tout opérateur économique de la participation à une procédure de passation de marché dans l’un des cas suivants : () g) des défaillances importantes ou persistantes de l’opérateur économique ont été constatées lors de l’exécution d’une obligation essentielle qui lui incombait dans le cadre d’un marché public antérieur, d’un marché antérieur passé avec une entité adjudicatrice ou d’une concession antérieure, lorsque ces défaillances ont donné lieu à la résiliation dudit marché ou de la concession, à des dommages et intérêts ou à une autre sanction comparable () “.
4. En premier lieu, la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles a entendu exclure la société requérante au motif qu’elle aurait manqué gravement à ses obligations contractuelles envers la métropole de Nice dans l’exécution d’un marché de traitement de déchets, au regard de ce qui aurait été révélé par une émission de télévision. Toutefois, il ne résulte pas de l’instruction que la métropole de Nice aurait, à la suite de ce reportage, résilié le marché, que la société ENSO aurait dû verser une indemnité à la métropole ou que la société aurait fait l’objet d’une sanction comparable. À cet égard, à supposer même qu’il soit établi que la métropole de Nice aurait porté plainte et se serait constituée partie civile à l’encontre de la société ENSO dans le cadre de l’information judiciaire relative aux faits dont faisait état le reportage télévisé, ces circonstances ne peuvent être regardées comme constituant une sanction comparable au sens des dispositions précitées dès lors que cette procédure pénale serait toujours en cours. La circonstance que le préfet des Alpes-Maritimes a mis en demeure le 28 avril 2023 la société ENSO de respecter quatre obligations dans le cadre de l’exploitation d’une installation classée ne constitue pas non plus une sanction, et ce d’autant moins qu’il résulte d’un courrier du 3 octobre 2023 que la société ENSO, en tout état de cause, s’est conformée à cet arrêté.
5. En second lieu, la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles a reproché à la société ENSO la circonstance qu’une amende administrative d’un montant de 5 000 euros et une astreinte ont été mises à la charge de la société ENSO Aix-la Duranne par des arrêtés du préfet des Bouches-du-Rhône du 14 juin 2024, postérieurement à un arrêté de mise en demeure du 4 juillet 2023, en raison respectivement de dépassements répétés du volume autorisé de déchets présente sur l’installation qu’elle exploite et des conditions de stockage de déchets compostés. À supposer même que la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles puisse se fonder sur des faits reprochés à une autre société que la société candidate au marché, il ne résulte pas de l’instruction que le ou les marchés dont serait titulaire la société ENSO Aix-la Duranne, aucune précision n’étant apportées sur ce point, auraient été résiliés en raison de ces faits ou que la société aurait dû verser des indemnités à son ou ses co-contractants, qui restent indéterminés, ou qu’elle aurait fait l’objet d’une sanction comparable de leur part. Enfin l’amende administrative d’un montant de 5 000 euros, qui n’a pas été infligée par le co-contractant, à supposer, encore une fois, qu’elle pourrait constituer une sanction au sens des dispositions précitées, ne saurait être regardée, au regard de son montant modique, comme une sanction comparable à des dommages et intérêts ou une résiliation du fait d’un manquement grave ou persistant à des obligations contractuelles.
6. Il résulte de ce qui précède que la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles a fait une inexacte application des dispositions de l’article L. 2141-7 du code de la commande publique qui a lésé les intérêts de la société ENSO dès lors que cette illégalité a conduit à son exclusion. Par suite, la décision du 6 novembre 2024 par laquelle la communauté de communes a exclu la société ENSO de la procédure de passation du marché en cause doit être annulée. Par voie de conséquence, et alors que la communauté de communes n’allègue pas que la société ENSO n’avait aucune chance de se voir attribuer le contrat, la décision par laquelle la communauté de communes a attribué le marché à la société Suez RV Méditerranée doit également être annulée et il doit être enjoint à la communauté de communes vallée des Baux-Alpilles de reprendre la procédure de passation du marché en cause au stade de l’analyse des offres, sous réserve que la candidature de la société ENSO ne puisse être écartée pour un autre motif que celui retenu par la décision du 6 novembre 2024.
7. En application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, les conclusions de la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles au titre des frais qu’elle a exposés et non compris dans les dépens doivent être rejetées. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société ENSO et non compris dans les dépens.
O R D O N N E :