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Publié le 06 Jan 2025

La modification de l’actionnariat du titulaire ne génère pas d’obligation de (re)vérifier sa fiabilité

CJUE 7 novembre 2024, Adusbef, n° C-683/22

Ce qu’il faut retenir :

Les modifications des contrats de commande publique doivent être motivées en application du principe de transparence. Un changement de l’actionnariat n’est pas une modification du contrat en cours et, à ce titre, ne génère aucune obligation pour l’autorité contractante de (re)vérifier la fiabilité du concessionnaire.

Enseignement n° 1 : Le principe de transparence impose de motiver le choix de modifier une concession sans organiser de nouvelle procédure d’attribution

L’article 43 de la directive 2014/23 régit les conditions de modification des contrats de concessions en cours. Ces dispositions sont reprises en substance aux articles L.3135-1 et suivants du code de la commande publique ainsi que leurs déclinaisons règlementaires. Cet ensemble donc « énumère de manière exhaustive les situations dans lesquelles une concession en cours peut être modifiée sans organiser de nouvelle procédure d’attribution ». C’est par le rappel de cette jurisprudence constante que, interrogée au sujet des conditions de modification autorisées des concessions, la Cour de justice de l’union européenne plante le décor dans son arrêt du 7 novembre 2024.

En l’espèce, l’autorité concédante avait procédé à la modification d’une concession autoroutière par voie de règlement amiable à la suite des conséquences désastreuses d’un manquement grave du titulaire (effondrement d’un pont). Par ce rappel, la Cour condamne donc fermement la possibilité d’apparition de nouveaux cas de modifications autorisés en dehors des textes.

Jugeant qu’il appartient aux juges nationaux d’apprécier si les conditions de ces dispositions sont réunies en l’espèce – en livrant au passages quelques « éléments d’interprétation pertinents » –, elle ajoute que tant le principe général de bonne administration que l’obligation de garantir la transparence en droit de la commande publique commandent, aux pouvoirs adjudicateurs, de motiver les décisions de modifier une concession en cours d’exécution sans nouvelle procédure de mise en concurrence (cons. 79 et 80).

Il est à noter que ce raisonnement parait parfaitement transposable aux modifications des marchés …

Enseignement n° 2 : Aucune règle de droit communautaire n’impose à l’autorité concédante d’évaluer la fiabilité d’un concessionnaire suite à une modification de son actionnariat

Dans un second temps, la Cour répond à la question de savoir si les « modifications » en cause dans le litige au principal pouvaient intervenir sans que l’autorité contractante n’ait à réévaluer la fiabilité du concessionnaire. En effet, d’une part, ces modifications impliquaient une recomposition de l’actionnariat – et donc des choix de gestion – du concessionnaire, et d’autre part la modification intervenait dans des circonstances où ledit concessionnaire avait commis ou était suspecté d’avoir commis un manquement contractuel grave.

La Cour identifie trois cas de figure distincts pour établir l’existence ou non d’une telle obligation.

En premier lieu, lorsque le pouvoir adjudicateur organise une procédure de mise en concurrence, les directives prévoient la faculté voire l’obligation d’apprécier l’intégrité et la fiabilité des opérateurs candidats à l’attribution. Ainsi, en cas de modification à apporter nécessitant une relance du contrat, l’autorité adjudicatrice devra procéder à une sélection et une évaluation qualitative de chaque candidat.

En deuxième lieu, lorsqu’un nouveau concessionnaire succède au premier dans le cadre d’une cession de contrat, à la suite d’opérations de restructuration de société, notamment de rachat, de fusion, d’acquisition ou d’insolvabilité, le nouveau concessionnaire doit remplir les critères de sélection qualitatifs établis initialement. Ainsi, en cas de modification apportées sans relance du contrat, l’autorité adjudicatrice devra également procéder à l’évaluation de la fiabilité du nouveau titulaire selon les mêmes critères de sélection que lors de la procédure d’attribution initiale.

En troisième et dernier lieu, les simples modifications dans la composition ou la répartition du capital social du concessionnaire ne peuvent être regardées comme des « modifications » du contrat, notamment pas du titulaire du contrat puisque la personnalité juridique persiste. Ce cas de figure n’est pas envisagé par les dispositions du droit de l’Union européenne et ne créé donc, à son niveau, aucune obligation à l’égard de l’autorité contractante quant à la (re)vérification de fiabilité du concessionnaire.

 


CJUE 7 novembre 2024, Adusbef, n° C-683/22

 

Sur la première question

48 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2014/23 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le pouvoir adjudicateur peut procéder à la modification d’une concession en cours, concernant la personne du concessionnaire et l’objet de cette concession, sans organiser de nouvelle procédure d’attribution de concession et sans avoir exposé les motifs pour lesquels il a considéré qu’il n’était pas tenu d’organiser une telle procédure.

49 Il y a lieu de relever que la modification de contrats de concession en cours est régie par l’article 43 de la directive 2014/23.

50 Partant, c’est à la lumière des dispositions de cet article qu’il y a lieu de répondre à la première question.

51 La Cour a déjà eu l’opportunité de préciser que ledit article a procédé à une harmonisation exhaustive des hypothèses dans lesquelles, d’une part, les concessions peuvent être modifiées sans pour autant que l’organisation d’une nouvelle procédure d’attribution de concession conforme aux règles établies par ladite directive soit nécessaire à cet effet et de celles dans lesquelles, d’autre part, une telle procédure d’attribution est requise en cas de modification des conditions de la concession (arrêt du 2 septembre 2021, Sisal e.a., C‑721/19 et C‑722/19, EU:C:2021:672, point 31).

52 En vertu de l’article 43, paragraphe 5, de la directive 2014/23, toute modification des dispositions d’une concession en cours exige, en principe, l’organisation d’une nouvelle procédure d’attribution, à l’exception des modifications visées aux paragraphes 1 et 2 de cet article.

53 Il résulte de ce qui précède que l’article 43, paragraphes 1 et 2, de cette directive énumère de manière exhaustive les situations dans lesquelles une concession en cours peut être modifiée sans organiser de nouvelle procédure d’attribution.

54 En l’occurrence, il est constant que, à la suite de l’effondrement du pont Morandi le 14 août 2018, la concession autoroutière octroyée à ASPI a été modifiée le 14 octobre 2021 par l’accord de règlement amiable sans qu’une nouvelle procédure d’attribution de concession ait été organisée.

55 Il importe de rappeler, à cet égard, que, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national (arrêt du 24 juillet 2023, Lin, C‑107/23 PPU, EU:C:2023:606, point 76).

56 Par conséquent, il appartient non pas à la Cour, mais au seul juge national d’apprécier, à la lumière de toutes les circonstances pertinentes, si chacune des modifications apportées par l’accord de règlement amiable à la concession autoroutière détenue par ASPI relève de l’un des cas de figure visés à l’article 43, paragraphes 1 et 2, de la directive 2014/23. Le cas échéant, il en résulterait que lesdites modifications pouvaient être apportées sans organiser de nouvelle procédure d’attribution de concession.

57 En revanche, si le juge national devait constater qu’une ou plusieurs de ces modifications ne relèvent d’aucun cas de figure envisagé à l’article 43, paragraphes 1 et 2, de cette directive, il faudrait en déduire que la ou les modifications concernées ont été réalisées en violation de l’obligation, établie à l’article 43, paragraphe 5, de ladite directive, d’organiser une nouvelle procédure d’attribution de concession.

58 En l’occurrence, la juridiction de renvoi ainsi que les parties ayant soumis des observations à la Cour ont évoqué la possibilité que les modifications apportées par l’accord de règlement amiable relèvent des dispositions de l’article 43, paragraphe 1, premier alinéa, sous c) à e), de la directive 2014/23. Il importe, à cet égard, de fournir à la juridiction de renvoi les éléments d’interprétation du droit de l’Union pertinents pour la résolution du litige au principal.

59 Tout d’abord, en vertu de l’article 43, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de cette directive, une concession en cours peut être modifiée sans nouvelle procédure d’attribution à condition, notamment, que la modification soit rendue nécessaire par des circonstances qu’un pouvoir adjudicateur diligent ne pouvait pas prévoir et qu’elle ne change pas la nature globale de la concession.

60 La juridiction de renvoi s’interroge sur l’applicabilité de cette disposition dans des circonstances où la modification apportée à la concession en cours est rendue nécessaire par un manquement contractuel de la part du concessionnaire, qui consisterait, en l’occurrence, en un manquement grave aux obligations d’entretien du réseau autoroutier dont l’exploitation a été concédée à ASPI.

61 Il appartient au seul juge national d’apprécier l’existence d’un tel manquement contractuel de la part du concessionnaire dans les circonstances du litige au principal ainsi que, le cas échéant, celle d’un rapport de causalité entre ce manquement et la modification apportée à la concession en cours.

62 Cela étant, d’une part, il ressort du considérant 75 de la directive 2014/23 que les contrats de concession font généralement intervenir des mécanismes techniques et financiers complexes et de long terme qui sont souvent soumis à un contexte évolutif, de sorte que le législateur de l’Union a estimé nécessaire de clarifier les conditions dans lesquelles des modifications apportées à une concession en cours d’exploitation exigent l’organisation d’une nouvelle procédure d’attribution de concession, en tenant compte de la jurisprudence de la Cour en la matière.

63 D’autre part, il résulte du considérant 76 de la directive 2014/23 que l’article 43, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de cette directive a pour objet de conférer aux pouvoirs adjudicateurs et aux entités adjudicatrices une certaine marge de manœuvre pour pouvoir adapter la concession à des circonstances extérieures qu’ils ne pouvaient pas prévoir au moment de l’attribution de celle-ci.

64 Or, un manquement contractuel de la part du concessionnaire ne saurait, en soi, être considéré comme une circonstance qu’un pouvoir adjudicateur diligent ne pouvait pas prévoir, au sens de l’article 43, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 2014/23. Par conséquent, compte tenu de la finalité de cette disposition, telle qu’elle résulte du considérant 76 de cette directive, un manquement du concessionnaire à ses obligations contractuelles n’est pas susceptible de justifier la modification d’une concession en cours sans ouverture à la concurrence.

65 En ce qui concerne, ensuite, l’article 43, paragraphe 1, premier alinéa, sous d), de la directive 2014/23, cette disposition établit les conditions dans lesquelles un nouveau concessionnaire peut remplacer le concessionnaire initial sans qu’il soit besoin d’organiser une nouvelle procédure d’attribution.

66 La juridiction de renvoi s’interroge sur l’applicabilité de cette disposition dans les circonstances du litige au principal, étant donné que l’accord de règlement amiable a entraîné une modification de la composition de l’actionnariat du concessionnaire, à savoir ASPI, décrite au point 21 du présent arrêt, et ayant entraîné un changement durable dans le contrôle d’ASPI.

67 À cet égard, il n’apparaît pas qu’une modification de la composition de l’actionnariat du concessionnaire puisse, en tant que telle, être considérée comme une modification de la concession elle-même, au sens de l’article 43, paragraphe 5, de la directive 2014/23.

68 De manière plus spécifique, les cessions de parts du capital social du concessionnaire, que ce soit au bénéfice de nouveaux actionnaires ou d’actionnaires existants, entraînent non pas le remplacement du concessionnaire initial par un nouveau concessionnaire, cas de figure envisagé à l’article 43, paragraphe 1, premier alinéa, sous d), de cette directive, mais seulement des modifications dans la composition ou dans la répartition du capital social de ce concessionnaire.

69 Dans la mesure où les modifications affectant le capital social du concessionnaire ne modifient pas la concession au sens de l’article 43, paragraphe 5, de la directive 2014/23, elles n’exigent pas l’organisation d’une nouvelle procédure d’attribution.

70 Enfin, il résulte de l’article 43, paragraphe 1, premier alinéa, sous e), de la directive 2014/23, lu en combinaison avec l’article 43, paragraphe 4, de cette directive, que les modifications qui ne sont pas « substantielles » ne doivent pas faire l’objet d’une nouvelle procédure d’attribution. Une modification est considérée comme « substantielle » lorsqu’elle rend les caractéristiques de la concession substantiellement différentes de celles prévues initialement. Le considérant 75 de cette directive précise, à cet égard, que de telles modifications attestent l’intention des parties de renégocier les conditions essentielles de la concession.

71 Conformément à la jurisprudence constante rappelée au point 55 du présent arrêt, il appartient au seul juge national d’apprécier si les modifications apportées par l’accord de règlement amiable, dont la teneur a été résumée au point 14 du présent arrêt, revêtent un caractère « substantiel » au sens des dispositions susmentionnées.

72 Il convient de préciser, à cet égard, que les nouvelles obligations imposées au concessionnaire, telles que le paiement d’une compensation financière ou le renforcement des normes de sécurité du réseau autoroutier concédé, échappent à la présomption établie à l’article 43, paragraphe 4, sous b), de cette directive, en vertu de laquelle doivent toujours être considérées comme substantielles les modifications qui altèrent l’équilibre économique de la concession en faveur du concessionnaire.

73 Il ressort des explications fournies par la juridiction de renvoi que celle‑ci s’interroge également sur les exigences formelles auxquelles le pouvoir adjudicateur doit se conformer en cas de modification apportée à une concession en cours, à l’image des modifications prévues dans l’accord de règlement amiable qui font l’objet du litige au principal. Il convient, à cet égard, de distinguer deux cas de figure selon que les modifications en question doivent ou non faire l’objet d’une nouvelle procédure d’attribution en application de l’article 43 de la directive 2014/23, ce qu’il appartient à cette juridiction de déterminer.

74 Lorsque la modification envisagée ne relève pas de l’une des situations visées à l’article 43, paragraphes 1 et 2, de cette directive, de sorte que cette modification doit faire l’objet d’une nouvelle procédure d’attribution, toutes les exigences formelles établies au titre II de ladite directive doivent être satisfaites, en particulier la publication d’un avis de concession conformément à l’article 31 de la même directive.

75 Dans le cas contraire, c’est-à-dire lorsque la modification d’une concession en cours n’exige pas l’organisation d’une nouvelle procédure d’attribution, les exigences formelles établies au titre II de ladite directive ne sont pas applicables.

76 Dans cette hypothèse, l’article 43, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2014/23 prévoit cependant, dans certains cas, la publication d’un avis de modification au Journal officiel de l’Union européenne conformément à l’article 33 de cette directive, cet avis devant contenir les informations prévues à l’annexe XI de ladite directive.

77 Conformément à l’article 43, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2014/23, cette obligation de publier un avis de modification concerne non pas toutes les modifications pouvant être réalisées sans organiser de nouvelle procédure d’attribution, mais uniquement celles visées à l’article 43, paragraphe 1, premier alinéa, sous b) et c), de cette directive.

78 En outre, cet avis de modification doit être publié postérieurement à la modification envisagée, et non préalablement à celle‑ci. En effet, le libellé de l’article 43, paragraphe 1, second alinéa, de ladite directive vise de manière univoque les pouvoirs adjudicateurs «qui ont modifié » une concession en cours.

79 Cela étant précisé, il y a encore lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence bien établie, le pouvoir adjudicateur doit se conformer au principe général du droit de l’Union relatif à une bonne administration, ce principe devant être respecté par les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Parmi les exigences découlant dudit principe, l’obligation de motivation des décisions adoptées par les autorités nationales revêt une importance particulière, en ce qu’elle permet aux destinataires de ces décisions de défendre leurs droits et de décider en pleine connaissance de cause s’il y a lieu d’introduire un recours juridictionnel contre celles-ci (arrêt du 21 décembre 2023, Infraestruturas de Portugal et Futrifer Indústrias Ferroviárias, C‑66/22, EU:C:2023:1016, point 87).

80 Cette obligation de motivation, qui incombe aux pouvoirs adjudicateurs, découle également de leur obligation de garantir la transparence tant de la procédure d’attribution que de l’exécution du contrat de concession, conformément à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2014/23.

81 Dans le contexte des dispositions de l’article 43, paragraphes 1 et 2, de cette directive, cette obligation de motivation doit permettre, en particulier, aux personnes autres que le concessionnaire de prendre connaissance des motifs pour lesquels le pouvoir adjudicateur a estimé que la concession en cours pouvait être modifiée sans organiser de nouvelle procédure d’attribution.

82 En pratique, cette motivation doit permettre à tout intéressé d’identifier, sans difficulté, les motifs pour lesquels le pouvoir adjudicateur a considéré qu’il n’était pas tenu d’organiser une nouvelle procédure d’attribution de concession en application des dispositions pertinentes de l’article 43, paragraphes 1 et 2, de la directive 2014/23 et/ou des mesures nationales ayant transposé ces dispositions.

83 En effet, en l’absence d’une telle motivation, les personnes susceptibles d’avoir un intérêt à agir contre une telle décision, notamment celles potentiellement lésées par celle‑ci, ne seraient pas en mesure d’apprécier, en pleine connaissance de cause, l’opportunité d’introduire un recours contre ladite décision.

84 Dans les circonstances du litige au principal, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si les décisions ayant acté la modification de la concession autoroutière octroyée à ASPI ont satisfait à cette obligation de motivation.

85 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 43 de la directive 2014/23, lu en combinaison avec le principe général de bonne administration, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle le pouvoir adjudicateur peut procéder à la modification d’une concession en cours, concernant la personne du concessionnaire et l’objet de cette concession, sans organiser de nouvelle procédure d’attribution de concession, pour autant que cette modification ne relève pas de l’article 43, paragraphe 5, de cette directive et que le pouvoir adjudicateur ait exposé les motifs pour lesquels il a considéré qu’il n’était pas tenu d’organiser une telle procédure.

Sur la deuxième question

86 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2014/23 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le pouvoir adjudicateur peut procéder à la modification d’une concession en cours sans avoir évalué la fiabilité du concessionnaire dans des circonstances où ce dernier a commis ou est suspecté d’avoir commis un manquement contractuel grave.

87 À titre liminaire, en ce qui concerne les déclarations d’ASPI, de Mundys et du gouvernement italien selon lesquelles aucun manquement contractuel du concessionnaire n’a été officiellement constaté en l’occurrence, il importe de rappeler que le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal.

88 La deuxième question posée par la juridiction de renvoi vise explicitement l’évaluation de la fiabilité « d’un concessionnaire qui a commis un manquement contractuel grave ». Partant, la Cour examinera cette question en se fondant sur cette prémisse factuelle.

89 Conformément à ce qui a été précisé au point 73 du présent arrêt, il y a lieu de distinguer deux cas de figure selon que les modifications apportées à la concession en cours doivent, ou non, faire l’objet d’une nouvelle procédure d’attribution en application de l’article 43 de la directive 2014/23, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer.

90 En premier lieu, si la modification envisagée ne relève pas de l’une des situations visées à l’article 43, paragraphes 1 et 2, de la directive 2014/23, de sorte que cette modification doit faire l’objet d’une nouvelle procédure d’attribution conformément à l’article 43, paragraphe 5, de cette directive, toutes les exigences établies au titre II de la même directive doivent être satisfaites.

91 Parmi ces exigences figurent, notamment, celles relatives à la sélection et à l’évaluation qualitative du candidat, énumérées à l’article 38 de la directive 2014/23.

92 En vertu de l’article 38, paragraphe 1, de cette directive, les conditions de participation, qui visent notamment les capacités professionnelles et techniques, doivent être liées et proportionnées à la nécessité de garantir la capacité du concessionnaire à exploiter la concession, compte tenu de l’objet de la concession et de l’objectif d’assurer une concurrence effective.

93 À l’instar de l’article 57, paragraphe 4, premier alinéa, de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65), dont les dispositions correspondent en substance à celles de l’article 38, paragraphe 7, de la directive 2014/23, la faculté, voire l’obligation, pour le pouvoir adjudicateur d’appliquer les motifs d’exclusion énoncés à cette dernière disposition est tout particulièrement destinée à lui permettre d’apprécier l’intégrité et la fiabilité de chaque opérateur économique qui participe à une procédure d’attribution de concession (voir, par analogie, arrêt du 21 décembre 2023, Infraestruturas de Portugal et Futrifer Indústrias Ferroviárias, C‑66/22, EU:C:2023:1016, point 56).

94 Le législateur de l’Union a ainsi entendu s’assurer que les pouvoirs adjudicateurs disposent, dans tous les États membres, de la possibilité d’exclure les opérateurs économiques qu’ils jugeraient non fiables (voir, par analogie, arrêt du 21 décembre 2023, Infraestruturas de Portugal et Futrifer Indústrias Ferroviárias, C‑66/22, EU:C:2023:1016, point 57).

95 En particulier, l’article 38, paragraphe 7, sous c), de la directive 2014/23 prévoit que les pouvoirs adjudicateurs peuvent exclure ou être obligés par les États membres d’exclure un opérateur économique lorsqu’il est démontré par tout moyen approprié que l’opérateur économique a commis une faute professionnelle grave remettant en cause son intégrité. La Cour a déjà eu l’opportunité de préciser que la notion de « faute professionnelle », qui couvre tout comportement fautif ayant une incidence sur la crédibilité, l’intégrité ou la fiabilité professionnelle de l’opérateur économique en cause, doit faire l’objet d’une interprétation large (voir, par analogie, arrêt du 15 septembre 2022, J. Sch. Omnibusunternehmen et K. Reisen, C‑416/21, EU:C:2022:689, point 45).

96 Par ailleurs, si l’article 38, paragraphe 7, de cette directive énumère de manière exhaustive les motifs d’exclusion facultatifs susceptibles de justifier l’exclusion d’un opérateur économique de la participation à une procédure d’attribution de concession pour des raisons fondées sur des éléments objectifs relatifs à ses qualités professionnelles (voir, par analogie, arrêt du 15 septembre 2022, J. Sch. Omnibusunternehmen et K. Reisen, C‑416/21, EU:C:2022:689, point 54), rien n’empêche le pouvoir adjudicateur d’imposer des exigences particulièrement élevées concernant l’aptitude et la fiabilité des concessionnaires (voir, par analogie, arrêt du 7 septembre 2023, Commission/Pologne, C‑601/21, EU:C:2023:629, point 92).

97 Il s’ensuit que le pouvoir adjudicateur est tenu, préalablement à la modification d’une concession nécessitant l’organisation d’une nouvelle procédure d’attribution en vertu de l’article 43, paragraphe 5, de ladite directive, d’examiner la fiabilité des candidats conformément aux dispositions de l’article 38 de la même directive.

98 En second lieu, dans l’hypothèse où la modification ne doit pas faire l’objet d’une nouvelle procédure d’attribution, au motif qu’elle relève de l’un des cas prévus à l’article 43, paragraphes 1 et 2, de la directive 2014/23, force est de constater que la seule disposition établissant une obligation, dans le chef du pouvoir adjudicateur, de vérifier la fiabilité du concessionnaire se trouve à l’article 43, paragraphe 1, premier alinéa, sous d), ii), de cette directive.

99 Aux termes de cette dernière disposition, lorsqu’un nouveau concessionnaire remplace le concessionnaire initial consécutivement à une succession universelle ou partielle dans la position du concessionnaire initial, à la suite d’opérations de restructuration de société, notamment de rachat, de fusion, d’acquisition ou d’insolvabilité, le nouveau concessionnaire doit remplir les critères de sélection qualitatifs établis initialement.

100 Cependant, pour les motifs indiqués aux points 65 à 69 du présent arrêt, et sous réserve des vérifications d’ordre factuel qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, il n’apparaît pas que l’article 43, paragraphe 1, premier alinéa, sous d), de la directive 2014/23 soit applicable dans des circonstances telles que celles du litige au principal, lesquelles se caractérisent par une modification de la composition de l’actionnariat du concessionnaire, à savoir ASPI.

101 Aucune autre disposition de l’article 43 de cette directive, lequel régit de manière exhaustive les situations dans lesquelles une concession peut être modifiée sans organiser de nouvelle procédure d’attribution, ne prévoit d’obligation, à la charge du pouvoir adjudicateur, de vérifier la fiabilité du concessionnaire.

102 Par ailleurs, si l’article 44 de la directive 2014/23 oblige les États membres à prévoir la possibilité pour le pouvoir adjudicateur de résilier la concession en cours dans trois cas de figure, notamment, en vertu du point a) de cet article, lorsque la modification de la concession aurait dû faire l’objet d’une nouvelle procédure d’attribution, cet article, pas plus qu’aucune autre disposition de cette directive, n’identifie les obligations que les États membres devraient prévoir, à la charge du pouvoir adjudicateur, en cas de manquement du concessionnaire aux obligations que lui impose le contrat de concession.

103 En l’absence d’harmonisation au niveau de l’Union, il appartient à chaque État membre de déterminer les règles permettant au pouvoir adjudicateur de réagir lorsque le concessionnaire a commis ou est suspecté d’avoir commis un manquement contractuel grave, remettant en cause sa fiabilité, en cours d’exécution de la concession.

104 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 43 de la directive 2014/23 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle le pouvoir adjudicateur peut procéder à la modification d’une concession en cours sans avoir évalué la fiabilité du concessionnaire, lorsque cette modification ne relève ni de l’article 43, paragraphe 1, premier alinéa, sous d), ii), ni de l’article 43, paragraphe 5, de cette directive. Il appartient à chaque État membre de déterminer les règles permettant au pouvoir adjudicateur de réagir lorsque le concessionnaire a commis ou est suspecté d’avoir commis un manquement contractuel grave, remettant en cause sa fiabilité, en cours d’exécution de la concession.

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Table des matières
Absence d’obligation de remise en concurrence,
Absence d’obligation de revérifier la fiabilité du titulaire,
Absence de nouvelle procédure d’attribution,
CJUE novembre 2024 n° C-683/22,
Directive 2014/23 article 43,
Fiabilité des concessionnaires,
Modification actionnariat concessionnaire,
Modification concessions publiques,
Modifications autorisées,
Motivation des modifications contractuelles,
Responsabilité du pouvoir adjudicateur,
Transparence dans les marchés publics,
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