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Publié le 07 Août 2024

La protection fonctionnelle peut être demandée en cas d’exposition à un risque d’atteinte physique

CE, 7 juin 2024, Mme B… c. Ministre de l’intérieur et des outre-mer, n° 476196

Ce qu’il faut retenir :

Le bénéfice de la protection fonctionnelle, qui implique tant une obligation de prévention que de réparation des attaques dirigées contre l’agent public à raison de sa qualité, est également ouvert en cas d’exposition personnelle et directe à un risque avéré d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique.

Enseignement n° 1 : La protection fonctionnelle des agents implique une double obligation de prévention et de réparation

L’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, autrement connue comme le « statut général des fonctionnaires », a institué pour ces deniers un droit à la protection fonctionnelle. Codifiée aux articles L. 134-1 et suivants du code général de la fonction publique, ce droit implique, ainsi que le rappelle le Conseil d’État, non seulement une obligation de protection contre les attaques mais également une obligation de réparation des conséquences de celles-ci, à la charge de la collectivité publique.

Des conditions sont néanmoins requises : les agissements doivent avoir le caractère d’une attaque (atteinte à l’intégrité de la personne, violence, harcèlement, menaces, injures, diffamation ou outrage) ; l’attaque doit présenter un lien avec le service (avoir été commise à l’occasion des fonctions, ou du fait des fonctions c’est-à-dire en considération de la qualité d’agent public de la cible) ; aucune faute personnelle ne doit pouvoir être reprochée à l’agent ; la collectivité publique peut opposer un motif d’intérêt général pour déroger à ses obligations, sous le contrôle du juge.

En l’espèce, une agente de la fonction publique avait sollicité le bénéficie de cette protection à la suite d’un attentat terroriste ayant visé les locaux de la préfecture de police dans laquelle elle exerçait ses fonctions, et ayant pour but affiché de tuer des agents à raison de leur qualité d’agent public. Les conditions à l’octroi de la protection fonctionnelle semblaient donc réunies.

Cette protection lui avait toutefois été refusée, dans la mesure où l’agent en cause avait pu se réfugier dans son bureau et s’y enfermer, et n’avait donc a priori pas subi d’atteinte à son intégrité physique.

Enseignement n° 2 : La protection fonctionnelle s’applique également aux risques avérés d’atteinte volontaire à l’intégrité physique ou à la vie des agents

Le Conseil d’État précise cependant que l’obligation de protection fonctionnelle « s’applique également lorsque l’agent est directement et personnellement exposé à un risque avéré d’atteinte volontaire à son intégrité physique ou à sa vie en raison de sa qualité d’agent public ». Ce faisant, il donne une vocation particulièrement englobante à la protection fonctionnelle puisque celle-ci ne s’arrête plus aux portes des agressions effectives, mais étend son égide aux simples risques d’agressions lorsque ceux-ci ont eu des conséquences réparables.

En l’espèce, le juge relève les circonstances particulièrement éprouvantes de l’attentat du point de vue de la requérante : après avoir entendu des cris et des appels à l’aide de ses collègues, Mme B est sortie de son bureau et s’est retrouvé confrontée à l’auteur de l’attentat dans le couloir, ce dernier muni d’un couteau ensanglanté. Si en tant que juge de cassation, son contrôle des faits est nécessairement limité à celui de la dénaturation, qu’il écarte en l’espèce, il apparaît raisonnable que de telles circonstances constituaient bien une exposition directe et personnelle à un risque avéré d’atteinte à la vie de la requérante… Il est donc enjoint au ministre de l’intérieur de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.


CE, 7 juin 2024, Mme B… c. Ministre de l’intérieur et des outre-mer, n° 476196

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B, adjointe administrative, était dans son bureau à la préfecture de police de Paris lors de l’attentat terroriste commis dans les locaux de celle-ci le 3 octobre 2019. Le 27 avril 2021, elle a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle afin de pouvoir se porter partie civile dans le cadre d’une plainte contre X pour association de malfaiteurs terroristes en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes d’atteintes aux personnes visées au 1° de l’article 421-1 du code pénal et assassinats et tentatives d’assassinats sur personne dépositaire de l’autorité publique en relation avec une entreprise terroriste. Par une décision du 21 mai 2021, le ministre de l’intérieur a rejeté sa demande. Par un jugement du 2 juin 2022, le tribunal administratif de Paris, sur la demande de Mme B, a annulé cette décision, enjoint au ministre de l’intérieur et des outre-mer de lui accorder la protection fonctionnelle dans un délai d’un mois et rejeté les conclusions indemnitaires qu’elle avait formées. Par un arrêt du 31 mai 2023, contre lequel le ministre se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel formé par celui-ci contre ce jugement.

2. Aux termes des dispositions de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicables et aujourd’hui reprises aux articles L. 134-1 et L. 134-5 du code général de la fonction publique : ” I.- A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l’ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d’une protection organisée par la collectivité publique qui l’emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. / () / IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. () “.

3. Ces dispositions établissent à la charge de la collectivité publique et au profit des fonctionnaires, lorsqu’ils ont été victimes d’attaques à l’occasion ou du fait de leurs fonctions, sans qu’une faute personnelle puisse leur être imputée, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d’intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l’agent concerné est exposé, mais aussi de lui assurer une réparation adéquate des torts qu’il a subis. Cette protection n’est due, cependant, que lorsque les agissements en cause visent l’agent concerné à raison de sa qualité d’agent public.

4. Cette obligation de protection s’applique également lorsque l’agent est directement et personnellement exposé à un risque avéré d’atteinte volontaire à son intégrité physique ou à sa vie en raison de sa qualité d’agent public.

5. Il ressort des énonciations, non contestées dans cette mesure, de l’arrêt attaqué que la cour a relevé, d’une part, que l’attaque commise le 3 octobre 2019 dans les locaux de la préfecture de police de Paris avait pour but de tuer des agents de celle-ci à raison de leur qualité d’agent public et, d’autre part, qu’après avoir entendu des cris et des appels à l’aide de ses collègues, Mme B est sortie de son bureau et a vu l’auteur de l’attentat dans le couloir muni d’un couteau ensanglanté et que celui-ci s’est ensuite retourné et s’est retrouvé face à elle, qui s’est alors réfugiée dans son bureau en s’y enfermant. En jugeant, après avoir estimé par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que Mme B avait ainsi été directement et personnellement exposée à un risque avéré de subir une atteinte volontaire à son intégrité physique, qu’elle satisfaisait aux conditions d’octroi de la protection fonctionnelle, la cour n’a pas commis d’erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l’intérieur et des outre-mer n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à Mme B au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :
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  • Article 1er : Le pourvoi du ministre de l’intérieur et des outre-mer est rejeté.
  • Article 2 : L’Etat versera à Mme B une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
  • Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’intérieur et des outre-mer et à Mme A B.

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Table des matières
7 juin 2024,
CE,
Droit à la protection fonctionnelle,
Mme B… c. Ministre de l’intérieur et des outre-mer,
n° 476196,
Protection fonctionnelle des élus,
Protection fonctionnelle élus locaux,
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