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Publié le 10 Jan 2025

L’assureur dommages-ouvrages peut exercer son action subrogatoire quand bien même les réserves n’ont pas été levées

CE 31 octobre 2024, Société Bureau Veritas Construction, n° 488920

Ce qu’il faut retenir :

 

Bien que la responsabilité décennale des constructeurs soit sujette à l’extinction des relations contractuelles entre les parties, l’assureur dommages-ouvrages qui, du fait de l’inaction de l’entrepreneur, a indemnisé le maître d’ouvrage pour des désordres à caractère décennal réservés à la réception, est fondé au titre de la subrogation légale à réclamer le remboursement des sommes avancées à l’entreprise.

Enseignement n° 1 : L’assureur est subrogé dans les droits de son assuré dès lors qu’il lui a versé une indemnité dans le cadre de l’exécution de son contrat

Le code des assurances est évidemment applicable aux marchés publics au besoin à raison d’une conciliation avec les règles d’ordre public des contrats administratifs (CE, 12 juillet 2023, Grand Port maritime de Marseille, n°469319). Aux termes de l’article L.121-12 du code des assurances, d’une part « l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré ». De cette disposition, le juge administratif avait déjà déduit que le paiement n’avait pas nécessairement à être effectué entre les mains de l’assuré lui-même, mais que l’assureur ne pouvait se réclamer de la subrogation légale qu’à la condition éminente que les sommes aient été payées en exécution du contrat d’assurance (CE, 22 oct. 2014, Sté des transports de l’agglomération de Montpellier, no 362635).

Dans un arrêt du 31 octobre 2024, le Conseil d’État s’est prononcé en tant que juge de cassation dans le cadre d’une action subrogatoire au contexte particulier.  En effet, l’assureur dommages-ouvrages réclamait aux entrepreneurs de travaux des indemnités versées au maître d’ouvrage. Or, les désordres concernés avaient fait l’objet de réserves à la réception, toujours non levées.

La question était donc de savoir si les sommes avancées au maître d’ouvrage pouvaient valablement être regardées comme payées « en exécution du contrat d’assurance », puisque le contrat d’assurance dommages-ouvrages couvre les désordres relevant de la garantie décennale des constructeurs.

Enseignement n° 2 : Seule la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur peut être engagée tant que les réserves à la réception n’ont pas été levées

Sauf stipulation contractuelle particulier, la garantie décennale des constructeurs commence à courir à compter de la réception de l’ouvrage ou, en cas de réserves, de la levée de ces dernières. La jurisprudence constante en la matière considère ainsi que si un désordre à caractère décennal affecte les travaux ou les parties de l’ouvrage ayant fait l’objet de réserves, seule la responsabilité contractuelle du constructeur peut être engagée (CE, 16 janvier 2012, Cne du Château d’Oléron, n°352122). Une jurisprudence encore plus ancienne et constante protège en effet ce qu’il est permis d’appeler le principe de primauté de la responsabilité contractuelle : entre les parties à un contrat en cours d’exécution, aucune autre action en réparation d’un dommage que celles fondées sur la responsabilité contractuelle n’est admise (CE, 1er décembre 1976, Berezowski, req. n°98946, Rec. 1978, p. 45). Or en l’absence de stipulations particulières, « lorsque la réception de l’ouvrage est prononcée avec réserves, les rapports contractuels entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs se poursuivent au titre des travaux ou des parties de l’ouvrage ayant fait l’objet des réserves » (CAA de Nantes, 4e chambre, 8 avril 2022, n° 21NT00145).

En d’autres termes la garantie décennale des constructeurs n’était pas « disponible » en l’espèce.

Enseignement n° 3 : L’assureur dommages-ouvrages peut exercer l’action subrogatoire à l’encontre de l’entrepreneur quand bien même les réserves à la réception n’ont pas été levées

Le Conseil d’État balaie néanmoins l’objection des entrepreneurs de travaux, soulignant que la seule question véritablement digne d’intérêt pour savoir si l’indemnité était versée en application du contrat d’assurances était de savoir si celui obligeait l’assureur à payer ou non.

Il s’appuie dans cette recherche sur l’article L. 242-1 du code des assurances qui fixe le champ d’application de la garantie dommages-ouvrages. Or celui-ci prévoit que si, en principe, cette garantie prend effet à l’expiration de la garantie de parfait achèvement, et vient donc « en relai » de la responsabilité contractuelle des constructeurs, il est également prévu qu’elle peut être mobilisée dans d’autres cas. En particulier lorsque « après la réception, après mise en demeure restée infructueuse, l’entrepreneur n’a pas exécuté ses obligations ». Ce qui était précisément le cas en l’espèce.

Le juge d’appel pouvait donc sans se contredire estimer que, d’une part ces désordres relevaient de la responsabilité contractuelle des constructeurs, et d’autre part ces désordres entraient dans le champ des désordres couverts par le contrat de dommages-ouvrages, de sorte que l’action subrogatoire de l’assureur était recevable.


CE 31 octobre 2024, Société Bureau Veritas Construction, n° 488920

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par des actes d’engagement signés le 11 juillet 2006, la société d’économie mixte Artois Développement, maître d’ouvrage délégué de la commune de Liévin, a confié à un groupement solidaire le lot n° 1 ” gros œuvre, démolition, curage, VRD, charpente et dépose secteur SCR ” du marché de travaux de réhabilitation et d’extension du stade couvert régional et du centre régional d’accueil et de formation en complexe sportif à Liévin. Les travaux ont été réceptionnés le 16 août 2009 avec réserves. La réserve n° 1, relative à des fissures, fentes et délaminations des poutres neuves de la charpente en bois, n’a pas été levée. L’aggravation de ces fissures a conduit le syndicat mixte pour l’exploitation du stade couvert régional de Liévin, propriétaire de l’ouvrage depuis le 26 juin 2012, à fermer l’équipement à compter du mois d’octobre 2012 jusqu’au mois d’avril 2017 en raison d’un risque d’effondrement de la charpente. Ce syndicat a alors fait une déclaration de sinistre auprès de la société Axa France Iard, assureur dommages ouvrage de la commune de Liévin pour l’opération de réhabilitation et d’extension du stade couvert régional, qui a préfinancé l’expertise et les mesures conservatoires et d’investigations pendant l’expertise dommages ouvrage et payé les travaux de réparation selon la méthodologie arrêtée à l’issue des opérations d’expertise. La société Axa France Iard a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner solidairement les sociétés Architecture Studio, Arc-Ame Vilet Pezin Architecture Aménagement, Khephren Ingénierie, Jacques Delens, Dherte, Woodlam et Bureau Veritas Construction à lui verser la somme totale de 3 452 246,84 euros TTC. Par un jugement du 19 juin 2020, le tribunal a partiellement fait droit à cette demande en condamnant solidairement les sociétés Jacques Delens, Dherte, Architecture Studio et Bureau Veritas Construction à lui verser la somme de 389 859,34 euros TTC. Par un arrêt du 17 août 2023, contre lequel la société Bureau Veritas Construction se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Douai a intégralement fait droit à la demande de la société Axa France Iard en condamnant solidairement les sociétés Jacques Delens, Dherte, Khephren Ingénierie et Bureau Veritas Construction à lui verser la somme de 3 452 246,84 euros TTC.

Sur l’arrêt en tant qu’il statue sur l’étendue de la subrogation
de la société Axa France Iard :

2. Aux termes de l’article L. 121-12 du code des assurances : ” L’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur “. Il résulte de ces dispositions que l’assureur n’est fondé à se prévaloir de la subrogation légale dans les droits de son assuré que si l’indemnité a été versée en exécution d’un contrat d’assurance. En revanche, l’application de ces dispositions n’implique pas que le paiement ait été fait entre les mains de l’assuré lui-même.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Liévin a souscrit auprès de la société Axa France Iard, pour la réalisation des travaux décrits au point 1, un contrat d’assurance dommages ouvrage régi par les dispositions de l’article L. 242-1 du code des assurances.

4. Aux termes de l’article L. 242-1 du code des assurances, dans sa rédaction en vigueur à la date de souscription du contrat d’assurance en litige : ” Toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l’ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, fait réaliser des travaux de construction, doit souscrire avant l’ouverture du chantier, pour son compte ou pour celui des propriétaires successifs, une assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l’article 1792-1, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l’article 1792 du code civil. / Toutefois, l’obligation prévue au premier alinéa ci-dessus ne s’applique ni aux personnes morales de droit public (…) lorsque ces personnes font réaliser pour leur compte des travaux de construction pour un usage autre que l’habitation. / (…) L’assurance mentionnée au premier alinéa du présent article prend effet après l’expiration du délai de garantie de parfait achèvement visé à l’article 1792-6 du code civil. Toutefois, elle garantit le paiement des réparations nécessaires lorsque : / Avant la réception, après mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d’ouvrage conclu avec l’entrepreneur est résilié pour inexécution, par celui-ci, de ses obligations ; / Après la réception, après mise en demeure restée infructueuse, l’entrepreneur n’a pas exécuté ses obligations. (…) “. Il résulte de ces dispositions que l’assurance dommages ouvrage garantit le paiement des réparations nécessaires lorsque, après réception, l’entrepreneur mis en demeure de reprendre les désordres de gravité décennale, réservés à la réception ou apparus durant le délai de garantie de parfait achèvement, n’a pas exécuté ses obligations.

5. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la seule circonstance que les désordres aient fait l’objet de réserves lors de la réception des travaux, ce qui a pour effet de maintenir l’obligation contractuelle des constructeurs d’y remédier, ne fait pas obstacle à ce que l’assureur verse, en exécution de l’assurance dommages ouvrage, à son assuré une indemnité correspondant au coût des réparations nécessaires. Par suite, en jugeant que la somme de 3 260 621,70 euros que la société Axa France Iard a versée à son assuré au titre du financement des travaux de réparation des désordres affectant la charpente en bois l’avait été en exécution du contrat d’assurance dommages, alors même qu’elle avait retenu que ces désordres relevaient de la responsabilité contractuelle des constructeurs, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les faits.

6. En deuxième lieu, c’est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour, dont l’arrêt est suffisamment motivé, a estimé que les désordres litigieux, qui consistaient essentiellement en l’absence de serrage des rondelles de Belleville, ne procédaient pas d’un défaut d’entretien ou d’un usage anormal et n’entraient donc pas dans le champ des seules exclusions de garanties contractuelles applicables à l’assurance dommages ouvrage.

7. En troisième lieu, en revanche, en retenant que la société Axa France Iard pouvait, s’agissant de la somme de 191 625,14 euros représentant le coût des mesures conservatoires et d’investigations, se prévaloir de la subrogation légale de l’article 1346 du code civil, alors que les paiements correspondant à cette somme avaient été effectués avant l’entrée en vigueur, au 1er octobre 2016, des dispositions de cet article, la cour a commis une erreur de droit.

Sur l’arrêt en tant qu’il statue sur le fondement de la responsabilité
et sur l’imputabilité des désordres :

8. En premier lieu, en jugeant, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que les désordres affectant les poutres de charpente du stade couvert, dès lors qu’ils étaient apparents et avaient fait l’objet d’une réserve lors de la réception qui n’avait pas été levée, relevaient de la responsabilité contractuelle, et non de la garantie décennale, des constructeurs, sans qu’ait d’incidence à cet égard la circonstance que l’étendue exacte des dommages n’était pas connue à la date de la réception, la cour n’a pas commis d’erreur de droit.

9. En deuxième lieu, dès lors qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, contrairement à ce qui est soutenu, les rapports du cabinet Saretec Construction ont été établis contradictoirement, y compris à l’égard de la société Bureau Veritas Construction, la circonstance, à la supposer établie, que la cour, qui n’était pas tenue de répondre à tous les arguments invoqués en défense, se soit fondée sur ces rapports pour retenir que les fissures affectant les poutres de la charpente du stade couvert résultaient principalement d’un défaut de conception des assemblages de la charpente et de l’absence de serrage des rondelles de Belleville, n’est en tout état de cause pas de nature à entacher d’erreur de droit l’arrêt attaqué.

10. En troisième lieu, d’une part, la cour, dont l’arrêt est suffisamment motivé sur ce point, n’a pas commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les faits en retenant que la société Bureau Veritas Construction avait commis des fautes de nature à engager sa responsabilité contractuelle, d’une part, en n’émettant aucune réserve sur la conception de la charpente, sans qu’aient d’incidence à cet égard les circonstances postérieures que le vice de conception n’aurait finalement été révélé que par une note de calcul qui ne lui aurait pas été communiquée, ni que cette société ait relevé, par un courrier du 16 avril 2009, la présence de fissures sur la charpente et, d’autre part, en ne détectant pas l’impossibilité technique de resserrer les rondelles de Belleville.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Bureau Veritas Construction est seulement fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque en tant qu’il a statué sur la subrogation de la société Axa France Iard au titre de la somme de 191 625,14 euros représentant le coût des mesures conservatoires et d’investigations.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Axa France Iard qui n’est pas, pour l’essentiel, la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :
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  • Article 1er : L’arrêt du 17 août 2023 de la cour administrative d’appel de Douai est annulé en tant qu’il a statué sur la subrogation de la société Axa France Iard au titre de la somme de 191 625,14 euros représentant le coût des mesures conservatoires et d’investigations.
  • Article 2 : L’affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée à l’article 1er, à la cour administrative d’appel de Douai.
  • Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
  • Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Bureau Veritas Construction et à la société Axa France Iard.

Copie en sera adressée au syndicat mixte pour l’exploitation du stade couvert régional de Liévin, à la société Jacques Delens, à la société Dherte, à la société Woodlam, à la société Kephren Ingénierie, à la société Architecture Studio, à la société Arc-Ame-Villet Pézin architecture aménagement, à la régie Arena stade couvert de Liévin et à la commune de Liévin.


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Table des matières
Action subrogatoire de l’assureur,
Assurance dommages-ouvrages,
Assurance dommages-ouvrages subrogation,
CE 31 octobre 202 n° 488920,
Code des assurances L.242-1,
Désordres à caractère décennal,
Garantie décennale des constructeurs,
Indemnisation des désordres décennaux,
Réserves à la réception des travaux,
Responsabilité contractuelle des constructeurs,
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