Lorsqu’un marché de service est conclu à l’issue d’un concours, il est conclu sans publicité ni mise en concurrence : le concours est une technique d’achat et non une procédure formalisée, l’acheteur n’étant pas soumis à l’observation d’un délai de suspension de signature. La méconnaissance d’un délai qu’il s’imposerait volontairement ne suffit pas à fonder une annulation du contrat par le juge du référé contractuel.
L’article L551-18 et suivants du code de justice administrative prévoit un certain nombre de cas dans lesquelles le juge du référé contractuel prononce en principe l’annulation d’un contrat. Parmi ceux, le juge prononce la nullité du contrat « lorsque celui-ci a été signé avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la décision d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ».
Le délai exigé s’entend du délai de suspension de signature obligatoire de 11 jours applicables aux procédures formalisées, dit « délai de standstill » (Article R2182-1 du code de la commande publique).
Saisi d’une demande d’annulation d’un marché de maîtrise d’œuvre conclu sur concours, le juge du référé contractuel du tribunal administratif de Dijon était donc tenu de répondre à la question de savoir si un délai de standstill aurait dû, en l’espèce, être observé avant la signature du contrat.
La réponse est sans ambiguïté : lorsque le marché répond à un besoin dont le montant est égal ou supérieur aux seuils de procédure formalisée, mais qu’il est conclu selon « la technique d’achat du concours », l’acheteur conclut en réalité avec le lauréat un marché sans publicité ni mise en concurrence préalable. À ce titre, il n’y a pas de délai de suspension de signature à observer. Et ce, peu importe le montant du besoin à satisfaire.
Sous l’ancien état du droit, la confusion pouvait naître dans les esprits du fait que le concours était catégorisé comme un des « autres procédures » du code des marchés publics. Cependant la réforme du droit de la commande publique a été l’occasion de clairement distinguer les procédures, au nombre de trois (formalisée, adaptée, sans publicité ni mise en concurrence), les techniques d’achat (dont le concours), et les montages contractuels particuliers.
L’article R2122-6 du code cité à l’appui du raisonnement du tribunal prévoit que « l’acheteur peut passer un marché de services sans publicité ni mise en concurrence préalables avec le lauréat ou l’un des lauréats d’un concours ». De là, deux conclusions paraissent s’imposer. La première : tous les marchés de services conclus à l’issue d’un concours seront dispensés de délai de standstill car considérés comme conclus sans publicité ni mise en concurrence. La seconde : le même raisonnement ne peut pas s’appliquer aux concours de conception-réalisation, puisque les marchés de conception-réalisation sont des marchés de travaux par détermination de la l’article L2171-2 du code.
Le tribunal administratif était par ailleurs invité à se prononcer sur la question de savoir si, nonobstant l’absence d’observation obligatoire d’un délai de standstill, le délai de suspension de signature que l’acheteur s’imposerait volontairement pouvait justifier l’intervention du juge du référé contractuel.
Là encore, la réponse est sans ambiguïté et s’appuie explicitement sur la jurisprudence classique du Conseil d’État : la circonstance que l’acheteur n’a pas respecté le délai qu’il s’est imposé à lui-même « reste par elle-même sans incidence sur l’impossibilité, par la société requérante, d’invoquer utilement un tel moyen » (CE, 17 décembre 2014, Cté de cnes du canton de Varilhes, n° 385033).
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis de concours publié au Bulletin officiel des annonces des marchés publics le 8 mars 2024, la commune de Migennes a lancé une procédure de concours restreint de maitrise d’œuvre sur esquisse pour la construction d’une nouvelle médiathèque. A l’issue d’une réunion du jury de concours du 12 avril 2024, trois groupements d’entreprises ont été admis à concourir et invités à remettre une esquisse dans le respect des règles d’anonymat. Le jury s’est réuni de nouveau le 8 juillet 2024 et a classé les deux projets remis en application des critères hiérarchisés définis par l’article 9.2 du règlement de concours. Le jury a alors classé en première position le projet remis par le groupement candidat dont la société Nord Sud Architecture était le mandataire et en seconde position le projet du groupement dont la société AA Group Dijon était le mandataire. Le 10 juillet 2024, le maire de Migennes a ensuite décidé de désigner ces deux équipes comme lauréats du concours et, en application des articles R. 2172-2 et R. 2122-6 du code de la commande publique, a engagé des négociations avec chacune d’elles. A l’issue de ces négociations et suivant la recommandation faite par son assistant à maîtrise d’ouvrage, le maire de Migennes a informé la société Nord Sud Architecture, par un courrier du 3 septembre 2024, que son offre était rejetée et que le marché de maîtrise d’œuvre était attribué au groupement dont le mandataire était la société AA Group Dijon et lui a en outre précisé que ” la notification de l’attributaire retenu interviendra dans un délai minimum de onze jours à compter de l’envoi via la plateforme des marchés de ” cette ” lettre de rejet “. Le 13 septembre 2024, la société Nord Sud Architecture a alors demandé au juge des référés, sur le fondement des articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative, d’annuler partiellement cette procédure de passation. Par une ordonnance n° 2403148 du 20 septembre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Dijon a rejeté cette requête au motif que, le contrat ayant été signé le 3 septembre 2024, les conclusions présentées par la société Nord Sud Architecture étaient dépourvues objet à la date d’introduction du référé précontractuel. La société requérante demande au juge du référé contractuel de mettre en œuvre ses pouvoirs définis aux articles L. 551-17 à L. 551-23 du code de justice administrative.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Migennes :
2. D’une part, aux termes du second alinéa de l’article L. 551-14 du code de justice administrative, le recours en référé contractuel ” n’est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du recours prévu à l’article L. 551-1 ou à l’article L. 551-5 dès lors que le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice a respecté la suspension prévue à l’article L. 551-4 ou à l’article L. 551-9 et s’est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours “. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 551-15 du même code, le recours en référé contractuel ” ne peut être exercé ni à l’égard des contrats dont la passation n’est pas soumise à une obligation de publicité préalable lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice a, avant la conclusion du contrat, rendu publique son intention de le conclure et observé un délai de onze jours après cette publication, ni à l’égard des contrats soumis à publicité préalable auxquels ne s’applique pas l’obligation de communiquer la décision d’attribution aux candidats non retenus lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice a accompli la même formalité “. En vertu de l’article R. 551-7-1 de ce code, pour pouvoir se prévaloir des dispositions du premier alinéa de l’article L. 551-15, le pouvoir adjudicateur ” publie au Journal officiel de l’Union européenne un avis, conforme au modèle fixé par le règlement de la Commission européenne établissant les formulaires standard pour la publication d’avis en matière de marchés publics et de contrats de concession, relatif à son intention de conclure un contrat. Il respecte un délai d’au moins onze jours entre la date de publication de cet avis et la date de conclusion du contrat “.
3. L’article L. 551-14 du code de justice administrative, qui prévoit que le référé contractuel n’est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du référé précontractuel dès lors que le pouvoir adjudicateur a respecté la suspension prévue aux articles L. 551-4 ou L. 551-9 du même code et s’est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours, n’a pas pour effet de rendre irrecevable un référé contractuel introduit par un concurrent évincé qui avait antérieurement introduit un référé précontractuel alors qu’il était dans l’ignorance de la signature du contrat du fait, s’agissant d’un contrat soumis à publicité préalable et à l’obligation de communiquer la décision d’attribution aux candidats non retenus, d’un manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations ainsi qu’à celle consistant à observer, avant de signer le contrat, un délai de onze jours après cette communication, ou, s’agissant d’un contrat relevant de l’article L. 551-15 du code, de l’absence de publication par le pouvoir adjudicateur de son intention de conclure le contrat ou de respect, avant de le signer, d’un délai d’au moins onze jours entre la date de publication de l’avis et la date de conclusion du contrat.
4. D’autre part, il résulte notamment des dispositions du 2° de l’article L. 2125-1, des articles L. 2410-1 à L. 2432-2, des articles R. 2162-15 à R. 2162-26, des articles R. 242-12-1 à R. 2423-37, de l’article R. 2172-2 et de l’article R. 2122-6 du code de la commande publique que lorsqu’en vue de conclure un marché de maîtrise d’œuvre privée répondant à un besoin dont le montant est égal ou supérieur aux seuils de procédure formalisée, un acheteur public ayant la qualité de maître d’ouvrage recourt à la technique d’achat du concours et qu’il organise, à cette fin, un concours restreint, il choisit d’abord le ou les lauréats du concours, au vu des procès-verbaux et de l’avis du jury, en rendant public le résultat du concours et peut ensuite passer le marché de maîtrise d’œuvre correspondant, après négociations, avec le lauréat ou l’un des lauréats de ce concours sans publicité ni mise en concurrence préalables.
5. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 4 que lorsqu’un marché de maîtrise d’œuvre a été passé selon les modalités définies au point 4 et que le pouvoir adjudicateur n’a pas rendu publique son intention de conclure un contrat dans les conditions prévues par l’article R. 551-7-1 de ce code, un candidat évincé qui n’a pas pu utilement saisir le juge du référé précontractuel est recevable à saisir le juge du référé contractuel pour lui demander d’exercer ses pouvoirs définis aux articles L. 551-17 à L. 551-23 du code de justice administrative.
6. Il résulte de l’instruction et de ce qui a été dit au point 1, d’une part, que la commune de Migennes n’a pas rendu publique son intention de conclure un contrat dans les conditions prévues par l’article R. 551-7-1 du code justice administrative et n’a d’ailleurs pas davantage observé le délai de onze jours qu’elle avait pourtant annoncé à la société Nord Sud Architecture dans sa lettre lui notifiant le rejet de son offre avant de signer le marché de maîtrise d’œuvre avec le groupement dont la société AA Group Dijon est le mandataire et, d’autre part, que la société Nord Sud Architecture n’a pas pu utilement saisir le juge du référé précontractuel dans la mesure où ce référé a été introduit le 13 septembre 2024, avant l’expiration du délai que le pouvoir adjudicateur s’était engagé à respecter avant la signature du contrat, mais que le marché de maîtrise d’œuvre avait été signé par la commune dès le 3 septembre 2024.
7. Dans ces conditions, le référé contractuel introduit par la société Nord Sud Architecture est recevable. La fin de non-recevoir opposée par la commune de Migennes à ce titre doit dès lors être écartée.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 551-18 à L. 551-20 du code de justice administrative :
8. D’une part, aux termes de l’article L. 551-18 du code de justice administrative : ” Le juge prononce la nullité du contrat lorsqu’aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n’a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l’Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite. / La même annulation est prononcée lorsqu’ont été méconnues les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique. / Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la décision d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l’article L. 551-4 ou à l’article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d’exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d’une manière affectant les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat “. Aux termes de l’article L. 551-19 du même code : ” Toutefois, dans les cas prévus à l’article L. 551-18, le juge peut sanctionner le manquement soit par la résiliation du contrat, soit par la réduction de sa durée, soit par une pénalité financière imposée au pouvoir adjudicateur ou à l’entité adjudicatrice, si le prononcé de la nullité du contrat se heurte à une raison impérieuse d’intérêt général. / Cette raison ne peut être constituée par la prise en compte d’un intérêt économique que si la nullité du contrat entraîne des conséquences disproportionnées et que l’intérêt économique atteint n’est pas directement lié au contrat, ou si le contrat porte sur une délégation de service public “. Selon l’article L. 551-20 de ce code : ” Dans le cas où le contrat a été signé avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la décision d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l’article L. 551-4 ou à l’article L. 551-9, le juge peut prononcer la nullité du contrat, le résilier, en réduire la durée ou imposer une pénalité financière “.
9. D’autre part, en application des dispositions combinées des articles R. 2124-1 et R. 2122-6 du code de la commande publique, un marché de maîtrise d’œuvre qui a été passé selon la procédure définie au point 4, alors même que la valeur estimée du besoin serait égale ou supérieure aux seuils européens, n’est pas un marché passé selon une procédure formalisée, au sens du code de la commande publique, et n’est donc notamment pas soumis à l’obligation de respecter le délai minimal, mentionné à l’article R. 2182-1, séparant la notification, par l’acheteur public, de sa décision de rejeter l’offre d’un candidat de la date de signature du marché.
10. Il résulte de ce qui a été dit aux points 8 et 9 que, s’agissant d’un marché de maîtrise d’œuvre passé selon la procédure définie au point 4, qui n’est pas soumis à l’obligation, pour le pouvoir adjudicateur, de notifier aux opérateurs économiques ayant présenté une offre, avant la signature du contrat, la décision d’attribution, l’annulation d’un tel contrat ne peut en principe résulter que du constat des manquements mentionnés aux deux premiers alinéas de l’article L. 551-18, c’est-à-dire de l’absence des mesures de publicité requises pour sa passation ou de la méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique. Le juge du référé contractuel doit également annuler un marché de maîtrise d’œuvre passé selon la procédure définie au point 4, sur le fondement des dispositions du troisième alinéa de l’article L. 551-18 du code de justice administrative, ou prendre l’une des autres mesures mentionnées à l’article L. 551-20 dans l’hypothèse où, alors qu’un recours en référé précontractuel a été formé, le pouvoir adjudicateur n’a pas respecté la suspension de signature du contrat prévue à l’article L. 551-4 ou ne s’est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé.
11. En premier lieu, il ne résulte pas de l’instruction que la commune de Migennes aurait en l’espèce commis l’un ou l’autre des manquements mentionnés aux deux premiers alinéas de l’article L. 551-18 du code de justice administrative.
12. En deuxième lieu, le marché de maîtrise d’œuvre en litige ayant été passé selon la procédure définie au point 4, la société requérante ne peut pas utilement se prévaloir, pour demander l’annulation de ce contrat, de ce que celui-ci aurait été signé avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la décision d’attribution aux opérateurs économiques. La circonstance que la commune de Migennes n’a en l’espèce pas respecté le délai qu’elle s’était imposé à elle-même entre la notification, à la société Nord Sud Architecture, du rejet de son offre et la signature du marché reste par elle-même sans incidence sur l’impossibilité, par la société requérante, d’invoquer utilement un tel moyen (CE, 17 décembre 2014, Communauté de communes du canton de Varilhes, n° 385033).
13. En dernier lieu, la commune de Migennes n’a pas méconnu son obligation de respecter la période de suspension prévue à l’article L. 551-4 du code de justice administrative dès lors qu’ainsi qu’il a été dit au point 1, elle a signé le marché de maîtrise d’œuvre dix jours avant la saisine du juge des référés précontractuels par la société Nord Sud Architecture.
14. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le point de savoir si les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence dont se prévaut la société requérante sont au nombre de ceux susceptibles d’être utilement invoqués devant le juge du référé contractuel et si de telles obligations ont en l’espèce été méconnues d’une manière affectant ses chances d’obtenir le contrat, la société Nord Sud Architecture n’est pas fondée à demander au juge du référé contractuel d’exercer l’un ou l’autre des pouvoirs qu’il détient en vertu des articles L. 551-18 à L. 551-20 du code de justice administrative. Les conclusions qu’elle présente à ce titre doivent par suite être rejetées.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 551-17 du code de justice administrative :
15. Aux termes de l’article L. 551-17 du code de justice administrative : ” Le président du tribunal administratif ou son délégué peut suspendre l’exécution du contrat, pour la durée de l’instance, sauf s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de cette mesure pourraient l’emporter sur ses avantages “.
16. La présente ordonnance statue sur le bien-fondé du référé contractuel introduit par la société Nord Sud Architecture. Les conclusions qu’elle présente sur le fondement de l’article L. 551-17 du code de justice administrative sont dès lors devenues sans objet.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Migennes, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande la société Nord Sud Architecture au titre des frais qu’elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.
18. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Nord Sud Architecture le versement de la somme que demande la commune de Migennes au titre de ces mêmes frais.
ORDONNE :